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Les laïcs n’ont pas que du mauvais, chers amis "tradis" et Abbés ! Grâce à leur vote de mardi dernier, l’Eglise anglicane a échappé aux évêchesses.
Reprenons au début. En mai dernier, les évêques de l’Eglise d’Angleterre avaient voté à une écrasante majorité pour l’accès à l’épiscopat pour les femmes, et avaient procédé à une consultation parmi les 12 000 paroisses d’Angleterre : seulement un millier, relevant de la tradition anglicane évangélique, ou de la tradition anglo-catholique, s’étaient alors prononcées contre la mesure.
Il faut comprendre que l’Eglise anglicane, Eglise d’Etat ou "national Church", comme on dit outre-Manche, est un organe politique. Vingt-six évêques siègent à la Chambre des Lords, et l’archevêque de Canterbury est nommé par le Premier ministre, sur proposition d’une commission mi-cléricale mi-laïque, sous contrôle d’experts et conseillers gouvernementaux. A ce stade, alors que les autorités britanniques souhaitent promouvoir "l’égalité" (version anglo-saxonne perverse de la parité, qui tend à abolir la différence des sexes), l’Eglise d’Etat ne pouvait échapper à cette mise au pas, jusque dans le clergé.
Historiquement, l’anglicanisme réside depuis sa création dans la façon britannique de concevoir l’essentiel, non dans la quête de Dieu, mais dans une conception de la décence en société. Oscar Wilde (persécuté pour son homosexualité, et converti au catholicisme, faut-il le rappeler), disait que l’Eglise d’Angleterre est "l’Eglise des gens biens". Selon cette perspective, il est décent aujourd’hui que les femmes soient prêtres et évêques... Question liée à la "non-discrimination" et à "l’égalité", et non à la foi et à la Tradition du christianisme.
Cependant, même pour les plus protestants des anglicans, l’accès des femmes au ministère ne va de soi. Tant la Bible que la vision ininterrompue du ministre agissant in personna Christi [1] s’opposent à la féminisation du clergé. La petite frange évangélique de l’Eglise d’Angleterre fidèle à cette vision, regroupée au sein de la Church Society et du groupe Reform, s’est donc employée à faire campagne contre la Women Bishops Measure, alors que, de leurs côtés, des évêques et des prélats satisfaits et ventripotents, expliquaient la bouche en coeur leurs raisons, bien minces en vérité, en faveur des évêchesses, centrées sur l’émotionnel et la "justice", dans le cadre d’une campagne sur Internet intitulée "assez attendu !"
Le vote du Synode général de l’Eglise d’Angleterre, mardi 20 novembre, semblait donc acquis. La provision pastorale accordée aux paroisses refusant les femmes évêques, et prévoyant le déploiement d’évêques masculins "volants" (flying-bishops) à leur disposition, avait même été rejeté. Tout semblait parfait, et certains catholiques - dont moi - déploraient déjà le recul pour l’oecuménisme que cela allait engendrer.
Surprise : la vote des deux tiers du Synode, nécessaire à l’établissement de la mesure, ne fut pas atteint, à cause de la Chambre des laïcs [2], qui empêcha par sept voix l’infamie faite à la Tradition chrétienne.
S’ensuivit des scènes larmoyantes où des prêtres femmes, âgées ou moins âgées, se désolaient de ce résultat, précédant la scène, tragi-comique, des parlementaires britanniques se demandant comment forcer l’Eglise à appliquer "l’égalité" au sein de ses structures...
Quelles conclusion en tirer ? J’en proposerais trois.
1) Cette victoire de la Tradition chrétienne n’est certainement qu’un répit. Le nouvel archevêque de Canterbury, Mgr Justin Welby, s’est déclaré favorable aux évêchesses, et si le gouvernement britannique souhaite faire avaler à l’Eglise la couleuvre de la non-discrimination, il y parviendra tôt ou tard... Sauf si l’Eglise d’Angleterre reprend son indépendance du pouvoir politique, confisquée en 1534 par la Couronne.
2) La pointe de la résistance aux évêchesses fut conduit par des anglicans évangéliques, complètement protestants, et non par les anglo-catholiques, ces derniers ayant progressivement été marginalisés au sein de l’Eglise d’Angleterre, comme l’explique l’ancien correspondant religieux du quotidien conservateur The Telegraph Damian Thompson : "Dans les années 1990, les principaux leaders du mouvement catholique de l’Eglise d’Angleterre étaient les révérends John Broadhurst, Andrew Burnham (ex-évêque d’Ebbsfleet, ci-dessous), Peter Geldard, Geoffrey Kirk, David Silk et Stuart Wilson... Ils sont tous prêtres catholiques romains aujourd’hui". [3]
Le groupe Forward in Faith, fer de lance anglo-catholique au sein de l’Eglise d’Angleterre, est confronté au même dilemme qu’après l’ordination des premières femmes prêtres en 1992 : rester en faisant de la figuration ou rallier Rome. Cette dernière option, bien que de plus en plus décomplexée, ne va pas de soi, ni dans le sentiment britannique d’identité nationale exprimée à travers l’anglicanisme, ni dans l’expérience anglicane de large autonomie accordée aux membres du clergé, qu’ils ne retrouveraient plus dans l’Eglise catholique romaine. Le choix est encore particulièrement cornélien pour beaucoup de pasteurs et de fidèles.
La survie de l’élément catholique de l’anglicanisme est donc sérieusement remis en question. En un sens, cela confirme l’intuition de Benoît XVI de créer, contre vents et marrées, les Ordinariats ouverts aux anglicans en rupture avec leur Eglises [4]. Mais cela signifie également que les bonnes graines de vitalité chrétienne, susceptibles de contribuer à la reconstitution de la communion ecclésiale, sont aujourd’hui moins visibles et moins fécondes au sein de l’anglicanisme, les évangéliques exceptés.
3) L’oecuménisme avec les anglicans risque de devenir plus compliqué à chaque nouvelle "avancée" de leur Eglise. Les orthodoxes l’ont bien compris, et ont rompu leurs relations avec les Eglises les plus libérales du monde chrétien, l’Eglise luthérienne de Suède et l’Eglise épiscopale américaine. Le métropolite Hilarion, le "Monsieur relations extérieures" de l’Eglise orthodoxe russe, s’en est ouvert au nouveau archevêque de Canterbury, dès sa nomination : "L’introduction du sacerdoce – et maintenant de l’épiscopat – féminin, la bénédiction des « unions » et des « mariages » de même sexe, l’ordination d’homosexuels à la dignité de pasteur ou d’évêque, toutes ces innovations sont perçues par les orthodoxes comme une déviation de la tradition de l’Église ancienne, qui éloignent toujours plus l’anglicanisme de l’Église orthodoxe et contribuent à une division supplémentaire du monde chrétien dans son intégralité." [5]
Si l’oecuménisme n’est plus l’uniatisme, cette quête de l’Unité entre chrétiens suppose toutefois qu’ils partagent la même doctrine apostolique. Ce qui est de moins en moins le cas avec les protestants libéraux. Dès lors, quelle attitude adopter envers eux ? En finir avec l’hypocrisie, et pointer leurs graves erreurs doctrinales ? Ou poursuivre le dialogue, avec l’espoir qu’ils finissent par revenir à ce qui fait gloire à notre prénom de chrétiens ?
Je ne suis pas le pape. Je suis un simple laïc, qui se permet de féliciter ses frères anglicans s’étant courageusement opposés aux évêchesses : Well done, brothers !
[1] Vision du ministère que ni Martin Luther, ni Calvin n’avaient contesté de leur temps.
[2] De leurs côtés, les Chambres des évêques et du clergé votèrent très largement en faveur des évêchesses.
[4] L’Ordinariat Notre-Dame de Walsingham au Royaume-Uni, l’Ordinariat de la Chaire de Pierre aux Etats-Unis et au Canada, l’Ordinariat de Notre-Dame de la Croix du Sud en Australie.
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