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La récente crise internationale liée à la pandémie de coronavirus pousse près de trois milliards d’êtres humains au confinement, plus ou moins strict selon les pays. Cette pandémie bien que dramatique quant à son coût humain permet de mettre en lumière de façon spectaculaire les défaillances, réelles ou supposées, de notre société.
Les différents observateurs, de l’expert de plateau télé au simple citoyen s’exprimant via les réseaux sociaux, abondent de leurs analyses sur l’actualité et sur ses conséquences pour notre avenir proche. Le tout confirmé par le désormais célèbre« le jour d’après ne sera pas un retour au jour d’avant » prononcé par le président Emmanuel Macronlors de son discours télévisé annonçant le confinement de la population française.
En étudiant les discours de chacun, on constatera que ressortent souvent les mêmes axes d’analyse : cette pandémie serait une leçon d’écologie pour certains, une piqure de realpolitik pour d’autres.Après un mois de confinement en France, la majorité s’interroge également sur le risque sérieux d’atteinte aux libertés élémentaires qui résulterait de cette crise.
L’eau des canaux de Venise retrouve sa clarté, l’air des grandes métropoles chinoisesretrouve un niveau à peu près vivable, les oiseaux chantent de nouveau à Paris. C’est indéniable, l’efficacité du programme écologique du Covid-19 est redoutable.
Les commentaires sur les divers réseaux sociaux n’ont pas manqué de relayer ces informations et de faire remarquer ces effets bénéfiques de la pandémie. Les plus sages espèrent que ce retour de l’empire de la nature servira de leçon aux grands de ce monde et qu’au sortir de cette crise, ils tiendront compte des enjeux écologiques. Les plus radicaux semblent y déceler une nouvelle preuve de la nocivité de l’être humain pour la Terre-Mère : ne serait-ce pas l’Homme le virus ? La Terre ne serait-elle pas malade de l’Homme ? On constate que se développe dans les cercles écologistes « durs » des termes comme Écocide, entendu comme un crime contre la paix, certaines organisations internationales plaidant pour son entrée dans la législation internationale. On pourrait également citer ces jeunes (dont certains Français) qui pratiquent la stérilisation volontaire pour des raisons écologiques (le bilan carbone d’une descendance étant trop lourd pour leur conscience) ou encore l’antispécisme.
Cette novlangue traduit bien là une dérive ou plutôt une grande confusion, témoignant davantage d’une déconnection entre l’Homme et la Nature. Penser que l’Homme est par essence néfaste à l’équilibre de notre Planète relève du nihilisme, c’est-à-dire de l’instant pur, de l’incapacité à relier notre présent à un passé ou à un avenir. La confusion s’opère alors et on oublie qu’avant d’être le bourreau de la nature, l’homme en est avant tout une composante essentielle.
La véritable écologie consisterait donc à l’avenir à ramener l’Homme à sa véritable place, c’est-à-dire pour reprendre la formule de Chantal Delsol, se comporter comme « le jardinier qui cultive » plutôt que comme « le démiurge qui détruit » [1]. L’Homme devant retrouver sa place de gardien de la Création.
Selon cette logique, ce virus apparaîtrait comme uneNémésis, un rétablissement de l’ordre naturel des choses, sanctionnant l’Hubrisdes Hommes. La nature imposerait alors à l’Homme ce fléau pour le rappeler à ses limites.
Un célèbre essayiste ne manque pas de rappeler à raison que Raymond Aron nous enseigne que « l’Histoire est tragique ». La crise du coronavirus semble incarner cette sentence tant elle met à sac toutes les belles idéologies, plongeant les nations du Monde, les unes après les autres, dans les eaux glacées du calcul égoïste(pour reprendre la formule marxiste).
Est-il pertinent de dire que cette crise est le révélateur de la faillite de l’idéologie ultralibérale partagée par l’ensemble des élites mondialisées ? Ou au contraire faut-il y voir une déroute de l’Etat-providence et planificateur ?
Lors d’un récent numéro de l’émission l’Heure des Pros (CNEWS), le journalisteIvan Rioufol(Figaro) a considéré que la gestion de crise du coronavirus en France révèle la faillite de notre système public de santé. L’absence de masques, de tests permettant le dépistage ou encore l’incapacité à se mettre d’accord sur l’efficacité d’un traitement seraient les indicateurs d’une faiblesse d’un service public pourtant généreusement doté.
Le chroniqueur poursuit son raisonnement en prônant une réduction de la fonction régalienne dans le domaine de la santé, au profit de l’initiative privée. Le raisonnement paraît très douteux. La question des masques n’est pas une problématique de santé publique mais bien d’indépendance industrielle.
La France pratique depuis une cinquantaine d’années une politique qu’on peut aisément qualifier d’ultralibérale dans le sens où elle favorise les activités de services du secteur tertiaire au détriment du secteur industriel qui subit une délocalisation forcenée.
Les Français sont donc confrontés, face à une crise épidémique sans précédent dans l’histoire récente, au triste spectacle d’une commande massive des masques à la Chine. Le drame est total lorsque l’on constate que la livraison interviendra d’ici la fin du mois de juin et que certaines commandes déjàre çues,notamment en Belgique, comprennent des stocks entiers de masques inutilisables. Ce n’est donc pas le système étatique de santé français mais bien la désindustrialisation de postes stratégiques qui est en cause.La santé des Français relève donc désormais de la compétence du Ministre des Affaires Étrangères (le ministre Jean-Yves Le Drian se déclarant lui-même « le courtier » du ministre de la santé).
S’agissant de la dotation de l’hôpital public, là encore l’analyse d’un excès d’étatisme ne satisfait pas non plus. Au contraire, le budget de ce poste régalien est gravement atteint, mais encore faut-il dénoncer le véritable coupable.
Les observateurs n’ont pas hésité à pointer le mutisme de l’Union européenne face aux difficultés de ses États membres. L’Union européenne ne serait qu’un agrégat de bureaucrates et de financiers insensibles. Iln’en fallait pas moins pour susciter les vives réactions d’eurolâtres bien rôdés à l’exercice : « la compétence de la santé publique n’ayant pas été transférée à l’Union, elle appartient toujours aux États membres ». Donc si l’Union européenne est défaillante et risque de s’effondrer du fait de la pandémie c’est parce que les États membres n’ont pas été capables de mettre en place une politique coordonnée de la santé, de céder à l’Union de véritables pouvoirs en matière de politique sanitaire. En somme, si l’Union européenne ne fonctionne pas, c’est parce qu’il faut davantage d’Union européenne.
L’argumentaire, extensible à l’infini, était déjà utilisé par les soviétiques pour contrecarrer les opposants dénonçant la faillite du modèle communiste.
Pourtant, il faut rappeler qu’à la suite de la crise financière de 2007, les institutions européennes se sont vues dotées de pouvoirs leur permettant de superviser les politiques nationales budgétaires et économiques, affectant par le prisme des finances publiques, les systèmes de santé nationaux [2]. En émettant des recommandations spécifiques sur la santé, à peine de sanctions financières pour les mauvais élèves, les institutions de l’Union ont imposé une réduction des coûts des soins institutionnels, une réduction des dépenses pharmaceutiques, une réduction du nombre d’hôpitaux, lits d’hôpitaux et de professionnels de la santé.
C’est donc une transposition de la logique d’entreprise, de gouvernance, de rentabilité et d’optimisation des coûts qui s’est imposé dans le domaine du régalien. Or le domaine du régalien, du latin regalis(royal) est le domaine du souverain, de l’indépendance et de l’autonomie.
La perte de son indépendance budgétaire par la France, en s’imposant des protocoles de rigueur budgétaire européens, a eu pour conséquence une perte de son indépendance sanitaire (pénurie de masques chirurgicaux, de lits de réanimation, de respirateurs pour les malades, et de personnel hospitalier).
A contre-courant de cette vision très libérale de la crise, une partie des observateurs pointe la responsabilité de l’idéologie ultralibérale dans cette faillite généralisée. Ne serait-ce pas l’heure du procès de la mondialisation ?
Cette analyse est plus séduisante et en partie pertinente mais ne suffit pas à expliquer la gravité de la crise que nous traversons. Les épidémies meurtrières ne sont pas un phénomène nouveau. Malheureusement, le phénomène est bien connu en Asie, le continent étant fréquemment touché par ce fléau. De même, l’imaginaire européen est hanté par le spectre de pestes meurtrières, ou encore de lépreux errant à l’entrée des villes dont ils furent chassés.
La Peste Noire, responsable de la disparition de 30 à 50% des Européens en 5 ans, est apparue en Europe au cours du
En réalité, il convient de distinguer la mondialisation, le capitalisme à l’échelle du monde, du mondialisme, la théorie politique s’appuyant sur la mondialisation pour prôner l’effacement des États-nations historiques au profit d’une gouvernance mondiale.
Fondamentalement, la frontière doit donc avoir une fonction d’enveloppe protectrice, permettant à l’individu de ne pas être abandonné, seul face aux forces de la mondialisation qui menacent de la traverser avec violence.
Le refus obstiné du président Emmanuel Macron d’opérer une fermeture des frontières nationales pour la durée d’une crise sanitaire internationale révèle qu’il est imprégné de cette idéologie mondialiste. La magistrale porte-parole du gouvernement ayant même déclaré que les frontières physiques n’avaient« pas de sens contre un virus ». À ce jour, desItaliens peuvent donc en toute impunité se rendre en France, alors même que les carabiniers italiens empêchent l’entrée sur leur territoire à tout étranger.
Là encore la question posée est celle de la souveraineté. Sans doute notre chef de l’Etat ne souhaite pas suspendre les accords de Schengen de peur du « repli nationaliste » qu’il ne cesse de combattre. Il s’agirait pourtant d’un pur acte souverain. Le penseur de l’Etat moderne, le français Jean Bodin, déclarait que la souveraineté était « la puissance absolue et perpétuelle de la République » [3]. Or la puissance étatique signifie puissance unilatérale de commandement [4]. En clair, il s’agit là de l’indépendance nationale, dont le chef de l’Etat est pourtant le garant (article 5 de la Constitution française).
Sur ce point de la frontière on fera remarquer que la volonté partagée par nombre de nos élites de s’affranchir de la frontière sous toutes ses formes, s’accompagne paradoxalement de sa résurgence sous d’autres formes. Si les frontières nationales tendent à s’effacer, on voit apparaître les quartiers résidentiels fermés, les portiques de sécurité anti-terroristes, ou encore la ceinture de verre pare-balles entourant la Tour Eiffel.
La crise qui nous frappe aujourd’hui ne se contente pas de redessiner les frontières entre les États, elle individualise la frontière en la recentrant sur le citoyen lui-même. Qu’est-ce que la politique du confinement, si ce n’est le fait d’ériger de facto une frontière entre les hommes et un extérieur potentiellement dangereux ? La frontière nationale, enveloppe protectrice, condamnée hier par nos dirigeants, retrouve toutes ses vertus et est imposée à chacun à travers cette politique du confinement.
À la suite de la Chine ou encore de l’Italie, la France est soumise au confinement généralisé, avec pour objectif principal la réduction du nombre d’infectés et éviter de déborder les hôpitaux. D’un point de vue juridique, on constate donc une terrible restriction de la liberté la plus élémentaire, celle d’aller et venir.
La loi du 23 mars 2020, faisant suite à une ordonnance du 22 mars, va donc créer « l’état d’urgence sanitaire », emportant des effets lourds :restriction de circulation, interdiction de sorties du domicile, mesures de quarantaine et de placement en isolement, fermeture provisoire des établissements recevant du public, droit de réquisition.
En temps normal, ce genre de dispositif aurait suscité de vifs débats et de sévères critiques. Certes les circonstances actuelles sont extraordinaires, mais il est étonnant de constater que les médias « officiels » se contentent plus que jamais de simplement relayer les éléments d’informations communiqués par le gouvernement, sans jamais les questionner ou réprouver. L’heure est à l’unité nationale, il faut faire corps face à cette épreuve nous dit-on. Le chef de l’Etat lors de son discours télévisé, décrétant la France en guerre, tout comme les annonces quotidiennes du nombre de victimes du directeur de la santé, aboutissent à la mise en place d’un gouvernement de l’émotion, censé susciter approbation et l’adhésion des masse.
L’application d’un confinement généralisé relève-t-il d’une stricte application pratique du sacro-saint principe de précaution, constitutionnalisé en 2005 ou bien d’un simple aveu de manque d’anticipation ?
C’est désormais le droit à la vie privée qui est menacé avec une politique de traçage par Bluetooth à l’étude. Et on est étonné de constater dans le sondage (avec leur vérité toute relative) que les Français y serait majoritairement favorable. Le journaliste Christophe Barbier (Le Point) propose même de réserver les futurs tests sérologiques aux citoyens ayant accepté le système du traçage. Il est vrai que les grands médias ne manquent de répéter que ces mesures sont entreprises « pour la bonne cause ». On rappellera simplement que dans les régimes autoritaires, toutes les restrictions et atteintes portées aux libertés le sont toujours dans l’intérêt réel ou supposé du plus grand nombre.
Mais le confinement est un révélateur plus intime de l’état d’esprit de nos sociétés, qui tend vers le biopouvoir exposé par Michel Foucault. Il s’agit du pouvoir s’exerçant sur la vie (des corps et de la population). Alors que le pouvoir politique possédait auparavant le droit de donner la mort, notre pouvoir moderne semble se donner pour mission d’allonger la vie.
Autrefois, la durée de la vie n’avait que peu d’importance car c’est la mort qui était l’aboutissement de la vie : il fallait mourir chrétiennement ou encore héroïquement [5]. À notre époque, la vie est scrupuleusement étudiée et préservée car son aboutissement est de la conserver le plus longtemps possible. Cette tendance à l’optimisation, la maximalisation du vivant conduit certains au transhumanisme (à « la mort de la mort » du Dr. Laurent Alexandre). De façon plus réaliste et surtout d’actualité, cela conduit l’Etat à s’immiscer dans le vivant afin de le sécuriser, de maximiser, au mépris de sa liberté.
[1] Chantal Delsol –La Haine du monde – Totalitarismes et postmodernité, Les Éditions du Cerf, 2016
[2] Rita Baeten{}–La réforme des systèmes nationaux de santé sous la gouvernance économique de l’Union européenne, Humanitaire Enjeux, pratiques, débats – OpenEdition Journals
[3] Jean Bodin –Les six livres de la République, 1576
[4] Boris Barraud –Souveraineté et puissance de l’Etat, Revue de la recherche juridique, 2017
[5] François Bousquet, Biopolitique du coronavirus, Revue Éléments, 9 avril 2020
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