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Que dit l’Église de la politique ? (7/7)

En guise de bonus, une petite annexe à la catéchèse d’Avent de Mgr Le Vert, évêque de Quimper.

ANNEXE - L’Église, indépendante des formes de gouvernement

De même que l’État est souverain dans son ordre, l’Église l’est dans le sien. Et en tant que telle, elle affirme sa liberté envers les diverses formes de gouvernement, et du même coup, elle proclame la juste liberté des peuples différents à cet égard : « Chacune de ces formes est bonne, pourvu qu’elle sache marcher droit à sa fin, c’est-à-dire le bien commun pour lequel l’autorité sociale est constituée... Chaque peuple possède la sienne propre, qui naît de l’ensemble des circonstances historiques ou nationales, mais toujours humaines, qui font surgir dans une nation ses lois traditionnelles et même fondamentales, et par celles-ci, se trouve déterminée telle forme particulière de gouvernement, telle base de transmission des pouvoirs supérieurs [1] ».

L’Église, au cours des siècles, a été en relation avec les formes de gouvernements les plus diverses. Elle a traité avec les gouvernements existants pour assurer les conditions de la transmission de l’Évangile. Elle les accueille sans parti pris, comme sans illusion. Elle les prend pendant qu’ils durent, elle qui est plus ancienne que la grande majorité des États actuels, et leur témoigne le respect sincère qui se doit à la fonction de l’État. Mais elle n’a pas à s’y inféoder et reste disponible pour les changements éventuels de l’histoire qui continue.

L’Église, indépendante des politiques particulières

Mais non seulement l’Église est indépendante des formes de gouvernement, mais elle l’est aussi par rapport aux politiques particulières. Elle n’a pas à donner son approbation aux actes particuliers d’un gouvernement. Ici, la distinction entre pouvoirs constitués et législation est importante : « La législation diffère à tel point des pouvoirs politiques et de leur forme que, sous le régime dont la forme est la plus excellente, la législation peut être détestable, tandis qu’à l’opposé, sous le régime dont la forme est la plus imparfaite, peut se rencontrer une excellente législation [2] ».

L’Église ainsi ne confond pas dans le même jugement un gouvernement et la doctrine dont il s’inspire : elle peut être amenée à condamner une doctrine sans mettre en cause la légitimité d’un gouvernement ; et réciproquement, approuver une doctrine sans pour autant approuver les mesures qui la mettent en œuvre ni le gouvernement qui la professe. Et les exemples dans la seule histoire de France abondent [3].

On peut aller plus loin encore. Supposons que, quelque part dans le monde, un gouvernement et une société, de foi catholique, s’organisent de telles manière que les institutions y soient pleinement conformes aux exigences de l’esprit chrétien. L’Église s’en réjouira pour le bien qu’il en résultera, mais elle ne fera pas de cette société le type de société chrétienne définitive, car aucune société ne saurait être absolument chrétienne. L’esprit chrétien peut s’exprimer en d’autres formes de gouvernement qui, en un temps et un lieu différents, conviendront davantage aux conditions historiques et nationales. L’Église le sait, et si elle approuve ce qui se fait, elle se réserve pour ce qui se fera encore. Elle ne s’enfermera jamais dans une réalisation historique particulière.

L’Église et les partis

Pour les mêmes raisons, l’Église ne se lie à aucun parti. Il peut y avoir des partis dont elle condamne les idées. Mais aucun parti ne la représente si parfaitement qu’elle puisse s’y lier, et la complexité des données économiques, sociales et politiques est telle que des solutions différentes peuvent également se trouver en accord avec les exigences de la doctrine chrétienne. Ce que l’Église demande, c’est un esprit chrétien, ce sont des principes chrétiens, ce sont des vertus chrétiennes. Mais esprit, principes et vertus peuvent se trouver dans des programmes différents, dont chacun bien sûr aura considéré de préférence certains aspects du problème total. Il n’y a pas une politique financière, une politique internationale, une politique intérieure du catholicisme, même si tels ou tels projets peuvent correspondre à la doctrine et aux vœux de l’Église. En revanche, il y a une manière chrétienne et évangélique de faire de la politique, de l’économie, de la diplomatie, etc.
Bien sûr, il est tout à fait normal qu’en certains cas, les catholiques se rassemblent en vue d’une action déterminée où la doctrine et les principes essentiels sont en jeu. Mais un parti politique, à supposer même qu’il ne soit composé que de chrétiens, ne saurait prétendre à engager l’Église. Ses actes resteront ceux d’un parti, dont l’Église peut reconnaître la valeur en correspondance avec celles de l’Évangile ; ils ne seront pas ceux de l’Église.

Mgr Jean-Marie Le Vert, évêque de Quimper et de Léon

[1Léon XIII, Lettre au Clergé de France : « Au milieu des sollicitudes », 1892.

[2Idem.

[3Ainsi, la monarchie de Louis XIV professa un gallicanisme qui s’exprima un jour en articles déterminés : Rome condamna les articles, mais la légitimité de la monarchie française ne fut pas atteinte. La Troisième République s’inspira d’un laïcisme agressif : Rome condamna le laïcisme, sans condamner en même temps la forme du gouvernement français.

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