L’infolettre du R&N revient bientôt dans vos électroboîtes.

Que dit l’Église de la politique ? (5/7)

Voici le grand II du développement de la catéchèse de Mgr Le Vert, évêque de Quimper.

2. L’ENGAGEMENT POLITIQUE DU CHRÉTIEN

2.1 – L’importance de l’engagement politique des chrétiens

Bien évidemment, chacun de nous, comme citoyen, a un engagement politique par son droit de vote, dont je rappelle que l’exercice est un devoir moral et chrétien. Mais il y a une autre conviction qui peut nous animer et orienter notre action : la présence active des chrétiens dans la réflexion et l’agir en politique est essentielle à la politique, comme elle est essentielle à leur foi et à la vie de l’Église. En d’autres termes, la politique s’appauvrit dangereusement lorsque les chrétiens la désertent.

Réciproquement, la foi des chrétiens et la vie ecclésiale s’appauvrirait dangereusement si les chrétiens n’engageaient pas le trésor de leur foi dans la confrontation et le débat politique, ainsi que dans l’action pour le bien commun de la cité, du pays et des biens universels. Cela dans l’écoute et le respect de chacun.
Ainsi, on peut légitiment se poser la question de l’avenir d’une société lorsque la relation entre le religieux et le politique disparaît du fait du désintérêt de la religion pour les affaires politiques, ou de la disparition de la religion par la sécularisation de cette société. Que deviendrait une société, si disparaît l’instance symbolique que représente la religion, instance symbolique qui empêche cette société de se fermer sur elle-même, de penser qu’elle trouve en elle seul son origine et sa fin ?

2.2 – Quelle devrait être l’attitude du chrétien engagé en politique ?

On comprend donc que l’engagement politique des chrétiens est important. Mais celui-ci ne peut se faire n’importe comment. En novembre 2002, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi a produit une « Note doctrinale à propos de questions sur l’engagement et le comportement des catholiques dans la vie politique ». Cette note est signée du cardinal Ratzinger, et a été validée par Jean-Paul II. Je voudrais en donner ici un rapide aperçu : elle rappelle quelques principes, propres à la conscience chrétienne, qui inspirent l’engagement social et politique des catholiques.
Mais avant toute chose, une précaution oratoire : cette note ne cherche pas à limiter la liberté d’opinion des catholiques sur des questions contingentes ; elle veut au contraire éduquer et éclairer leur conscience, surtout celle de ceux qui se consacrent à la vie politique, afin que leur action reste toujours au service de la promotion intégrale de la personne et du bien commun. Elle montre aussi la cohérence qu’il doit y avoir dans notre vie : dans notre existence, il ne peut y avoir deux vies parallèles, d’un côté la vie qu’on nommerait « spirituelle », avec ses valeurs et ses exigences ; et de l’autre, la vie dite « séculière », c’est-à-dire la vie de famille, de travail, de rapports sociaux, d’engagement politique, d’activités culturelles. Tout cela doit être uni par la même conscience.

  •  La note commence par mettre en garde contre le relativisme culturel, moral et politique, c’est-à-dire l’idée selon laquelle toutes les conceptions du bien de l’homme et de la vie ont la même vérité et la même valeur, en s’appuyant de façon trompeuse sur la valeur de la tolérance.La note rappelle de l’existence d’une loi naturelle, et qui fonde ce que nous croyons de l’homme, du bien commun et de l’État. Le relativisme est d’ailleurs nuisible pour la vie démocratique elle-même, celle-ci ayant besoin de fondements vrais et solides, c’est-à-dire de principes éthiques « non négociables » parce qu’ils fondent justement la vie sociale.
  •  Dans leur participation à la vie politique, la note appelle les laïcs catholiques à toujours se conformer à la doctrine morale et sociale chrétienne. En particulier, leur participation directe aux choix politiques n’est possible que dans la mesure où ils sont fondés sur une juste conception de la personne et sur son caractère central. L’Église rappelle que, sur ce principe, l’engagement des catholiques ne peut tolérer aucun compromis, car, autrement, le témoignage de la foi chrétienne dans le monde, ainsi que l’unité et la cohérence interne des fidèles eux-mêmes, seraient mis en défaut. Et c’est d’ailleurs totalement logique, puisque c’est justement le respect de la personne qui rend possible la participation démocratique…
  •  Sur ce point de la personne, la note se fait plus précise et plus impérieuse : « ceux qui sont engagés directement dans les instances législatives ont une obligation précise de s’opposer à toute loi qui s’avère un attentat contre la vie humaine. Pour eux, comme pour tout catholique, il est impossible de participer à des campagnes d’opinion en faveur de telles lois, et il n’est permis à personne de les soutenir par son vote [1] ». Ici sont cités le refus de l’euthanasie et de l’avortement, le respect et la protection des droits de l’embryon humain ; la protection et la promotion de la famille, fondée sur le mariage monogame entre personnes de sexe différent, et protégée dans son unité et sa stabilité, face au divorce ; la liberté religieuse ; le développement dans le sens d’une économie qui soit au service de la personne et du bien commun, dans le respect de la justice sociale, du principe de solidarité humaine et de la subsidiarité. Tout cela est donc précis.

En soi, ces points à respecter ne sont pas des « valeurs confessionnelles », car de telles exigences éthiques sont enracinées dans l’être humain et appartiennent à la loi morale naturelle. Elles n’exigent pas de ceux qui les défendent la profession de la foi chrétienne, même si la doctrine de l’Église les confirme et les protège, dans un service désintéressé de la vérité sur l’homme et sur le bien commun de la société. Et le fait que certaines de ces vérités soient aussi enseignées par l’Église ne réduit en rien la « laïcité » de l’engagement de ceux qui se reconnaissent en elles : elles sont communes à l’humanité.

  •  La note aborde aussi la laïcité. Celle-ci, comprise comme autonomie de la sphère civile et politique par rapport à la sphère religieuse et ecclésiastique (mais pas par rapport à la sphère morale), est une valeur acquise et reconnue par l’Église. La note dit même qu’elle appartient au patrimoine de civilisation déjà atteint [2].
  • L’Église enseigne également qu’il n’existe pas d’authentique liberté sans vérité. La recherche de la vérité est donc une condition essentielle à une véritable politique qui veut éviter le libéralisme et l’individualisme qui nuisent à la protection du bien de la personne et de la société entière. Il y a donc une exigence de vérité pour le chrétien engagé politiquement.
Mgr Jean-Marie Le Vert, évêque de Quimper et de Léon

[1Comme l’a enseigné Jean-Paul II dans l’encyclique Evangelium vitae à propos du cas où il ne serait pas possible d’éviter ou d’abroger totalement une loi permettant l’avortement déjà en vigueur ou mise au vote, cela n’empêche pas qu’« un parlementaire, dont l’opposition personnelle absolue à l’avortement serait manifeste et connue de tous, pourrait licitement apporter son soutien à des propositions destinées à limiter les préjudices d’une telle loi et à en diminuer ainsi les effets négatifs sur le plan de la culture et de la moralité publique » (n° 73).

[2Jean-Paul II, Exhortation apostolique post-synodale Christifideles laici, n. 59. Le passage cité est tiré du concile Vatican II (Décret Apostolicam actuositatem, n° 4). Jean-Paul II a maintes fois mis en garde contre les périls qu’entraîne toute confusion entre la sphère religieuse et la sphère politique : « On arrive à des situations très délicates lorsqu’une norme spécifiquement religieuse devient, ou tend à devenir, loi de l’État, sans que l’on tienne compte comme on le devrait de la distinction entre les compétences de la religion et celles de la société politique. Identifier loi religieuse et loi civile peut effectivement étouffer la liberté religieuse et aller jusqu’à limiter ou nier d’autres droits inaliénables de l’homme » (Message pour la célébration de la Journée mondiale de la Paix 1991 :
« Si tu veux la paix, respecte la conscience de tout homme »)

Prolongez la discussion

Le R&N a besoin de vous !
ContribuerFaire un don

Le R&N

Le Rouge & le Noir est un site internet d’information, de réflexion et d’analyse. Son identité est fondamentalement catholique. Il n’est point la voix officielle de l’Église, ni même un représentant de l’Église ou de son clergé. Les auteurs n’engagent que leur propre conscience. En revanche, cette gazette-en-ligne se veut dans l’Église. Son universalité ne se dément point car elle admet en son sein les diverses « tendances » qui sont en communion avec l’évêque de Rome : depuis les modérés de La Croix jusqu’aux traditionalistes intransigeants.

© 2011-2025 Le Rouge & le Noir v. 3.0, tous droits réservés.
Plan du siteContactRSS 2.0