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a – Pour une pratique chrétienne de la politique, 1972
Bien que très marqué par le contexte post 68 et les vifs débats de l’époque, ce texte important reste très éclairant par la qualité de sa réflexion. Notons d’abord l’affirmation importante contenue dans le titre : il n’y a pas de « politique chrétienne », mais une « pratique chrétienne de la politique », qui est d’ailleurs à « inventer ».
La question du pluralisme politique des catholiques y est centrale. Pris très au sérieux, les conflits ne sauraient être le dernier mot. Il y a aussi une ferme critique de la vision idéologique qui ramène tout à la lutte des classes. En effet, le texte souligne que « l’Évangile n’est pas neutre … La Bible manifeste un certain nombre d’exigences éthiques : le respect des pauvres, la défense des faibles, la protection des étrangers, la suspicion de la richesse, la condamnation de la domination exercée par l’argent, l’impératif primordial de la responsabilité personnelle, l’exercice de toute autorité comme un service, le renversement des pouvoirs totalitaires… Aucun chrétien n’a le droit, sous peine de trahir sa foi, de soutenir des options qui acceptent, prônent, engendrent ou consolident ce que la Révélation, tout comme la conscience humaine, réprouve [1] ».
D’utiles précisions sont données sur les rôles respectifs des laïcs d’une part, des évêques et prêtres de l’autre dans le rapport à la politique. Ces derniers ne peuvent plus exercer de mandats électifs (ce n’est pas dans ce texte, mais c’est la discipline de l’Église universelle, après une période où cela avait été toléré : cf. l’Abbé Pierre, le chanoine Kir, etc.), notamment parce qu’ils ont à être pasteurs de communautés dont les membres laïcs peuvent être légitimement engagés dans des camps opposés. Mais cela ne signifie pas qu’ils doivent s’abstenir de toute parole publique « lorsque sont en jeu les droits humains fondamentaux à défendre, la cause de la justice et de la paix à promouvoir, par des moyens qui s’accordent évidemment toujours avec l’Évangile [2] ». Leurs interventions en matière politique, dit le texte, pourront « Étonner », et ils devront s’en expliquer ; mais « ils ne sont pas de purs reflets de leurs communautés [3] » : ils sont les pasteurs et rappellent l’Évangile.
b – Politique, l’affaire de tous, 1991
Près de vingt ans plus tard, le contexte est très différent : il ne s’agit plus de rappeler les limites du politique (omniprésent en 1972 : « Tout est politique », disait-on), mais au contraire de réagir contre la désaffection envers le politique, le retrait dans la sphère privée, l’individualisme. Déjà apparait la formule qui sera reprise en 1999 : il faut « réhabiliter la politique ».
c – Réhabiliter la politique, 1999
Dans la même ligne, les évêques insistent à nouveau sur la nécessité de réhabiliter la politique. Ils précisent ce qu’apporte la foi : un sens, des repères et une espérance. Deux questions transversales sont présentes dans le texte : le débat pluralisme et l’indifférentisme.
Le pluralisme, on l’a vu, est totalement légitimé. Mais quelles sont ses limites ?
L’Église ne peut présenter la foi chrétienne comme neutre politiquement, acceptant toute décision déterminée par la seule loi de la majorité. Elle accepte le pluralisme, certes, mais refuse de réduire la démocratie au « formalisme » juridico-politique. S’il est normal que les pouvoirs publics soient neutres quant aux conceptions philosophiques et aux convictions religieuses, on ne peut se résigner à une neutralisation des valeurs fondamentales, sans lesquelles une communauté politique perd ses raisons d’être ensemble.
En plus de cette réflexion générale sur la politique, les papes ou les épiscopats ont souvent pris position sur des questions éthiques qui ont une incidence politique. Parcourir le Compendium de la doctrine sociale de l’Église, c’est prendre conscience de la diversité des sujets traités depuis trente ans dans des textes des papes (encycliques ou messages) : le développement des peuples, les droits de l’homme, la dette des pays pauvres, le travail, la famille, la bioéthique, le droit d’asile, l’environnement, le nationalisme, le devoir d’ingérence, la guerre et la paix, etc. Les évêques de France, de leur côté, se sont prononcés (soit en assemblée plénière, soit à travers telle ou telle de leurs commissions) sur des sujets aussi divers que la dissuasion nucléaire, le chômage, le racisme, la drogue, le logement, l’accueil de l’étranger, le droit d’asile, la peine de mort, l’avortement, le Pacs, la reprise des essais nucléaires, l’Europe, les retraites, l’euthanasie, la loi sur le voile, etc. Liste évidemment non exhaustive.
Ils l’ont fait aussi par des messages avant chaque grande élection. Les évêques de France, tout en rappelant le devoir de voter, y donnent des indications générales : bien commun, souci des plus pauvres, accueil de l’étranger, respect de la famille et de la vie, etc. Ils rappellent que, sur certains points en débat, toutes les positions ne sont pas équivalentes pour un chrétien. La fidélité à l’Évangile amène à refuser des politiques qui méprisent la dignité de la vie humaine, se désintéressent des exclus, se ferment à l’étranger, entretiennent la haine ou l’intolérance, prônent la seule poursuite de l’intérêt national sans souci du bien universel, etc. On en a eu des exemples récents, fin 2006, avec le texte « Qu’as-tu fait de ton frère ? » ; et en 2011 avec « Élections : un vote pour quelle société ? », qui invitait à examiner de près le programme de chaque candidat à travers le filtre de treize propositions.
Bien que le point commun à tous ces textes soit l’importance des enjeux éthiques sous-jacents, d’aucuns – y compris parmi les fidèles – se demandent si l’Église ne sort pas de son rôle en exprimant son opinion sur ces sujets. On se souvient de la célèbre apostrophe qu’un amiral avait adressée, en 1973, à des évêques qui critiquaient les essais nucléaires : « Halte-là, messieurs de la prêtrise, voulez-vous bien, je vous prie, vous mêler de vos oignons ! » Bonne question, en effet : quels sont les « oignons » de l’Église ? En France, la question est d’autant plus délicate que la laïcité en France y est parfois interprétée, à tort, comme exigeant des autorités religieuses qu’elles se taisent sur tout sujet politiquement controversé.
L’Église ne peut se désintéresser de la politique, et son discours ne peut se restreindre à rappeler quelques grands principes éthiques généraux. Comme nous l’avons vu précédemment, elle peut aller plus loin : on doit lui reconnaître le droit de « porter un jugement moral, même en des matières qui touchent le domaine politique, quand les droits fondamentaux de la personne ou le salut des âmes l’exigent [4] ». Voilà une réponse à la question sur les « oignons » de l’Église : dès lors que sont en jeu non seulement sa mission spirituelle – le salut des âmes – mais aussi le respect des droits fondamentaux de la personne, l’Église se mêle de ses oignons quand elle cherche à éclairer les consciences et quand elle engage son autorité dans le débat. Reste à déterminer, évidemment, dans quelle mesure les droits fondamentaux de la personne sont ou non en jeu dans les décisions politiques évoquées. Pour porter ce jugement prudentiel, ceux qui détiennent l’autorité de l’Église doivent se référer à des laïcs compétents. En faisant tout cela, l’Église ne veut pas, en prenant position, imposer ses vues. L’Évangile n’impose rien. Mais elle invite, en croyant que ses invitations sont chemins de vie, non seulement pour les chrétiens et pour les croyants, mais aussi pour toute la société. Et si elle le croit, elle n’a pas le droit de se taire.
[1] Assemblée plénière de l’Épiscopat français, Pour une pratique chrétienne de la politique, 28 octobre 1972, Paris, éd. du Centurion, 1972, p. 19-20.
[2] Ibid., p. 46-47.
[3] Ibid., p. 47.
[4] Gaudium et spes 76 , 5.
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