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Que dit l’Église de la politique ? (2/7)

Après un premier article d’introduction, voici la première partie du développement de Mgr Le Vert, évêque de Quimper.

1. L’ENSEIGNEMENT DE L’ÉGLISE SUR LA POLITIQUE

Je vous propose tout d’abord de parcourir rapidement l’enseignement de l’Église sur la politique, à partir de textes majeurs récents.

1.1 – Vatican II : la politique, une nécessité pour atteindre le « bien commun »

Le texte majeur où le Concile parle de la politique est la constitution Gaudium et spes (deuxième partie, chapitre IV, n° 73-76). Pour Gaudium et spes, la légitimité de l’action politique tient au fait que les individus, les familles, les groupements divers (ce qu’on appelle « la communauté civile ») ne sont pas en mesure d’atteindre seuls efficacement le bien commun. Ils doivent conjuguer leurs forces dans une « communauté politique ». Et dans cette communauté politique, une « autorité publique » est nécessaire comme arbitre (face à la diversité) et comme gestionnaire du bien commun (face à la complexité), mais à condition qu’elle protège les droits des personnes et s’exerce « dans les limites de l’ordre moral ». Ainsi, l’Église enseigne que l’autorité politique est une condition de la vie vraiment humaine : pas de vie humaine sans société, car isolé de ses semblables, l’homme ne peut ni subsister, ni acquérir son plein développement ; et pas de société sans autorité qui en assure le bien commun.
Mais, continue Gaudium et spes, « pour instaurer une vie politique vraiment humaine, rien n’est plus important que de développer le sens intérieur de la justice, de la bonté, le dévouement au bien commun ». Il est aussi nécessaire de connaître « la nature véritable de la communauté politique », ainsi que les conditions du « bon exercice et les limites de l’autorité publique ». Pour nous, cette communauté politique et cette autorité publique « trouvent leur fondement dans la nature humaine et relèvent par là d’un ordre fixé par Dieu ». Mais Gaudium et spes précise que « la détermination des régimes politiques, comme la désignation des dirigeants, soient laissées à la libre volonté des citoyens ».

L’Église considère donc que la politique n’est pas est étrangère au plan divin. L’Église ne croit pas au manichéisme d’un univers divisé entre deux maîtres : le monde de Dieu et le monde de la politique. L’État est un moyen que Dieu nous donne pour aller normalement de façon juste, harmonieuse et paisible vers lui. Et donc, l’Église et la politique ne peuvent s’ignorer, puisqu’ils ont les mêmes sujets : ce sont les mêmes hommes qui sont citoyens de la cité terrestre et de la cité spirituelle. L’Évangile dit que l’Église n’est pas de ce monde, mais qu’elle est dans le monde ; en effet, elle fait son travail en ce monde, mais en vue de l’éternité. Elle est donc nécessairement engagée dans les affaires terrestres, et elle ne peut éviter de s’intéresser à la politique.

Respecter l’autorité politique légitime, c’est donc respecter une loi de la nature humaine, et c’est respecter Dieu qui l’a fondée. Il est à remarquer que le Christ lui-même a voulu se soumettre à cet ordre, même vis-à-vis des autorités du peuple juif ou de Pilate, l’occupant romain. Un des plus anciens textes chrétiens que nous ayons, la lettre de Clément de Rome aux Corinthiens, alors que toutes les persécutions ne sont pas finies, se termine par une grande prière pour les princes : « Rends-nous soumis à nos princes et à ceux qui nous gouvernent sur la terre. C’est toi, Maître, qui leur as donné le pouvoir de la royauté par ta magnifique et indicible puissance, afin que, connaissant la gloire et l’honneur que tu leur as départis, nous leur soyons soumis et ne contredisions pas ta volonté. Accorde-leur, Seigneur, la santé, la paix, la concorde, la stabilité, pour qu’ils exercent sans heurt la souveraineté que tu leur as remise ». Les princes, ce sont Néron, Domitien... Loyale, l’Église persécutée prie pour ceux qui gouvernent la Terre…

Mais cette vision du politique dans Gaudium et spes suppose une sorte d’accord spontané : tout le monde est supposé vouloir le bien commun. Le politique est nécessaire seulement pour coordonner (pour plus d’efficacité) et harmoniser (pour gérer la diversité des opinions) les efforts de tous. Et on voit bien alors qu’un enjeu est justement la définition du bien commun qui, pour l’Église, n’est jamais la somme de l’ensemble des intérêts particuliers. Ce bien commun est lié à la dignité humaine.
Le texte de Gaudium et spes, dans sa brièveté, précise également plusieurs points intéressants qui concernent l’engagement des chrétiens dans la vie politique :

  •  d’abord une reconnaissance : « L’Église tient en grande considération et estime l’activité de ceux qui se consacrent au bien de la chose publique et en assurent les charges pour le service de tous … Tous les chrétiens doivent prendre conscience du rôle particulier et propre qui leur échoit dans la communauté politique : ils sont tenus à donner l’exemple en développant en eux le sens des responsabilités et du dévouement au bien commun » ;
  •  ensuite une clarification sur la légitimité du pluralisme des opinions, même chez les chrétiens : « En ce qui concerne l’organisation des choses terrestres, qu’ils reconnaissent comme légitimes des manières de voir par ailleurs opposées entre elles et qu’ils respectent les citoyens qui défendent honnêtement leur opinion… Fréquemment, c’est leur vision chrétienne des choses qui inclinera [les laïcs] à telle ou telle solution, selon les circonstances. Mais d’autres fidèles, avec une égale sincérité, pourront en juger autrement… Que toujours, dans un dialogue sincère, ils cherchent à s’éclairer mutuellement, qu’ils gardent entre eux la charité et qu’ils aient avant tout le souci du bien commun » ;
  •  le fait aussi que l’Évangile ne peut être revendiqué de manière exclusive dans ces opinions différentes : « S’il arrive que beaucoup lient facilement, même contre la volonté des intéressés, les options des uns ou des autres avec le message évangélique, on se souviendra en pareil cas que personne n’a le droit de revendiquer d’une manière exclusive pour son opinion l’autorité de l’Église » ;
  •  enfin l’appel à tous de collaborer à la vie publique : « Pour que tous les citoyens soient en mesure de jouer leur rôle dans la vie de la communauté politique, on doit avoir un grand souci de l’éducation civique et politique ; elle est particulièrement nécessaire aujourd’hui, soit pour l’ensemble des peuples, soit et surtout pour les jeunes. Ceux qui sont, ou peuvent devenir capables d’exercer l’art très difficile, mais aussi très noble de la politique, doivent s’y préparer ; qu’ils s’y livrent avec zèle, sans se soucier de leur intérêt personnel ni des avantages matériels. Ils lutteront avec intégrité et prudence contre l’injustice et l’oppression, contre l’absolutisme et l’intolérance, qu’elles soient le fait d’un homme ou d’un parti politique ; et ils se dévoueront au bien de tous avec sincérité et droiture, bien plus, avec l’amour et le courage requis par la vie politique ».

1.2 – Lettre apostolique « Octogesima adveniens » de Paul VI, 14 mai 1971 [1]

Six ans plus tard, Paul VI écrit un texte assez différent, non sur le fondement du politique, qui reste la visée du bien commun, mais par la prise en compte des débats de l’époque. Paul VI parle de la nécessité d’un « projet de société » pour orienter l’action politique, ce qui le conduit à une vive critique des idéologies marxiste et libérale. Car conformément à une ligne constante dans l’enseignement social de l’Église depuis Rerum novarum, Paul VI met en lumière un argument de poids pour fonder la nécessité du politique : il lui revient de contrôler l’économique (§ 46). L’économique est certes important et légitime, mais, par lui-même, il ne vise pas le bien commun. Cette notion de « contrôle » est importante : le politique n’a pas à piloter l’économique, mais à le contrôler.

Déplorant que les firmes multinationales échappent au contrôle des États, Paul VI appelle à un renforcement des organismes internationaux. Il s’inscrit ainsi dans la ligne de Jean XXIII : « De nos jours, le bien commun universel pose des problèmes de dimensions mondiales. Ils ne peuvent être résolus que par une autorité publique dont le pouvoir, la constitution et les moyens d’action prennent eux aussi des dimensions mondiales et qui puisse exercer son action sur toute l’étendue de la terre. C’est donc l’ordre moral lui-même qui exige la constitution d’une autorité publique de compétence universelle [2] ».

Ce texte s’achève par une très forte insistance sur la nécessité, pour les laïcs, de s’engager dans l’action politique (§ 48-49). Le pluralisme des options est à nouveau évoqué.

Mgr Jean-Marie Le Vert, évêque de Quimper et de Léon

[1Lettre apostolique de Sa Sainteté le pape Paul VI à Monsieur le cardinal Roy, à l’occasion du 80e anniversaire de l’encyclique Rerum novarum, La Documentation catholique, n° 1587, 1971, p. 502-513.

[2Pacem in terris, n° 137.

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