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Nouvelles Causeries japonaises – Les trois équilibres perdus

Nouvelles Causeries japonaises

XVII – Les trois équilibres perdus

À Hiyoshi

« Pour maintenir une société stable et un pays dynamique, il est essentiel que l’équilibre entre l’importance accordée aux “choses” et au “cœur” soit bien trouvé par le peuple. Si l’équilibre est rompu et que l’un prend le pas sur l’autre, il devient inéluctable que le dynamisme du pays et la vitalité de la civilisation se dégradent et s’assèchent à vue d’œil. […] Le second équilibre essentiel, qui devient fatal s’il est perdu, est celui entre “progrès” et “tradition”. S’il est important dans les œuvres humaines de chercher le “progrès”, il est tout aussi essentiel, en même temps, d’accorder toute sa valeur à la tradition transmise depuis les temps anciens. Sans prendre pour base la tradition, il est impossible de faire naître une véritable créativité, ni de découvrit une réelle idée neuve. [...] Enfin, nous avons aussi perdu l’équilibre entre “individu” et “communauté”. [...] Comme nous le verrons plus tard, l’État diffère de la notion occidentale d’ “organe de gouvernement” ; l’État en tant que “communauté Japon” n’est rien d’autre que le précieux soutien qu’apportent les liens entre les hommes.[...]
Ne faut-il donc pas reconsidérer l’importance de la “maison nationale [État]” excessivement ignorée, redécouvrir la valeur aujourd’hui particulièrement vitale des “traditions” et chérir le “cœur”, c’est-à-dire ce que les yeux ne peuvent voir ? [1] »

Tout est dit dans ces quelques lignes sur les maux de la société moderne souffrant d’avoir perdu d’éternels équilibres au sein des forces contradictoires qui animent l’homme. Ces auteurs japonais, qui voient les raisons de la décadence de leur civilisation, ne pensent point du tout à l’Occident. Le point véritablement inquiétant pour nos société occidentales réside dans le fait que ces équilibres ne sont pas simplement perturbés chez nous, mais complètement détruits. Lorsque nous nous figurons que la société japonaise, pour les gens lucides, se situe à des années-lumières de la société harmonieuse, nous nous demandons ce que ces mêmes auteurs diraient à propos de l’infernal chaos régnant chez nous… La société japonaise, vue par un fils de France, paraît avoir conservé les bons principes et les équilibres permettant de maintenir une société infiniment plus harmonieusement que chez nous, la différence entre ces deux univers étant incommensurable… Et pourtant, des Japonais nous avertissent d’une décadence nippone… Que faut-il comprendre par là ? Notre société occidentale semble être tombée bien bas, beaucoup plus bas que ce que l’on imagine naïvement lorsque l’on ne contemple que des sociétés se fondant sur un chaos permanent, et l’excès devenu règle n’est que constant hubris.

Une autre chose me frappe et rappelle l’importance de garder la mesure tout en pointant du doigt le danger constant causé par les excès en tous genres. L’Occident est victime d’une démesure permanente, ce qui – outre les souffrances que cela apporte en cortèges – influe aussi sur ceux qui la dénoncent. L’effet est connu : plus la démesure est grande, plus la réaction est ferme ; ce qui est bien naturel. Naturel, mais pas forcément bon. Comme le disent nos auteurs, l’homme est équilibre. Si le spirituel lui est vital, les œuvres le sont aussi, et il ne faudrait donc pas – sous prétexte de s’opposer à la démesure d’un matérialisme athée – revendiquer un spiritualisme contemplatif intransigeant refusant les œuvres humaines, sorte de démesure spiritualiste. Qui fait l’ange fait la bête.

Le problème, me dira-t-on, est de garder la mesure face à la démesure. Garder la mesure semble alors être concession, défaite puis récupération, pour engendrer encore plus de démesure. Je n’y crois cependant pas. « Mesure » ne signifie pas « concession ». L’intransigeance sur les principes est non négociable. La souveraineté est divine. Point. Mais cela n’entrave pas l’envie naturelle de l’homme de créer et d’œuvrer, de réaliser les choses les plus belles du monde, si l’Esprit est là. L’œuvre bonne, l’invention réelle, se fondent sur la tradition et admettent l’invisible. Rien n’est blanc ni noir ; et toute personne est unique, avec des inspirations différentes.

Le problème réel reste la manipulation des mots nous embrouillant nous-même. C’est contre cela qu’il nous faut nous battre. Parfois, certains mots sont si pollués qu’il vaut mieux en utiliser d’autres. Ainsi pour le progrès qu’il faudrait peut-être remplacer par « les avancées », voire les « perfectionnements », ce que le mot signifie littéralement en japonais d’ailleurs, afin de rappeler que, si l’on peut se perfectionner, avancer et inventer, on peut aussi reculer, se dégrader et détruire. Jusqu’au XVIIIe siècle, la langue française et son usage acceptaient de « progresser en arrière ».

Le troisième équilibre concernant l’État est peut-être celui que l’enseignement japonais nous permet de comprendre réellement, tellement nous sommes pollués, dans le monde du Soleil couchant. Si l’État n’est pas une maison, une grande famille, il n’est rien d’autre que nocif. Tout système est mauvais du moment qu’il n’est pas habité par l’esprit humain et incarné par les hommes. Idem pour l’État qui doit rester au service de l’homme et qui, en fait, n’existe pas. Entendons-nous : l’État-maison qui désigne la communauté de tout le peuple, avec son père de famille donc, existe. Mais l’État-abstraction « logique » – désignant une sorte de machine qui pourrait exister sans les hommes – constitue la plus fatale illusion de l’esprit occidental – et de l’esprit français en particulier. Seuls les hommes dans leur incarnation comptent. Et les temps modernes devraient nous avoir assez montré que faire d’un moyen une fin apporte les pires maux inimaginables

— Paul-Raymond du Lac
Pour Dieu, Pour le Roi, Pour la France

[1Terumasa NAKANISHI, Kazuya FUKUDA, Le sens véritable de la chambre royale (皇室の本義), Tôkyô, PHP, 2005, p. 12/1314 :
« 社会の安定や国としての活力というのは、国民の価値観において「モノ」と「心」のバランスが取れていることが重要で、どちらか一方が突き出している状況では国家としての活力や文明の生命力は必然的に劣化し、枯渇してゆく。 » « ふたつめに、「進歩」と「伝統」のバランスを失ったことも致命的だった。人間の営みにおいては、つねに「進歩」を求めることが重要だが、同時に古くから受け継がれてきた「伝統」という価値観がそのベースになければ本当の創造性は生まれないし、真に進歩的な考えも生まれない。 » « さらに「個人」と「共同体」のバランスも失われてしまった。 » « あとでもみるように、西欧的な「統治機構」という意味で国家という場合とは異なって、「日本共同体」としての国家というものは、それこそ「人と人の絆の大切な支え」なのである。 » « 「心」すなわち目に見えないものを大切にし、いまや「伝統」にこそ価値観を見出だし、あまりにも蔑ろにしてきた「国家」の重要性にあらためてne 目を向けることであろう。 »

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