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Nouvelles Causeries japonaises — Le mythe de la liberté

30 mars 2014 Paul-Raymond du Lac

Nouvelles Causeries japonaises

XI — Le mythe de la liberté

À Hiyoshi

Autant il est facile de comprendre que l’égalité est une horreur sans nom, autant il peut sembler étrange de vouloir dénoncer la liberté, souvent affublée, pour l’occasion, d’une ridicule majuscule, comme pour montrer la sacralité de cette valeur. Ne nous battons-nous pas, en effet, pour notre liberté tous les jours, ces derniers temps ? Je dois malheureusement dire que non : nous ne nous battons certainement pas pour la liberté républicaine, nous nous évertuons simplement à défendre les libertés qui sont en fait des privilèges particuliers de faire telle ou telle chose, sans l’entrave de la force publique. Pour tout dire, ce que l’on appelle communément « liberté » n’est pas une valeur, mais un simple fait naturel : en cela, il est absurde d’en faire une valeur !

L’emploi du mot « liberté » a cela de vicieux qu’il corrompt jusqu’aux plus ardents contradicteurs de la folie moderniste. Ce terme joue dans le sens de la déliquescence spirituelle et de l’hybris généralisée devenues règle.
Expliquons-nous. La liberté se voit dévoyée en deux sens aussi catastrophiques et pitoyables l’un que l’autre, et poussant à éviter l’emploi de ce beau mot devenu piège.
Le premier abus, dans l’emploi du mot « liberté », est finalement de nommer « liberté » ce qui n’est qu’une banale capacité. La première de ces capacités correspond à ce qui est souvent appelé libre arbitre, soit la simple capacité de décider ce que l’on veut, sans contrainte aucune, si ce n’est les nôtres propres. L’arnaque est grande. Prenons l’exemple de la revendication de l’assassinat légal sur commande des proches, que les uns appellent liberté ou « droit de mourir » — ou de tuer Que l’on y réfléchisse deux secondes, et l’absurdité saute aux yeux : l’homme est toujours libre de mourir, il suffit qu’il le décide et qu’il le veuille vraiment [1]. Cela est encore plus flagrant pour celui qui demande le droit de tuer, ou la liberté de disposer de son corps, comme disent les hystériques, que ce soit un enfant en gestation, ou un vieux, ou un malade ; il suffit qu’il le décide et qu’il le réalise...
Simplement, dans une société saine, le pouvoir publique le punira pour avoir commis un péché et pour avoir mal utilisé sa liberté intrinsèque. Vouloir que le pouvoir publique encourage la mise à mort systématique ne revient point à protéger une liberté ou un droit, mais équivaut à instituer le meurtre en bien.

On me dira que l’extérieur peut entraver notre personne et nous empêcher de prendre une décision. Voire parfois la simple inégalité naturelle qui peut empêcher la réalisation d’une décision pourtant librement prise. Cela est vrai, certes, mais n’a rien à voir avec la liberté. Même l’esclave ou le prisonnier est libre de s’échapper, s’il le veut : il sera seulement plus difficile et coûteux de prendre cette décision, et le résultat ne sera peut-être pas au rendez-vous. Cela n’enlève cependant rien au fait que personne ne pourra jamais interdire à un esclave de vouloir — et certainement de parvenir — à s’échapper s’il le veut. La chose reste vraie pour des exemples plus prosaïques : nous sommes libres de ne pas payer les impôts, et il suffit de le faire. Les conséquences extérieures n’ont rien à voir avec cette capacité à prendre une décision et à faire ce qui est dans le pouvoir de chacun pour l’exécuter.

Le second abus coupable, lié au premier, et qui enfonce notre société dans la décadence la plus complète, réside en la croyance que la liberté-capacité consisterait à se laisser aller à toutes les fantaisies et tous les fantasmes de l’esprit. Comme l’on fait d’une capacité, d’un fait naturel et inné, une valeur, on sanctionne positivement tout comportement et toute « volonté » issus du désir. On en arrive à une absurdité philosophique qui montre le niveau pitoyable de notre société : considérer la liberté comme le droit de faire ce que l’on veut... Le débat en devient vicié, et laisse court à tout et n’importe quoi. Quelqu’un veut devenir chien : on légalisera son statut en tant que chien, et on punira toute personne qui conteste cette liberté, celle du transanimalisme, même si — évidemment — un homme ne sera jamais un chien. Cette liberté devient ainsi la poursuite indéfinie des désirs débridés et exubérants de l’homme-dieu sans ciel et sans âme.
La disparition de la seule véritable liberté, qui ne peut être décrétée, est un drame. L’homme libre, autrefois, était l’homme bon, qui était vertueux et donc se soumettait de lui-même à un certain nombre de règles et de principes. La seule valeur chérie était le bien, et le problème justement était de savoir comment utiliser et limiter la liberté humaine au service du bien.
Remplacer le bien par la liberté, c’est faire disparaître toute perspective pouvant instituer un fait naturel au rang d’objectif. Ce remplacement vicieux est aussi absurde que de mettre l’existence au rang de valeur... La réalité n’est pas une « valeur » ! Seule la marche sur la voie du bien peut rendre véritablement libre. Il ne faut plus viser la liberté, qui est polluée par son sens premier, mais poursuivre le bien. Par cette optique, tout change : on peut être libre de s’exprimer ; il suffit de parler, mais peut-être est-il mal de dire certaines choses, et le véritable acte humain est de se refréner à dire tout et n’importe quoi.
Tout ce que l’on peut demander, et protéger sur la place publique, tourne autour des libertés, garanties ponctuelles, privilèges accordés, de ne pas être entravé ou inquiété à faire telle ou telle chose, dans la limite où ces libertés ne font ni violence à autrui, ni ne brisent l’harmonie, ni ne soient prétexte à faire du mal.

En définitive, alors qu’instituer l’égalité comme fondement de la société est une contre-vérité naturelle, la liberté, du moins, demeure un fait naturel. Il est grandement coupable d’instituer une réalité ou un fait comme en valeur à suivre, dans un monde où l’homme se croit dieu.

Paul-Raymond du Lac
Pour Dieu, Pour le Roi, Pour la France

En image, une « amusante » faiblesse d’Eugène Delacroix...


[1Je vois déjà venir l’exemple à dormir debout du type dans le coma qui veut mourir mais qui ne le peut pas. J’affirme qu’une personne qui veut véritablement mourir, consciemment, mourra. Et si la personne est inconsciente ou impuissante, c’est à un tiers de tuer ladite personne, en commettant le péché subséquent. Que le pouvoir publique l’interdise et le punisse : rien de plus normal. L’homme est toutefois « libre » de ne pas respecter la loi.

30 mars 2014 Paul-Raymond du Lac

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