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Nouvelles Causeries japonaises — Disposition de cœur

Nouvelles Causeries japonaises

VII — Disposition de cœur

À Hiyoshi

Une fois n’est pas coutume, nous laissons la place à l’auteur d’un best-seller japonnais, traduit par nos soins, en espérant qu’il trouvera un jour sa place en France. Voici l’introduction de son nouveau livre : Tennô [1].

«   Depuis le grand tremblement de terre, de nombreux livres furent publiés mais je n’en ai pas beaucoup aperçu qui traitent des grands efforts de Sa Majesté le tennô pour le Japon sinistré et expriment de la reconnaissance pour cela. J’ai donc décidé, en tant qu’un Japonais parmi d’autres, de prendre la plume afin d’insister sur cette lacune malgré mon ignorance.

À travers des livres comme Les hommes ne meurent pas (Basilic), j’ai déjà effleuré le sujet de la Providence éternelle du Créateur à partir de la curiosité de la vie humaine. Mon éducation et les nombreuses expériences que j’ai engrangées depuis que je suis devenu médecin m’ont conduit jusqu’à cette idée. Je souhaite que le lecteur puisse me faire l’honneur de remarquer l’immense bonheur et la sérénité qu’apporte la compréhension de cette Providence permettant de connaître sa vocation en ce bas monde et de s’approcher de la connaissance universelle. Ceux qui comprendront cette Providence sauront que celui qui supporte un rôle écrasant ici-bas est Sa Majesté le tennô. Ce dernier devient aussi la borne indicatrice d’une harmonie se fondant sur l’amour éprouvé par les Japonais pour la patrie et pour autrui.
Un des rôles essentiel de Sa Majesté le tennô, au sein de ce monde trop souvent conduit par la maxime "la force fait la loi", est d’espérer la paix dans la société en étant conduit par des principes spirituels. Il est formidable de remarquer l’enthousiasme des divers chefs d’État ayant eu l’honneur de rencontrer Sa Majesté l’empereur lorsqu’il représente le Japon, enthousiasme qui répond à son caractère probe et entier. Cette influence spirituelle n’est-elle pas incroyable ?

Sa Majesté le tennô représente pour nous Japonais une existence centrale et indispensable à la formation continue de notre pays et de notre peuple à travers ses deux mille six cents ans d’histoire. J’ai l’impression que les Japonais sont en train d’oublier le rôle pivot de cette existence. Je crois que la disparition de Sa Majesté le tennô aurait pour conséquence l’évaporation des Japonais, ou plutôt du Japon lui-même, dans un éclatement et un affaiblissement total du pays.

Depuis environ vingt ans, ma position de médecin m’a fait remarquer un changement chez les patients et les familles, changement qui n’arrête pas de me préoccuper. Pour le dire simplement, la disposition de cœur des Japonais a changé.
J’ai eu mon diplôme dans la décennie cinquante de l’ère Shôwa [1975-1985]. J’ai alors commencé à travailler dans un petit service d’urgence qui n’avait qu’un médecin de garde la nuit et pas plus de deux pendant le jour. C’était une époque où il arrivait que des patients décèdent de maladies aujourd’hui bénignes et se soignant facilement. Quand il arrivait qu’une jeune personne mourût, je ne pouvais m’empêcher d’être tourmenté en me disant "Pourquoi cela s’est-il fini comme ça ?", quelles que fussent d’ailleurs les circonstances de l’urgence et même si j’avais fait tout ce qui était en mon pouvoir. Au moment d’annoncer la nouvelle à la famille du défunt, la nouvelle affligeante, on me répondait toujours, malgré la tristesse : "Nous vous remercions d’avoir fait tout votre possible." Dans ces moments difficiles, on ne m’a jamais demandé, même une seule fois : "Pourquoi ? Comment ?"
Je crois que cette attitude, de la part des familles qui reçoivent la terrible nouvelle de la disparition de leur proche malgré des soins prodigués en urgence, consiste en une disposition de cœur qui accepte calmement les faits avec résignation.

Il y a peu près vingt-cinq ans, un parent de ma mère, M. A, devait recevoir une opération banale de l’estomac quand ma mère m’annonça "M.A est mort pendant l’opération". Le médecin que j’étais, surpris, demanda alors des précisions sur les circonstances. Comme c’était une simple "opération de l’estomac", j’étais vraiment étonné, car il est très rare qu’un décès survienne pendant ce genre d’opération. "Tu connais les circonstances précises ?", demandai-je de nouveau. "Il semble qu’il y ait une hémorragie", me répondit-elle.
D’un point de vue médical, lui dis-je, un certain nombre de causes pouvait être à l’origine de l’accident mais ma mère de répondit simplement la chose suivante : "Ah bon, en tout cas ne dis rien à Mme A". "Même si son épouse apprend la cause de l’accident, cela ne fera pas revenir son mari et risque au contraire de la troubler inutilement. Donc ce n’est pas la peine." Rien de plus.
Si cela s’était passé récemment, il est fort probable que l’on ait plutôt demandé ce qui s’était passé mais, à l’époque, cette idée n’effleurait pas un seul instant les esprits.

Afin de mieux cerner les particularités des époques, j’aimerais présenter l’exemple, similaire à celui de ma mère, d’une personne née pendant l’ère Taishô [1912-1926].
Mme C est l’une de mes connaissances, âgée de 65 ans. Lors de sa troisième année de collège, en 1963, elle fut amputée de la main droite et perdit son œil gauche à la suite d’une explosion accidentelle provoquée par des camarades dans le club de chimie de l’école. Si ce genre de chose se produisait actuellement, il ne fait pas de doute que ce serait un exemple typique d’une poursuite judiciaire devant un tribunal afin d’engager la responsabilité de l’école, du personnel et des élèves impliqués dans l’accident.
Il se trouve, cependant, que les parents de Mme C, nés pendant l’ère Taishô, acceptèrent l’accident que subit leur enfant comme une fatalité. Il semble même que le père disait avec calme à ceux qu’il croisait pendant le transport en civière vers les urgences locales : "c’était terrible". J’ai entendu dire qu’il ne s’est jamais départi de son calme et n’a jamais cherché à faire des reproches ou à trouver des coupables.
Ou encore, à partir de ce jour-là, sa mère joignait les mains avant de disposer des offrandes à la déesse solaire sur l’autel familial, chaque matin. Leurs trois enfants n’ont apparemment jamais été forcés en matière de religion, mais ce détail permet de découvrir une reconnaissance toute simple face au fait que sa fille ait évité la mort pendant l’accident.
Mme C, qui avait perdu la moitié de sa capacité visuelle, les doigts et la paume de sa main droite, rapporte ses pensées d’alors : "J’aurais peut-être pu mourir", "si j’étais morte, cela aurait attristé mes parents". De plus, lorsqu’elle contemplait l’attitude de ses parents, elle sentait qu’il ne fallait pas en vouloir aux gens et qu’il ne fallait pas regretter le passé. Aujourd’hui encore, elle n’hésite pas à dire : "Nous n’étions pas un foyer aisé, mais si j’ai pu être pris à l’université et travailler dans une entreprise à Tokyo, c’est grâce à ma famille". Elle ajoute que les mots de sa mère lors de son départ à Tokyo lui ont toujours permis de tenir le coup dans les moments difficiles. Elle lui avait dit en effet : "Si quelque chose va mal, tu peux toujours revenir ici". Et, apparemment, la mère de Mme C a toujours mis de l’argent de côté dans l’éventualité du retour de sa fille, au cas où.
À propos de l’accident, il y a un épilogue. Les parents de Mme C invitèrent à dîner, chez eux, une dizaine de professeurs pour fêter la remise de diplôme de fin de collège. C’était un dîner de remerciement en reconnaissance de la peine que leur avait causé le retard pris dans leurs cours afin de s’occuper de leur fille après l’accident. Les gens de Taishô, en plus d’avoir un courage inébranlable, forçaient l’admiration par leur capacité à accepter toute la réalité, même la plus terrible.

Je pense néanmoins que cet état de fait a commencé à changer pendant la seconde partie de l’ère Shôwa, et un changement devient vraiment patent avec l’ouverture de l’ère Heisei [1989]. Dans ma nouvelle affectation à l’hôpital universitaire de l’université de Tokyô, comme ailleurs, le nombre des familles n’acceptant plus si facilement la perte des patients, même dans les cas d’aggravation subite de leur état et même si tout ce qui était médicalement faisable a été entrepris, est en augmentation. Il devient même difficile de faire admettre la fatalité d’un choc anaphylactique dû à une réaction allergique touchant en moyenne une personne sur dix mille. Alors même, évidemment, que le risque fut préalablement présenté et soumis à l’assentiment des patients. Je me souviens d’avoir quelquefois pensé, devant ces contemporains qui, à la différence d’autrefois, ne parviennent pas à comprendre le caractère exceptionnel de l’accident, quels que soient les avertissements préalables : "ah, c’est devenu ce genre d’époque... "
Il est bien entendu que ce genre d’histoire ne se limite pas au domaine médical et, outre les domaines de l’industrie et des services, il semble que ces sortes d’idées soient devenues courantes dans la société. On doit certainement pouvoir dire que la société actuelle privilégie, en tout, la recherche du profit et place l’individu loin devant le bien commun.
Je crois que la raison principale pour laquelle notre société accorde tant d’importance à l’individu se trouve dans la perte de conscience de l’existence de Sa Majesté le tennô.
Je me propose, dans ce livre, en m’appuyant sur ma propre expérience et sur une relecture de l’arrière-plan historique moderne liant le pays et Sa Majesté le tennô, d’étudier les causes d’éclatement de notre société et de refaire prendre conscience de l’importance de tourner ses pensée vers Sa Majesté le tennô. En espérant qu’une simple personne permettra à de nombreux Japonais de prendre conscience de tout cela, je suis certain que le Japon pourra devenir un pays fier dans le monde.

Sa Majesté le tennô, de par son désintéressement même, prie tous les jours pour l’ordre parmi le peuple et la paix dans le monde. Il se préoccupe du peuple sans compter, le faisant toujours passer avant sa propre personne. Avez-vous quelque part dans votre cœur cette présence que l’on nous offre d’une personne qui vit dans cette respectable sollicitude ? Si chacun de nous se mettait à vivre avec cette présence dans son cœur, je crois que la société pourrait substantiellement changer vers plus de cohésion et de vertu. »

Nous aussi, il nous faut nous souvenir de la présence de notre roi, qui est toujours là...

Paul-Raymond du Lac
Pour Dieu, Pour la France, Pour le Roi

[1Naoki YAHAGI, Tennô (天皇), Tokyo, Fisosha, 2013, p. 8-14.

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