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Le droit du travail contre le Capital

Au Moyen-Âge, le serf ne disposait certainement pas d’un statut rêvé mais il pouvait prétendre en échange de ses nombreux services à la protection de son seigneur. Il bénéficiait aussi de nombreux jours chômés en raison de la multitude de fêtes religieuses qui pouvaient représenter le tiers des jours de l’année. De son côté, l’artisan était protégée par sa corporation capable de dicter ses conditions au client. En somme, le travailleur quel qui fut s’inscrivait dans une logique institutionnelle c’est-à-dire qu’il était inclus dans des relations d’obligations et de dons lui offrant une certaine protection. Bien entendu, la protection allait de pair avec une stabilité que certains n’hésiteraient pas à qualifier d’état inamovible. Autrement dit, le cerf était condamné à travailler toute sa vie pour son seigneur tandis que l’artisan l’était pour sa corporation. Ils n’étaient donc pas libre de vendre leur force de travail à qui bon leur semblaient. Cette pseudo liberté leur a été servi sur un plateau doré avec la Révolution de 1789 et ses fameux droits de l’homme bourgeois. L’interdiction des corporations et des associations par le décret d’Allarde du 2 mars 1791 et la loi Le Chapelier du 14 juin 1791 supprime alors toute possibilité de protection institutionnelle et laisse le travailleur seul face à l’employeur avec le postulat illusoire de leur égalité dans la relation contractuelle. C’est à partir de cette fausse liberté où règne la loi du plus fort que s’est peu à peu forgé le droit du travail. Car lorsque l’entreprise n’a aucun contrepoids, la logique capitaliste de rentabilité à tout prix, même celui de la vie de ses travailleurs, reprend inexorablement le dessus. Le salarié se retrouve broyé sous le règne absolu du profit.

Dans la conception romaine du travail, l’homme libre loue sa force de travail à une personne. Durant le Moyen-Âge et l’Ancien Régime, la relation de travail est gérée par les corporations ce qui induit une vision collective du travail. La notion romaine du travail refait surface en France avec l’adoption du code civil napoléonien à travers le louage de services : une personne libre loue sa force de travail, soit l’objet du contrat, à une autre. Il s’agit d’une optique individualiste et libérale du contrat de travail. Dans une toute autre veine, il existe l’acception germanique, provenant du contrat de vassalité d’époque médiévale créant une communauté de droits et de devoirs, selon laquelle le droit ne peut exister que dans un cadre communautaire ou institutionnel. De son côté, le droit britannique, d’inspiration corporatiste, ne fait qu’intégrer dans le contrat de travail des stipulations émanant de conventions collectives négociées par des représentants syndicaux et patronaux.

La vision patrimoniale et française de la relation de travail, se bornant à n’y voir qu’une location de travail contre rémunération, nie le corps du travailleur qui intervient pourtant pendant toute la prestation de travail. En effet, le salarié met à disposition de l’employeur ses capacités physiques et intellectuelles durant un temps et sur un lieu donné. Pourtant, le corps du travailleur se situe en dehors du commerce et celui-ci ne peut être à la fois sujet et objet de droit. C’est à travers la sécurité au travail, supposant la protection du corps du travailleur, qu’est né le droit du travail. L’employeur a l’obligation d’assurer la sécurité physique de ses salariés. À défaut, il sera tenu responsable, même en présence d’une faute du salarié, s’il n’a pas tout fait pour éviter que le risque se produise. La santé physique des travailleurs a été perturbée par le processus d’industrialisation qui a substitué à un rythme solaire d’organisation sociale un rythme fondé sur l’éclairage artificiel ne faisant plus la distinction entre nuit et jour. « À cette loi solaire était venue s’ajouter la loi divine, prescrivant le repos dominical, prescription elle-même alourdie par l’autorité de l’Église, qui imposait de chômer de nombreux jours de fête religieuse. Depuis l’aube de l’ère industrielle, le développement de l’éclairage artificiel a fait perdre au soleil son empire sur l’organisation du travail des hommes tandis que le triomphe des Lumières légitimait la suppression des repos prescrits par l’Église [1]. » La sécurité au travail n’implique pas un renoncement à une sécurité par le travail, à savoir basée sur un salaire convenable et des revenus de substitution en cas d’empêchement dû par exemple à une maladie ou à une perte d’emploi. L’analyse purement libérale du contrat de travail permet d’exclure ce concept de salaire décent puisque le travail est considéré comme un bien comme un autre séparé de toute idée de personne et donc de toute idée de subsistance qu’elle peut tirer du travail. Si cette vision a primé après la Révolution française, elle a fini par se faire grignoter peu à peu par une conception plus institutionnelle à l’allemande. La notion de travail décent s’est matérialisée par la création du salaire minimum et des revenus de remplacement (ex. : indemnités journalières de maladie ou de maternité versées par la sécurité sociale ou allocation chômage).

La logique contractuelle suppose la liberté contractuelle et la nécessaire égalité entre les parties. Or, au sein de la relation de travail, le salarié est subordonné à l’employeur. Sa prestation de travail est exécuté sous la direction de l’employeur qui fixe des directives, en contrôle l’exécution et peut en sanctionner les manquements. Il est faux de dire que le salarié se soumet volontairement à l’autorité de l’employeur car il a besoin de travailler pour subvenir à ses besoins ce qui le met nécessairement dans une position d’infériorité. Afin de compenser cette subordination subie, sont apparus les droits collectifs que sont la liberté syndicale, le droit de grève ou encore le droit à la négociation collective. La liberté que le salarié perd au niveau individuel est d’une certaine manière regagnée à un niveau collectif. Il faut aussi rappeler que l’État n’est pas resté les bras croisés face au positionnement faible du salarié par rapport à son employeur. En effet, le contrat de travail est soumis à la loi et aux conventions collectives d’entreprise ou de branche qui sont toutes les deux des normes de valeur supérieure. La tendance actuelle est à la réglementation technique. À l’inverse de la loi qui vise un idéal et qui a une portée générale et abstraite, la réglementation technique a, dans une optique libérale, la grande vertu de pouvoir évoluer rapidement en fonction des nécessités du marché. Dans le même ordre d’idées, l’expertise, censée être indépendante et fondée sur la Science, commence à prendre une place importante dans l’entreprise. Les conflits ne sont plus résolus par le Droit mais par la Science qui va influencer l’employeur, les syndicats ou encore le juge. C’est la Science, et en particulier la science économique, qui risque alors de définir le bien commun de l’entreprise.

Le droit social, composé du droit du travail individuel (droit du contrat de travail) et collectif (relations collectives de travail) et du droit de la sécurité sociale (assurances sociales et protection sociale), est indéniablement venu limiter l’extension du capital à toutes les sphères de la vie humaine. En effet, il a permis de fournir au travailleur une rémunération décente, de lui assurer un revenu en cas d’accident de la vie (maladie, perte d’emploi etc.), de lui octroyer des jours de repos et des congés payés lui permettant de profiter de sa vie sociale (famille et amis) et de lui fournir quelques armes collectives pour faire contrepoids au pouvoir important de l’employeur. Il faut constater que le droit social français mais aussi européen est menacé. Au niveau international, ce n’est pas le bien commun international qui domine mais la loi du marché à travers les accords de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). C’est donc le droit privé commercial et le droit de la propriété intellectuelle qui dominent au niveau international les droits publics des états-nations qui ont plutôt tendance à privilégier l’intérêt général. À l’échelle de l’Union Européenne et sous l’égide de la sacrosainte liberté d’entreprendre, la logique libérale de déréglementation prime. Il s’agit peu à peu de détricoter tout l’arsenal social qui a mis des décennies à se mettre en place à coup de lutte sociale, de doctrine catholique et de théorie socialiste. Les dirigeants français qui ne sont plus que les supplétifs de la Commission Européenne, se chargent du programme de liquidation du droit du travail gallican. Les récentes lois du 6 août 2015 dite loi Macron ou du 8 août 2016 dite loi El Khomri et les ordonnances Macron de septembre 2017 ainsi que l’actuelle réforme des retraites ont ainsi signifié une baisse progressive des droits individuels et collectifs des salariés français. Tant que la logique de l’Argent règnera au sein des élites françaises et des dirigeants d’entreprise, le droit du travail a du souci à se faire. Le jour où une vision calibrée sur le bien commun de la nation et de l’entreprise reprendra du galon, le droit social pourra servir d’instrument utile à la refondation de relations humaines dictées par l’intérêt général et non le profit.

Karl Peyrade

[1SUPIOT Alain, Critique du droit du travail, PUF, Paris, 1994.

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