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Irlande et « mariage » homosexuel : le courage de dire non [2/2]

Dans l’indifférence générale du reste de l’Europe, le Sénat irlandais approuvait, le 30 mars 2015, l’adoption par les couples de même sexe. Dans le même temps, le gouvernement annonçait la tenue d’un référendum pour ouvrir l’institution du mariage aux couples homosexuels. Ce référendum aura lieu le 22 mai.
Si la nation du trèfle répondait par la positive, l’Irlande deviendrait le premier pays à ouvrir le "mariage" homosexuel par voie référendaire. D’où vient-il que ce pays catholique en soit venu à se poser la question saugrenue de redéfinir la famille traditionnelle ?
Le contexte irlandais était abordé dans une première partie. Dans les lignes qui suivent, nous abordons les enjeux du référendum irlandais.
God be with you, Ireland !

L’Église et l’Etat

L’issue de la partie dépendra de l’énergie des opposants. L’Église catholique, jadis dominante dans la société, a perdu de sa superbe. Les scandales de pédophilie, couplés à la libéralisation progressive du Tigre celtique, ont fait leur œuvre. Jadis à l’écart des grandes vagues libérales, le pays est sous les déferlantes. Messes d’une brièveté déconcertante, perte progressive du sacré, faible nombre et formation lacunaire des séminaristes, perte continue d’influence dans la société : tel est l’état de l’Église catholique en Irlande depuis une vingtaine d’années. L’île, relativement préservée des turbulences des années 60, affronte aujourd’hui de dures bourrasques.
Les motifs d’espoir sont toutefois nombreux. Plus de 40 % des catholiques irlandais déclarent se rendre à la messe une fois par semaine. Les cadres catholiques – clercs comme laïcs – sauront-ils imposer leurs thèmes dans la campagne éclair qui se joue actuellement dans la nation de St Patrick ?
Mgr Diarmuid Martin, archevêque de Dublin et Primat d’Irlande, rappelait samedi dernier combien la société devait promouvoir le modèle de la famille biologique. Il précisait que l’ensemble des évêques de l’île combattrait la proposition d’amendement de la Constitution. [1]
Derrière le débat Oui-Non, se joue aussi l’affrontement inédit de l’État et de l’Église, dans une nation où, depuis l’indépendance, la frontière fut toujours poreuse. [2]

La faillite politique

La campagne ne date pas d’hier et, jusqu’à présent, la chance semble sourire aux coteries LGBT. Le 30 mars dernier, le Sénat irlandais approuvait, à vingt voix contre deux, un projet de loi ouvrant l’adoption aux couples de même sexe.
Les partisans du « mariage » homosexuel, comme en France, disent œuvrer pour la liberté. A Paris, on parlait de « mariage pour tous », à Dublin, de « liberté du mariage ». Leurs opposants, comme en France, ont choisi de répondre à l’égalitarisme par le bon sens et la complémentarité homme-femme. Hélas, l’argument " un père-une mère" a pris du plomb dans l’aile depuis le 30 mars. Après ce vote au Sénat, la question qui sera posée aux Irlandais le 22 mai est donc truquée.

Comme en France, il existe une pression sociale au profit du « oui ». Vincent Twomey, auteur de La fin du catholicisme irlandais ? La théologie morale après Humanae Vitae, estime dans les colonnes du Irish Times que la campagne menée par les partisans du « oui » se fonde, pêle-mêle, sur l’émotion immédiate, l’accusation d’homophobie de l’adversaire et, in fine, l’intimidation. Une intimidation qui, loin de se borner aux seuls cercles homosexualistes, s’est distillée dans la société. La classe politique est au mieux amorphe, au pire acquise à la cause LGBT. Seuls deux sénateurs ont refusé l’adoption homosexuelle. Les partis politiques dominants font campagne pour le « oui » au mariage gay, y compris le principal parti d’opposition, le Fianna Fáil (centre-droit). Rares sont les politiques à faire preuve de courage.

Le courage de dire non

Le courage, voilà ce que le monde attend de l’Irlande en ce mois de mai. Le courage de dire non. Non à la veulerie des élites. Non au pouvoir des lobbies. Non à la fuite en avant des acquis sociétaux. Non aux faux débats où la peur d’être taxé d’homophobie prend le pas sur toute réflexion. Ce "non", le peuple irlandais est capable de le jeter à la face de ses gouvernants : il l’avait déjà fait le 12 juin 2008 à propos du traité de Lisbonne [3]. Vincent Twomey, s’il déplore les tactiques adverses depuis plus d’un an, estime que ces dernières semaines devraient voir le triomphe de la raison sur l’émotion.
En ouvrant l’institution du mariage aux couples de même sexe, l’Irlande ne légaliserait pas seulement une injustice : elle se renierait.

La Constitution de 1937 [4], promulguée par l’emblématique Éamon de Valera, héros de l’indépendance et de l’Irlande éternelle, proclame en son article 6 que « tous les pouvoirs de gouvernement, législatif, exécutif et judiciaire, émanent, après Dieu, du peuple, qui a le droit de désigner les dirigeants de l’État et, en dernier ressort, de décider de toutes les questions d’intérêt national, conformément aux exigences du bien commun ». En outre, son article 41 établit l’antériorité de la famille sur l’État et ses droits imprescriptibles « supérieurs à l’État ». Et ce même État oserait dénaturer une institution qui lui préexiste, en ignorant la loi naturelle d’un Créateur duquel elle tire ses pouvoirs ?
Tout au long de son histoire, l’Île des saints et des savants a su ouvrir ses veines pour défendre son bien commun. Saura-t-elle, le 22 mai, ouvrir son cœur et sa raison ?


[1Si l’Église catholique, archi-dominante en République d’Irlande, prévoit donc d’avancer en rang serré, la situation est plus confuse au sein des Eglises protestantes (leur influence se manifeste essentiellement dans les six comtés d’Irlande du Nord, où flotte toujours l’Union Jack). Ainsi l’Église d’Irlande (Church of Ireland, protestante, membre de la Communion anglicane) rappelle que que le mariage est entre un homme et une femme, cependant, aucune « consigne » de vote ne sera donnée. L’Église méthodiste suit la même politique, elle rappelle bien évidemment la parité homme femme du mariage, mais ne s’engage pas plus en avant dans le débat.

[2L’article 44.1.2 de la Constitution de 1937 disposait, à l’origine, que l’État reconnaissait la "position spéciale de la sainte Église catholique romaine et apostolique en tant que gardien de la Foi professée par la grande majorité des citoyens". Cette disposition fut supprimée au terme du cinquième amendement constitutionnel, en 1973. Néanmoins, ledit article dispose toujours que "l’État reconnaît que l’hommage de l’adoration publique est dû au Dieu Tout Puissant. Son nom est révéré et on doit respecter et honorer la religion". Le rôle social de l’Église catholique, après l’indépendance acquise en 1922, fut considérable, notamment en matière d’éducation.

[3La ratification du Traité de Lisbonne impliquait d’opérer des modifications à la Constitution irlandaise. Or, en Irlande, tout amendement constitutionnel nécessite l’approbation via référendum. Ainsi, l’Irlande fut l’unique pays à user de la voie référendaire dans le cadre de la ratification du Traité de Lisbonne par les États membres de l’Union. Le 12 juin 2008, les citoyens irlandais répondaient "non" à 53,4 %. Le premier ministre (Taoiseach) irlandais promit alors aux autorités bruxelloises l’organisation d’un second référendum, moyennant quelques améliorations du texte concernant l’Irlande. Outre les garanties fiscales et militaires (l’Irlande est neutre depuis les années trente), le gouvernement de centre-droit voulait s’assurer que « les dispositions de la Constitution irlandaise concernant le droit à la vie, l’éducation et la famille ne [soient] pas du tout affectées par l’attribution par le traité de Lisbonne d’un statut juridique à la Charte des droits fondamentaux de l’UE. » Le 2 octobre 2009, par référendum, le peuple irlandais approuvait le texte ainsi adapté.

[4Retrouvez la version consolidée de la Constitution, en anglais, ou, plus commodément, dans la langue de Molière.

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