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Il voulut être Césaire, il ne fut que pompeux…

9 février 2012 Jean Herbottin

Paris, le 7 février 2012… Le fascisme ne passera pas ! Courageux, face à la meute enragée des chemises brunes, se dresse un homme. Serge Letchimy, tel un Cicéron ou un Mirabeau, lança avec lyrisme un réquisitoire sans appel face à l’hydre national-socialiste représentée par l’ignoble Klaus Guéant et sa clique de SS. L’emphase y était. La grandiloquence aussi. Une petite touche de préciosité pour rendre le tout plus intellectuel. M. Letchimy, fier, droit dans ses bottes à l’assemblée nationale, exposa avec passion un argumentaire politique aussi idiot que creux. Il voulut être Césaire. Il ne fut que Pompeux.

Césaire, l’homme de la négritude, l’homme qui a fait de sa plume une arme au service de ses convictions, doit se retourner dans sa tombe. L’homme de culture qu’il était n’aurait pu cautionner pareil discours. Il n’est pas bon de faire parler les morts, aussi n’irais-je pas plus loin, mais le poète de Martinique avait un sens du juste, une vision de l’homme, et une connaissance du passé qui jamais n’aurait pu permettre pareil écart. L’objet de cet article n’est en aucun cas de défendre M. Guéant. Ses propos n’engagent que lui. Tout ceci glisse, et finira dans l’abîme. Sacrorum Antistitum l’a bien expliqué dans son article de mardi dernier. Comment peut-on considérer comme un progrès de la civilisation avortement, pornographie et autres ? Sur le plan moral, M. Guéant a fait preuve de sottise. Sur le plan politique, il a commis une erreur. Pire, une faute, un offense qui ne l’honore guère. Une faute d’autant plus grave qu’il est un ministre de la république. Mais je persiste à dire que ses propos sont plus bêtes que méchants...

Dans cette foule de vilains fascistes, trouvez Klaus Guéant

M. Letchimy fut pompeux. Pompant, même. Le verbe alambiqué, dépourvu d’arguments, il s’est livré à une attaque ad hominem en règle, en sacrifiant à une habitude bien connue à gauche : la nazification de l’adversaire. Toutes les familles de la gauche, rituellement, se livrent à cet exercice, en bonnes guerrières de cette croisade moderne de l’aseptisation de la société. Il suffit d’entendre Daniel Cohn-Bendit et son « national-cynisme » à propos de la Hongrie, pour s’en convaincre. Les nazis sont partout, vous dit-on ! Claude Guéant, en nouvel Hitler, fut la cible, pour un temps, de ce procédé qui permet d’exister sans pour autant avoir à argumenter. Si c’est cela, la gauche des valeurs, alors il faut s’inquiéter de l’avenir du débat politique en France. Car c’est cette même gauche qui, au nom de principes républicains, exigeait du gouvernement en novembre dernier des excuses suite à une déclaration malheureuse de François Baroin, et qui, aujourd’hui, se solidarise de propos indignes du débat politique. L’attaque ad hominem n’a pas sa place dans le débat parlementaire, arène politique, où l’on parle de politique, rien que de politique. Or, M. Letchimy parla de M. Guéant. Rien que de M. Guéant : « Nous savons que pour M. Guéant, la distance entre immigration et invasion est totalement inexistante … C’est un état d’esprit, et c’est presque une croisade. M. Guéant, vous déclarez, du fond de votre abîme… que les civilisations ne se valent pas… C’est simplement une injure qui est faite à l’Homme… Vous, M. Guéant, vous priviligiez l’ombre. Vous nous ramenez tous les jours à ces idéologies européennes qui ont donné naissance aux camps de concentration… Il existe, M. le Premier ministre, une France obscure qui cultive la nostalgie de cette époque… ». Le texte intégral est en bas, afin qu’on ne m’accuse pas de sortir des phrases de leur contexte [1]. Pompeux, disais-je. Je passe sur les phrases dignes d’enfants de quatrième « C’est une injure qui est faite à l’Homme », ou « Aucune civilisation ne détient l’apanage des ténèbres ou de l’auguste éclat ». Il nous aura fait le coup jusqu’au bout du combat du bien et du mal, du côté obscur de la Force contre les Jedi, en somme… Belle façon de s’exprimer quand on n’a rien à dire.

Car oui, l’ignorance n’excuse pas tout. Comment peut-on seulement avoir l’indécence, ne serait-ce que vis-à-vis de ceux qui ont vécu ce qu’était le nazisme, de comparer un discours tenu autrefois par la gauche, MM. Ferry et Blum en tête, avec la France d’aujourd’hui ? Le nazisme, c’était la terreur, l’endoctrinement des jeunes et de toute la société dans des foules appelant à la haine de l’autre. Le nazisme, c’était un homme, Adolf Hitler, travaillé sans conteste par des forces sataniques, mu uniquement par la haine et l’amour du néant. Le nazisme, c’était une religion politique, un pouvoir absolu sur une société entière. Le nazisme, c’est l’effacement du pluralisme politique et social. Le nazisme, c’était une entreprise de mort et de chaos, de massacres de masse et de destructions totales. Le nazisme, c’était le mensonge, la duplicité, le paganisme le plus violent, le culte du sang et de la race. A-t-on vu en France des nuits des longs couteaux, des organisations de jeunesse militarisées, abreuvées de haine et d’amour de la guerre, des personnes internées dans des camps, l’élimination de toute concurrence politique ? Visiblement non, sinon ce discours n’aurait jamais pu être tenu. Alors oui, je suis pompeux, mais je ne me prétends pas héritier de Césaire.

Quitte à se vautrer dans le ridicule, sautons-y à pieds-joints !

Mais ce discours n’est pas qu’une simple charge contre M. Guéant. C’est la mise en avant, encore une fois, d’un discours identitaire. Ce court laïus fut émaillé de deux références à l’esclavage. Les mots ne sont pas innocents. M. Letchimy a utilisé ici sa morale bon teint pour faire avancer, encore une fois, les vieux démons du racisme... L’image des persécutions s’approche...Le bruit des chaînes et des fouets se font déjà entendre. M. Letchimy est passé des « civilisations » à un bon vieux discours identitaire. S’estime-t-il à l’extérieur de la civilisation occidentale, pour se permettre un tel discours ? Mais quoi de plus normal dans un groupe parlementaire qui fait l’apologie du communautarisme...

Mme Royal justifiait les propos de M. Letchimy en expliquant qu’il était descendant d’esclaves. La belle affaire… A-t-il personnellement souffert, dans sa chair, des chaînes de l’oppression ? Alors certes, il existe des discriminations, je veux bien l’admettre. Mais si cela devient une arme politique, ce n’est que de la lâcheté, tout simplement. Autant je conçois, et je trouve nécessaire qu’on puisse entretenir le souvenir de ces faits douloureux, autant s’en prévaloir aujourd’hui me semble malhonnête. Nul ne peut se prévaloir de la souffrance de ses ancêtres. Il faut de plus croire que tout est de la faute des méchants blancs esclavagistes. Les esclaves étaient avant tout vendus par certains leurs frères africains. Je rappelle qu’en droit, le complice est aussi coupable...

Alors c’est sûr que c’est facile pour moi, petit blanc originaire de Bretagne… Je ne subis pas de brimades sur ma couleur de peau, je n’ai jamais été contrôlé au faciès... Mais à y regarder de plus près, la misère des campagnes françaises d’autrefois était terrible, et la situation des ouvriers dans les mines ou les usines au XIXe siècle n’avait rien à envier au sort des esclaves et de leurs descendants. Et que dire de ces enfants de neuf ans devenus mousses à bord des bateaux de pêche ? Cela s’est passé il y a un siècle ! Entendez-vous leurs enfants se plaindre ? Je ne veux pas faire de concurrence, bien au contraire. Comme le disait M. Pétré-Grenouilleau, « Il n’y a pas d’échelle de Richter des souffrances ». Mais à force de s’enfoncer dans le discours de la victime, on en vient à rendre responsable le passé de toutes nos traverses. Je m’égare, certes, mais de même qu’il est sot d’user de comparaisons douteuses pour qualifier un opposant politique, l’usage de sa souffrance comme un combat politique est une erreur. C’est un réac qui vous le dit !


[1« Nous savions que pour M. Guéant, la distance entre immigration et invasion est totalement inexistante, et qu’il peut savamment entretenir la confusion entre civilisation et régime politique. Ce n’est pas un dérapage. C’est une constante parfaitement volontaire. C’est un état d’esprit, et c’est presque une croisade. M. Guéant, vous déclarez, du fond de votre abîme, sans remords, ni regrets, que les civilisations ne se valent pas. Que certaines seraient moins avancées, et que certaines seraient supérieures. Non, M. Guéant, ce n’est pas du bon sens, c’est simplement une injure qui est faite à l’Homme. C’est une négation de la richesse des aventures humaines. C’est un attentat contre le concert des peuples de cultures et de civilisations. Aucune civilisation ne détient l’apanage des ténèbres ou de l’auguste éclat. Aucun peuple n’a le monopole de la beauté, de la science et de l’intelligence. Montaigne disait « chaque homme porte la forme entière d’une humaine condition ». J’y souscris. Mais vous, M. Guéant, vous priviligiez l’ombre. Vous nous ramenez tous les jours à ces idéologies européennes qui ont donné naissance aux camps de concentration, au bout du long chapelet esclavagiste et colonial. M. Guéant, le régime nazi, si soucieux de purification, était-ce une civilisation. La barbarie de l’esclavage et de la colonisation, était-ce une mission civilisatrice ? Il existe, M. le premier ministre, une France obscure qui cultive la nostalgie de cette époque, que vous comptez le récupérer sur les terres du Front national… »

9 février 2012 Jean Herbottin

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