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S’il fallait montrer que l’écologie n’est pas pour l’Église une découverte et une préoccupation récente, cette anthologie des principaux textes pontificaux sur ce sujet depuis Vatican II le prouverait sans aucune ambiguïté. Le père Thomas Michelet, dominicain de la province de Toulouse et enseignant à l’université pontificale Saint Thomas d’Aquin à Rome, a réuni dans cet ouvrage une cinquantaine de documents du magistère qui couvrent la période allant de Paul VI jusqu’au pape François [1].
Cette anthologie est un instrument d’étude précieux pour comprendre l’évolution et le déploiement de la pensée écologique de l’Église depuis 50 ans. Les textes sont précédés d’une introduction générale divisée en 4 temps :
L’auteur invite les fidèles catholiques à dépasser le rejet de l’écologie qu’ont un certain nombre d’entre eux du fait de la vision qu’en donne l’écologie politique actuelle. Il rappelle à juste titre « qu’au moins jusqu’à la Seconde Guerre mondiale le retour à la terre et la méfiance à l’égard d’un certain progrès technique étaient plutôt des valeurs portées par la droite traditionaliste et conservatrice [...] » [2].
A la suite du pape François qui déclare que cette encyclique « s’ajoute au Magistère social de l’Église » [3], le père Michelet assure que loin d’être en opposition avec l’enseignement passé du magistère, Laudato Si’ reprend et approfondit l’enseignement des précédents papes.
C’est ainsi que la constitution pastorale Gaudium et spes évoquait déjà la « mutation profonde » et « les progrès de la technique [qui] vont jusqu’à transformer la face de la terre » [4]. De même, avant François, c’est à Benoît XVI que l’on doit certaines formules telles que « défenseurs de la vie et du créé » ou « livre de la nature ». Quand à Jean-Paul II, l’auteur rappelle que celui-ci fut probablement marqué, pour avoir vécu de l’autre coté du rideau de fer, par la manière dont l’URSS a traité la nature (on connaît les dégâts que cela entraîna). Le développement de l’anthropologie propre à Jean-Paul II [5] dans ses encycliques sociales montrait déjà par ailleurs comment critique des modèles idéologiques modernes, défense de la vie et écologie sont liées.
Le père Michelet voit dans Laudato Si’ une « troisième génération d’encycliques sociales » [6] : si la première génération d’encycliques sociales insista sur la question ouvrière et la seconde plus particulièrement sur les déséquilibres Nord/Sud, Laudato Si’ opère un tournant et la question écologique devient désormais centrale. Il s’agit en effet de la première encyclique consacrée entièrement et explicitement à ce sujet. « Le style est neuf et peut dérouter parfois, mais la doctrine est la même en son fond » [7]. « Le plan de l’encyclique en six chapitres nous paraît ainsi se distribuer en trois parties suivant le schéma classique de l’Action catholique : “voir, juger, agir” [...] en distinguant à chaque fois le plan de la raison et celui de la foi (fides et ratio) [...] » [8]
L’écologie de l’Église n’est avant tout ni une écologie pratique, politique ou même scientifique, mais une écologie théologique. D’où cette importante critique terminologique : aux concepts de “nature” et d’“environnement”, le concept de création est préférable [9]. Si l’homme a une place spéciale dans la création, Dieu ne la lui a pas confiée pour qu’il la domine et l’épuise, mais pour qu’il en soit l’intendant. Soumettre la terre et en acquérir la maîtrise ne veut aucunement dire en faire un champ de ruine. Plusieurs pages [10] sont consacrées à réfuter les accusations faites au Christianisme d’être à l’origine de cet anthropocentrisme destructeur. « Mais voilà : le concept de création n’est pas neutre, il implique celui de Créateur. [...] C’est lorsque l’homme nie qu’il ait un Créateur au-dessus de lui qu’il ne daigne plus se compter parmi les créatures et se pense au-dessus d’elles en prenant la place de Dieu. Ce qui cause la ruine de la création et sa propre perte avec elle » [11].
De fait, s’il y a un lien intime entre l’écologie et la doctrine sociale de l’Église c’est parce que le respect de la création implique aussi le respect de l’homme, « tout est lié » nous dit le pape François. De là découle une véritable écologie intégrale. Cette écologie théologique, centrée sur la création oblige l’homme « à reconnaître qu’il y a un ordre naturel des choses » [12] et lui montre qu’il doit humblement accepter que certains des processus naturels le dépassent encore (on peut penser, par exemple, à tout ce qui concerne les manipulations du vivant), ce qui doit passer par une remise en cause de notre rapport au progrès scientifique et à la technique. L’autre cause majeure de ce déficit de conscience écologique vient de l’individualisme de la modernité. Nous assistons pour l’auteur à la fin de l’anthropocentrisme actuel et au passage à un nouvel humanisme reconnaissant l’interdépendance des créatures.
Il aurait été utile de consacrer une partie de l’introduction à l’ensemble des dérives potentielles et réelles de l’écologie (non pas de l’écologie - théologique - de l’Église mais de l’écologie dans son sens général) et aux moyens de s’en prémunir. Le sujet est évoqué dans certains textes ainsi que, en passant, dans l’introduction [13] mais le risque me semble suffisamment grand pour mériter de faire l’objet d’une attention particulière. A ce titre, l’expression “conversion écologique” ne me semble pas dépourvue d’une certaine ambiguïté. Si tel n’est bien évidement pas l’intention de l’Église, il faut faire attention à ce que la conversion écologique ne soit pas vue comme une fin en soi. On ne peut aucunement séparer l’enseignement écologique de l’Église du reste de la doctrine et de la foi chrétienne. Comme le dit le Pape François à de nombreuses reprises dans Laudato Si’, « tout est lié ».
Le réchauffement climatique est souvent invoqué par les courants écologiques comme l’une des raisons majeures de cette nécessaire transition écologique. Cela nécessite deux remarques. Premièrement, un passage de l’introduction évacue un peu trop simplement cette question en évoquant des « “experts” climato-sceptiques » [14]. Je ne suis pas certain qu’il soit judicieux de mépriser ainsi tout avis divergent sur les causes du réchauffement climatique. Deuxièmement (et l’auteur le dit d’ailleurs un peu plus loin) cette question est bien loin d’être la seule raison pour promouvoir une écologie intégrale. Elle est même, à mon avis, l’une des plus mauvaise, indépendamment de tout débat scientifique. La course effrénée à la consommation, la mentalité du jetable, le développement du transhumanisme... exigent une remise en cause de notre société actuelle quel que soit l’état de réchauffement ou d’épuisement des ressources de notre planète.
Excellent outil pour découvrir, dans les textes eux-mêmes, l’écologie chrétienne, cette anthologie ouvre nombre de questions et invite le lecteur à approfondir des notions telles que la dimension cosmique de la liturgie ou la question de la délivrance du Cosmos [15]. Elle appelle aussi, dans le même temps à une réflexion sur la mise en place pratique d’une écologie chrétienne, et cela à tous les échelons : individuel, local, national, international....
[1] La période commence en réalité avec Jean XXIII dont trois textes sont inclus en annexe.
[2] p.18.
[3] LS15.
[4] Gaudium et spes, n.5 § 1.
[5] Il faut bien se garder cependant de donner à l’anthropocentrisme de Jean-Paul II, le sens que lui donne la modernité. l’anthropocentrisme de Jean-Paul est en même temps un christocentrisme. Ce n’est que compris ainsi que l’homme peut être vu comme « au centre » de la Création.
[6] p.22.
[7] p.45.
[8] p.54.
[9] p.29.
[10] p.58-61.
[11] p.29.
[12] p.26.
[13] Le père Michelet rappelle ainsi (p.59) que « Benoît XVI n’hésitait pas à dénoncer ouvertement les “attitudes néo-païennes ou liées à un nouveau panthéisme” de certains courants écologistes ».
[14] p.56.
[15] p.34.
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