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[EX-LIBRIS] Dieu des chrétiens, Dieu des musulmans

François Jourdan, Dieu des chrétiens, Dieu des musulmans, Paris, Flammarion, coll. « Champs », 2012.

C’est sans doute regrettable, mais la plupart des chrétiens connaissent mal l’islam. De même, les musulmans dans leur vaste majorité ignorent presque tout du christianisme. Ce défaut de connaissance de la religion de l’autre ne peut pas favoriser un dialogue authentique entre chrétiens et musulmans. C’est pour y remédier que le Père François Jourdan a écrit Dieu des chrétiens, Dieu des musulmans.

Ce spécialiste de l’islam s’attache tout particulièrement à dénoncer des formules sympathiques et conciliantes que l’on entend souvent, mais qui se révèlent ambiguës, quand elles ne sont pas tout simplement fausses. Cette ambiguïté et ces erreurs sont à l’origine d’une « perplexité » pour le chrétien d’aujourd’hui. Pour en sortir, le Père Jourdan examine notamment la proposition « Nous avons le même Dieu » en se penchant sur la signification du mot « même ». Il introduit de la clarté en rappelant que ce terme a deux sens : unique et identique. « Bien sûr, écrit-il, selon les religions strictement monothéistes que nous sommes, c’est forcément le même [Dieu], algébriquement, puisque nous croyons qu’il n’y en a qu’un. Pourtant, dans la langue française, le mot “même” veut dire “identique”. Chrétiens et musulmans ont-ils une vision identique du Dieu unique ? Telle devient la question sous-jacente à l’expression piège de “même Dieu”. Là, nous ne nous retrouvons plus. Il ne suffit plus de se déclarer monothéistes ». Et de citer le cardinal Robert Coffy qui rappelait qu’« on ne peut dire qu’il y a identification entre Allah et Dieu qui s’est révélé en Jésus-Christ et qui est Père, Fils et Esprit-Saint ». (p.33)

Un autre point important que l’auteur explore est la question du statut des textes. Avons-nous une Écriture en commun ? Ce que dit l’Église sur le sujet est clair : le canon des Écritures comporte les 46 écrits de l’Ancien Testament et les 27 du Nouveau, ni plus ni moins. En revanche, il est plus facile de se méprendre sur la doctrine islamique.

On trouve en effet dans le Coran des versets qui font référence à la Torah (Tawrât) ou à l’Évangile (Injîl) (par ex. : 5,46). Est-ce à dire que l’islam accepte ces textes ? Il n’en est rien, car d’après le dogme de la falsification (tahrîf) des Écritures, ils ont été trafiqués par leurs porteurs. « Que sont devenus les quatre livres précédents descendus du ciel par Jibrîl [Gabriel] sur Ibrâhim [Abraham], Mûsâ [Moïse], Dâwûd [David] et ’Îsâ [Jésus] ? Ils auraient disparu. Ce qu’il en reste serait le résultat de la falsification qu’auraient exercée sur eux avec succès ceux qui les ont reçus : juifs et chrétiens. La Bible et le Nouveau Testament ne sont donc pas reconnus par l’islam ». Le Père Jourdan poursuit : « Quand donc les musulmans déclarent reconnaître les révélations antérieures, ils veulent dire qu’ils reconnaissent les prophètes (supposés musulmans avant la lettre et antérieurs à Muhammad, attestés comme tels par la seule parole de Muhammad) et leurs livres (supposés issus des versions islamiques précédentes, totalement conformes à la doctrine coranique) ». (p.108)

Le Père François Jourdan s’attache également, dans un chapitre très instructif, à comprendre les raisons de « la perplexité du français d’aujourd’hui » par rapport à l’islam. D’où vient cette perplexité ? Elle procède de trois sources : l’histoire ou l’actualité, la manière dont la plupart des intellectuels médiatiques, musulmans ou non, l’interprètent et, enfin, la façon dont les hommes politiques s’en saisissent.

On sait que, dans la sphère médiatique et politique, la référence à l’histoire récente ou lointaine est omniprésente. Bien évidemment, c’est une histoire souvent réinterprétée pour les besoins de la cause. C’est ainsi que, pour montrer que l’harmonie entre les communautés est possible, « on fait souvent référence à l’Andalousie de l’Espagne musulmane, aux alentours du premier millénaire, comme cas exemplaire de convivialité entre les trois religions monothéistes ». Le Père Jourdan cite Dalil Boubakeur, le recteur de la mosquée de Paris, selon lequel « l’Andalousie, lorsqu’elle était musulmane était l’exemple parfait d’une époque au cours de laquelle coexistaient pacifiquement les trois religions du Livre ». Si l’auteur de Dieu des chrétiens, Dieu des musulmans reconnaît bien volontiers que c’était effectivement le cas sous Abdrrahmane III (mort en 961), il rappelle aussi que cela ne doit pas masquer tous les faits qui vont à l’encontre de cette coexistence pacifique : « le martyre des chrétiens de Cordoue, lors des persécutions des années 850 contre ceux qui refusaient l’islamisation ; l’internement de tout le clergé de Cordoue pendant plusieurs mois ; la rigueur du grand intellectuel Ibn Hazm de Cordoue (994-1064) contre les juifs et les chrétiens ; le massacre des juifs de Grenade en 1066 ; l’expulsion des mozarabes (chrétiens arabisés) en 1120 ; l’intolérance de dynasties berbères, les Almoravides et les Almohades, avec leurs déportations à répétition ; l’interdiction de construire des églises, l’enterrement d’Averroès avec ses livres en 1198 ; la fuite du grand penseur juif du Moyen Âge Maïmonide, forcé de se convertir à l’islam et mort au Caire en 1204 ; l’exil du grand mystique andalou Ibn ‘Arabî, mort à Damas en 1240... Sans parler des exactions guerrières de la conquête islamique, puis de la reconquista chrétienne qui ont duré des siècles chacune ». (p.60,61).

Pour ce qui concerne l’actualité, dès qu’un attentat islamiste a lieu, nombre d’intellectuels, musulmans ou non, se pressent sur les plateaux de télévision pour répéter que cela n’a rien à voir avec l’islam. Le refrain est bien connu, ainsi que les paroles de la chanson : « pas de contrainte en religion » (2,256). Pourtant, ceux qui citent ce verset savent ou devraient savoir qu’il est « contraire à une centaine d’autres versets arrivés après lui dans la prédication de Mahomet et qu’il est abrogé. » (p.64)

Le Père Jourdan évoque rapidement la théorie de l’abrogation, d’après laquelle, en cas de contradiction entre deux versets, le verset postérieur abroge le verset antérieur. Cette théorie s’appuie sur la lettre même du Coran : « Dès que nous abrogeons un verset ou dès que nous le faisons oublier, nous le remplaçons par un autre, meilleur ou semblable – Ne sais-tu pas que Dieu est puissant sur toute chose ? » (2,106 ; cf. aussi 16,101 ; 22,52) [1] François Jourdan cite en note un « savant », comme disent les musulmans et comme on devrait plutôt dire un juriste, qui applique cette théorie de l’abrogation concernant le verset tolérant mille fois répété : « Cela se passa avant que le Messager de Dieu ne fusse [sic] ordonné à combattre les Gens du Livre, car “Point de contrainte en religion” fut abrogé ensuite par la sourate de Barâ’a (9,29) [2] où fut donné l’ordre de combattre les Gens du Livre » (Asbâb an-nuzûl, Abû al Hasân al Nissabûri, Dar el-Fiker, Liban, 1994, p. 77-79). Certes, il existe d’autres interprétations « modernisantes », mais ces interprétations sont souvent le fait d’intellectuels musulmans sinon occidentaux, du moins imprégnés des valeurs de l’Occident. On peut ainsi se demander si ces interprétations ne font pas dire au Coran et aux hadiths plus qu’ils ne disent. C’est ce qu’il est permis de croire quand on voit le traitement que reçoivent ceux qui tentent de réformer l’islam. Le Soudanais Mohamed Taha, qui affirmait à la fois la validité des versets de la Mecque et la caducité de ceux de Médine, a été pendu après avoir été condamné à mort par un tribunal islamique.

Enfin, pour ce qui est du rapport de certains hommes politiques à l’islam, le père François Jourdan donne notamment un exemple, malheureux mais significatif, de la faiblesse de nos dirigeants. Jean-Pierre Chevènement, quand il était ministre de l’Intérieur en 2001, avait signé avec les organisations musulmanes une espèce de code de bonne conduite. Originellement il était écrit que l’on pouvait changer de religion. Devant la pression de ses interlocuteurs, Jean-Pierre Chevènement a fait retirer ce passage sur la liberté d’apostasier.

En définitive, et pour y voir un peu plus clair sur la façon dont l’islam se donne lui-même à comprendre, la lecture du petit livre du père Jourdan est plus que recommandée.


[116,101 : « Quand Nous changeons verset pour verset – et Dieu sait mieux ce qu’Il fait descendre, – il disent : “Tu n’es bien qu’un blasphémateur !” – Non, mais la plupart d’entre eux ne savent pas. – » ; 22,52 : « Et Nous n’avons envoyé, avant toi, messager ni prophète qui n’ait eu quelque désir que le Diable n’ait lancé dans son désir ! Puis, Dieu abroge ce que le Diable lance. Puis Dieu renforce Ses signes, – tandis que Dieu est savant, sage ; – »

[2Également connue sous le nom de sourate de l’épée : « Combattez ceux qui ne croient ni en Dieu ni au Jour dernier, qui n’interdisent pas ce que Dieu et Son messager ont interdit, et ceux des gens du Livre qui ne se donnent pas comme religion la religion de la vérité, jusqu’à ce qu’ils versent la capitation sur le revenu des mains et qu’ils se fassent petits. »

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