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Depuis plusieurs mois, les Etats-Unis suivent avec attention le déroulement des primaires du Grand Old Party (GOP), le Parti républicain. L’enjeu est de taille, puisque le président sortant Barack Obama, confronté à une situation économique encore insatisfaisante, est en mesure d’être battu.
Le système électoral des primaires est aussi complexe que la démocratie locale est forte aux Etats-Unis : les électeurs votent par Etats, lors de scrutins classiques ou au cours de réunions de citoyens, les caucus, qui sont le fruit de la vieille histoire de la démocratie américaine. Le but est d’élire des délégués pour la convention du parti, où le candidat à la présidence sera celui qui en aura remporté le plus, sur 2286 délégués au total pour le Parti républicain. La convention républicaine se tiendra en août prochain à Tampa Bay (Floride), tandis que les démocrates se réuniront en septembre à Charlotte (Caroline du Nord) pour reconduire Barack Obama pour l’élection de novembre 2012.
La particularité de ce système est son côté assez archaïque, qui témoigne l’attachement des Américains à leurs traditions politiques : ainsi, c’est le caucus de l’Iowa, Etat rural conservateur, non-représentatif du reste du pays, qui ouvre le bal et donne le ton. Le deuxième grand moment des primaires est ensuite le « Super Tuesday », fixé au 6 mars prochain, qui voit voter dix Etats le même jour.
Ce marathon électoral est un peu superficiel, car il est imprévisible et ne donne pas une idée du pays dans son ensemble, mais c’est un test de popularité des candidats, et une occasion de confronter leurs machines électorales, en engloutissant des millions de dollars en meetings, clips vidéos, associations de supporters et débats.
Depuis l’entrée dans la course de Mitt Romney, ancien gouverneur modéré du Massachusetts, auteur d’une sécurité sociale qui a inspiré le health care de Barack Obama, et favori des médias, la primaire républicaine s’est paradoxalement organisée « contre » sa nomination annoncée : les sondages ont cherché pendant plusieurs mois quelle alternative conservatrice lui opposer. Ce fut d’abord Michelle Bachmann, puis Rick Perry, Herman Cain et enfin Newt Gingrich, tous adoptant un discours radical pour occuper le créneau d’opposant à Mitt Romney.
Aujourd’hui, c’est Rick Santorum, ex-sénateur de Pennsyvlanie, catholique traditionaliste lié à la « droite religieuse » protestante fondamentaliste, qui a la faveur des sondages. Vainqueur dans le caucus de l’Iowa, sa cote a brutalement baissée, pour se retrouver en tête après ses dernières victoires dans le Minnesota et le Colorado.
L’élection présidentielle américaine se gagnant au centre, un Mitt Romney a donc théoriquement plus de chances de l’emporter à côté d’un Rick Santorum qui apparaît comme un conservateur sans nuances. Mais avant, il faut gagner les primaires de son propre camp : il s’agit donc de montrer patte blanche et de donner des gages d’authenticité idéologique aux électeurs.
De son côté, le candidat libertarien Ron Paul, vieux routier du Congrès, est marginalisé par l’establishment du Parti républicain pour ses prises de position radicales en économie, mais surtout extrêmement innovantes en politique étrangère : pour la première fois, un républicain s’attaque au dogme de la « paix garantie par la force » (« peace through strength »), qui justifie de régenter le monde, et au soutien inconditionnel à l’Etat d’Israël, notamment contre la « mollacratie » de Téhéran, que Rick Santorum et Newt Gingrich appellent à ensevelir sous les bombes. [1]
Fin politique, Ron Paul, qui compte sur une base incompressible de partisans dévoués à sa cause, ne cherche pas à remporter des Etats, mais à obtenir patiemment des délégués, caucus par caucus, pour peser lors de la convention du parti. Il bénéficie d’une alliance tacite avec Mitt Romney, qui le ménage pour compter sur son soutien contre Newt Gingrich et Rick Santorum.
Mitt Romney a sur le papier toutes ses chances pour réussir, mais il ne soulève pas l’enthousiasme au sein de la base républicaine. La prochaine primaire du 28 février dans le Michigan, où son père a été gouverneur, est pour lui un test crucial pour son ascension vers l’investiture.
Longtemps considérés comme une minorité, les catholiques américains représentent pourtant la première dénomination chrétienne aux Etats-Unis depuis le milieu du XIXe siècle, devant l’Eglise méthodiste, qui occupait hier une place prépondérante, et la Convention baptiste du Sud, très influente dans les Etats sudistes protestants et pratiquants, la Bible Belt, où les catholiques sont en revanche peu nombreux.
Dans un pays où 24 % de la population a reçu le baptême catholique, l’Eglise offre un visage aux multiples facettes : les vieilles racines irlandaises, polonaises, italiennes – dont Rick Santorum est issu – ont cédé la place à une masse de fidèles hispaniques. Le diocèse de Los Angeles, par exemple, dirigé jusqu’en 2011 par l’inamovible cardinal d’origine irlandaise Roger Mahony, est composé d’une majorité de « Latinos ». Sur le plan des sensibilités théologiques, le paysage va des progressistes les plus radicaux, comme les Roman Catholic Womenpriests (d’un certain âge), aux intégristes de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X, qui viennent d’ouvrir leur deuxième séminaire américain, à Winona (Minnesota).
L’Eglise catholique américaine, c’est à la fois une institution sévèrement critiquée pour la cascade d’abus sexuels qui l’a conduit à payer deux milliards de dollars aux victimes, provoquant la faillite de nombreux diocèses, et une communauté vivante où laïcs et prêtres travaillent à réaliser des prouesses d’initiatives, comme la campagne Catholics come home ! ("Catholiques revenez à la maison !"), qui a fait revenir 200 000 personnes à la foi catholique.
Deux facteurs expliquent cet engagement dynamique des catholiques : le fait d’être une minorité, qui oblige à évangéliser et à défendre sa foi, et la confrontation au protestantisme évangélique, lui-aussi actif et exigeant. Comme l’expliquait un dominicain californien : « le dialogue avec les évangéliques est à la fois possible et enrichissant, car ils croient vraiment en Jésus-Christ ! » En outre, la société civile américaine est propice à la prise d’initiative et au foisonnement des réseaux et associations, qui ont permis aux catholiques de s’organiser et d’agir.
En politique, les catholiques, comme les minorités noire, juive et hispanique, sont traditionnellement démocrates. Jusqu’à une date récente, la tendance générale dans les pays anglo-saxons était que les fidèles de « l’Eglise de Rome », historiquement suspects de double allégeance vis-à-vis du Vatican, votent pour une gauche modérée qui a aidé à les émanciper, alors que le bulletin de vote conservateur était davantage protestant et identitaire.
A partir des années 1980, la « révolution conservatrice », qui voit la remise en cause des idées progressistes aux États-Unis, lie durablement le fondamentalisme protestant qui se lançait en politique au Parti républicain. Depuis, cette « droite chrétienne » a imposé ses thèmes au camp républicain et vice-versa, et lui a donné les clés de la victoire dans la Bible Belt, assurant l’élection de George W. Bush en 2000. Cet activisme politco-religieux, qui combat l’avortement et le mariage gay, se transmet à une frange importante des catholiques, qui deviennent plus exigeants sur ces sujets, et rejoignent peu à peu le camp républicain.
L’élection présidentielle de 2004 marque une rupture importante, lorsque des évêques ont officiellement menacé d’excommunication ceux qui s’apprêtaient à voter pour le candidat démocrate John Kerry, favorable à l’avortement et au mariage homosexuel. L’évêque de Colorado Springs, Mgr Sheridan, écrivit ainsi en mai 200 une lettre pastorale sur les « devoirs des politiques et électeurs catholiques » :
« Tout homme politique catholique qui défend le droit à l’avortement, la recherche illicite sur les embryons ou quelconque forme d’euthanasie, se place ipso-facto en dehors de toute communion avec l’Eglise et met en cause son salut. Et les catholiques qui votent pour ces candidats s’exposent aux mêmes conséquences. »
Cette parole est forte. Elle sera entendue en France, où un certain Abbé Pierre-Hervé Grosjean décide de soutenir son mémoire de Théologie morale à l’Institut Catholique de Paris en 2007 sur le thème de l’action des catholiques en politiques [2] :
« Pour la première fois, note le Père Grosjean, les électeurs sont assimilés au candidat dans une même condamnation : voter est considéré comme un acte de coopération formelle aux lois moralement injustes qui pourraient se trouver annoncées dans le programme d’un candidat. Et qu’importe si ce candidat promeut par ailleurs de bonnes et utiles convictions sur les droits sociaux par exemple, ou contre la peine de mort. »
Les résultats de 2004 confirmèrent cette évolution : si les catholiques non pratiquants étaient restés fidèles aux démocrates, les pratiquants avaient été nombreux à voter républicain. [3]
Après l’élection de Barack Obama, le mouvement prend de l’ampleur avec la perte d’influence des démocrates conservateurs, les Blue Dogs, et la compromission de responsables catholiques du Parti de l’âne avec des politiques opposées à l’Eglise. Parmi les nombreux exemples de « CINOs » (Catholics in name only), le vice-président Joe Biden, l’ex-Speaker de la Chambre des représentants Nancy Pelosi et le gouverneur de l’Etat de Washington Christine O’Grady Gregoire, qui milite pour le mariage gay, sont régulièrement cités.
Dernièrement, les évêques américains sont bruyamment partis en guerre contre l’administration Obama, qui souhaite obliger les hôpitaux religieux à fournir une couverture sociale à leurs employés pour la contraception et l’avortement. Ce conflit a évidemment été récupéré par les républicains, ce qui commence à gêner certains catholiques, qui ne se reconnaissent pas dans le libéralisme à tout crin et le bellicisme des candidats du GOP.
Sur le terrain, en effet, la réalité est plus complexe que les déclarations grandiloquantes de quelques blogs partisans, car les catholiques, comme de nombreux évangéliques, sont attachés à la dignité sociale et économique de la personne.
Comme le confiait déjà en 2008 le cardinal-archevêque de Boston Seán Patrick O’Malley, « nous sommes coincés entre des défenseurs des valeurs morales et des défenseurs des droits sociaux ». Ajoutant la donnée essentielle : « aucun des deux partis n’est catholique », en ce sens que le vote de ses coreligionnaires n’appartient à personne.
Rester ferme sur leurs principes, mais fuir comme la peste la manipulation en cours, tel est le défi des catholiques d’outre-Atlantique.
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