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Le discours végan ne se borne pas à la promotion d’un nouveau régime alimentaire sans aliment issu de l’animal. Il a la prétention de proposer une nouvelle anthropologie au sein de laquelle l’homme serait l’égal de l’animal, voire inférieur à lui. Dans une perspective néomarxiste, le véganisme postule que l’homme a dominé l’animal depuis les temps les plus anciens. Les preuves seraient accablantes pour l’être humain : asservissement, domestication, massacres, meurtres ou encore génocide de certaines espèces à cause de l’activité humaine. Pourtant, la question du rapport entre l’homme et l’animal n’a rien de nouveau. Elle a depuis longtemps intéressé les philosophes et les juristes. C’est pourquoi, il semble intéressant de se replonger dans le Moyen-Âge européen pour faire écho à cette problématique de notre temps.
Durant l’Antiquité, l’animal est méprisé et utilisé en sacrifice. Durant le Moyen-Âge, deux courants s’opposent. Le premier désigne l’animal comme un être impur pour mieux matérialiser sa différence avec l’homme et pousser ce dernier à ne pas tenter de lui ressembler [1]. Le second, influencé par Aristote et Saint Paul, insiste sur l’idée d’une communauté des êtres vivants. Dans son ouvrage De anima [2], le Stagirite donne à l’animal une âme qui lui permet de sentir. Bien entendu, celui-ci est à distinguer de l’homme qui est le seul à avoir ce que le philosophe antique nomme une âme intellective lui donnant la faculté d’appréhender les formes intelligibles des choses en rendant celles-ci semblables dans son esprit. Pour faire simple, un homme, grâce à son intelligence, est capable de matérialiser l’idée d’une table dans son esprit sans pour autant que la table soit matériellement au sein de sa pensée. De son côté, Saint Paul [3] affirme que :
Le monde animal, appartenant à la création, doit donc d’après l’apôtre des gentils aussi participer à la gloire de Dieu. Il n’est pas totalement étranger au monde des humains.
Les hommes du Moyen-Âge se sont fortement intéressés au statut de l’animal. Est-il doté d’une âme ? Doit-il travailler le dimanche ? Est-il assujetti au jeûne le Vendredi Saint ? Afin d’illustrer ces questionnements, il n’est pas inutile de revenir un instant sur l’épisode de la truie de Falaise, intervenu en 1386. Un nourrisson de trois mois se fit mutiler le visage et les bras par une truie à Falaise. La truie se vit assister d’un avocat de la défense et comparut, avant de se faire condamner à mort, devant un tribunal. Elle subit le même sort que l’enfant, puis fut pendue. Ensuite, la truie, revêtue d’habits humains, fut traînée par un cheval dans toute la ville. L’exécution eut lieu en présence du père de l’enfant pour lui faire honte de son défaut de surveillance de l’enfant et de la bête. La responsabilité du fait des choses n’est pas un principe juridique bien ancré à l’époque. Car ce n’est pas le père qui est responsable des faits commis par son cochon, mais bien le cochon qui l’est de ses propres actes. L’Ancien Testament ne prévoit pas autre chose [4] : « Si un bœuf frappe de sa corne un homme ou une femme, et que la mort s’en suive, le bœuf sera lapidé, on n’en mangera pas la chair, mais le maître du bœuf sera quitte. » Il est notable que l’animal responsable d’un crime est titulaire des mêmes droits qu’un homme ayant commis le même forfait et est soumis à la même procédure que ce dernier. Si l’animal n’est pas retrouvé, on fabrique un mannequin à son effigie qui subit le même sort. Naturellement, ces procès d’animaux ne sont pas fréquents. D’après Michel Pastoureau, il s’agirait avant tout de procès exemplaires, témoignant d’une justice parfaite, car, en la matière, il n’y a jamais de rétractation de témoins ou de faux témoignages [5]. Ces pratiques montrent que le message des théologiens comme Saint Augustin ou Saint Thomas d’Aquin, selon lequel l’animal ne dispose pas d’âme, n’a pas réussi à totalement imprégner la société européenne. Étant dépourvu d’une âme raisonnable, l’animal ne peut être jugé coupable d’actes commis sans conscience du bien et du mal ou du licite et de l’illicite. C’est la raison pour laquelle l’Aquinate condamnait les procès faits aux animaux.
Au Moyen-Âge, tout est chargé de sens. Les matériaux, les couleurs ou les végétaux ont des connotations positives ou négatives. Les animaux n’échappent pas à cette règle. Un des animaux très présent au Moyen-Âge sous forme de statue, d’emblème ou de blason est le lion. Toutes les ménageries royales ou princières en possédaient. Le lion figurait dans 15 % des armoiries, largement devant l’aigle à 8 %. Pourquoi cette place de choix pour un animal extra-européen ? Après avoir un temps diminué sa présence au sein de l’héraldique, le lion fait sa réapparition à partir du XIe siècle avec de nombreux chevaliers du lion faisant concurrence aux chevaliers du dragon et leur emblème païen. Le lion ne s’est pas imposé immédiatement. Il symbolisait à la fois le bien à travers la figure du Christ, le lion de la tribu de Juda, et le mal en tant que figure diabolique. Peu à peu, la vision orientale du lion comme roi des animaux prend le dessus en Europe. Saint Augustin voyait le lion comme un ennemi du bien tandis que Saint Ambroise et Origène l’assimilaient au Christ. Cette seconde opinion va influencer l’Église du Moyen-Âge :
Avec l’avènement du bon lion, le mauvais lion s’est transmuté dans la figure du léopard. Désormais roi des animaux, le lion a pris la place de l’ours qui l’occupait conformément à la tradition celtique en application jusqu’ici. En effet, avant la victoire du lion, l’ours était un animal vénéré en Europe [7]. Mesurant en moyenne 2,5 mètres de haut et pesant autour de 500 kgs, l’ours n’a pas eu de difficulté, après la chute de Rome où le lion faisait l’objet d’admiration, à s’imposer comme le roi des animaux européens. À l’occasion de cérémonies où règnent violence, sexe et alcool, il est de coutume de manger sa chair et de boire son sang afin d’acquérir sa force. L’ours est réputé s’accoupler avec les femmes qui donnent après naissance à des êtres mi-humains mi-ours. Parmi eux, on trouve le roi Arthur, dont le prénom vient du breton arzh signifiant ours. Dans les premiers récits arthuriens, le roi est réputé à sa mort avoir tué un proche en deuil en le serrant contre son torse à la manière des ours. Le roi meurt le 11 novembre à la date de l’hibernation de l’ours, sachant que le 2 février le jeune Arthur retirait Excalibur du rocher où elle était plantée. Luttant contre ces pratiques et récits païens, l’Église a placé à ces dates des fêtes d’importance comme la Saint Martin ou la présentation de Jésus au temple. Le christianisme se méfie des animaux trop proches de l’homme comme le singe ou le cochon qu’il estime impurs. L’ours, capable de se tenir debout et ayant une morphologie proche de celle de l’homme, n’échappe pas à la règle. On pensait aussi à cette époque qu’il s’accouplait comme les humains, face contre face. Sous l’influence de l’Église, l’ours fait l’objet de massacres. À cause de la déforestation, il est contraint de se replier en montagne, ce qui l’oblige à devenir omnivore. L’ours est décrit par les clercs de l’époque comme un être diabolique qui est souvent domestiqué dans les récits de saints. En outre, l’Église interdit au IXe siècle les combats entre animaux ce qui contribue aussi à diminuer le prestige de l’ours.
Chez les peuples antiques et germains, l’ours et le sanglier sont les animaux qui ont le privilège d’être chassés par l’aristocratie tandis que le cerf, animal peureux et dont la viande est mauvaise, est réservé aux paysans [8]. Rapidement, la chasse au sanglier perd de son prestige en raison du caractère supposément diabolique de l’animal lié à sa vie nocturne, sa dangerosité ou son agressivité. Il est remplacé par le cerf désigné par les pères de l’Église comme étant un animal solaire. Ses bois qui repoussent ne sont-ils pas la figure de la résurrection du Christ ? Ennemie de la chasse, l’Église tolère la chasse au cerf en raison de son caractère moins violent, moins destructeur et plus policé.
L’homme européen n’a pas cessé à travers les âges de se poser la question de son rapport à l’animal. Le Moyen-Âge en est le témoin éclatant. À cette époque, la hiérarchie entre l’homme et l’animal fait encore l’objet de nombreux débats théologiques et juridiques. L’animal en lui-même est porteur de sens pour l’homme médiéval. La posture révolutionnaire, qu’adoptent de nombreux thuriféraires du mouvement végan, consistant à établir comme parfaitement nouvelle la question du rapport de l’homme à l’animal est parfaitement ridicule. La période médiévale prouve bien que la place de l’animal au sein de la création n’était absolument pas niée. Celui-ci n’était pas uniquement présent dans les débats intellectuels, il l’était aussi dans l’imaginaire, ce qui fait cruellement défaut de nos jours.
[1] Certaines pratiques païennes restées vivaces dans le Moyen-Âge chrétien impliquaient de se déguiser en animal. Chez les peuples nordiques et germaniques, il s’agissait souvent de l’ours. Voir à ce sujet PASTOUREAU Michel, L’ours - Histoire d’un roi déchu, Seuil, Paris, 2007.
[2] ARISTOTE, De l’Âme, Vrin, Paris, 1995, Livre III.
[3] Ro 8, 21.
[4] Exode 21, 28.
[5] PASTOUREAU Michel, Histoire symbolique du Moyen-Âge occidental, Seuil, Paris, 2004.
[6] PASTOUREAU Michel, Histoire symbolique du Moyen-Âge occidental, Seuil, Paris, 2004.
[7] Voir à ce sujet PASTOUREAU Michel, L’ours - Histoire d’un roi déchu, Seuil, Paris, 2007.
[8] Sur la chasse au Moyen-Âge, voir PASTOUREAU Michel, Histoire symbolique du Moyen-Âge occidental, Seuil, Paris, 2004.
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