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Enfin, voici le dernier volet de notre immersion dans l’univers du concile greenien : les pratiques innovantes et modernistes, depuis la Seconde Guerre mondiale, semblent s’engendrer les unes les autres, sans avoir eu besoin d’une quelconque promulgation pour foisonner. Fort malheureusement, elles se multiplient dans le sillage de Vatican II, bénéficiant d’une très mauvaise compréhension de son contenu comme de son esprit. C’est cette période de la légitimation usurpée que nous aborderons aujourd’hui : aller plus loin, jusqu’à la mort de l’auteur en 1998 par exemple, demanderait infiniment plus de place. C’est une tâche que nous nous réservons pour plus tard... Pour l’heure, arrêtons-nous à la fin 1966, où il n’est pas encore temps, pour le romancier américain, de voir « un saint homme » en Monseigneur Marcel Lefebvre, qui se tromperait cependant en hypothéquant la vertu d’obéissance à l’autorité pontificale...
Si le concile œcuménique Vatican II est officiellement clos le 8 décembre 1965 par Paul VI, en lisant le Journal de Green, nous avons l’impression que les jeux sont déjà faits, et les conclusions tirées au tout début de l’année 1965. C’est pourquoi nous croyons pouvoir établir une rapide esquisse de la position de Julien Green face à l’immédiat après-concile dès ce moment. Nous n’épiloguerons pas, car il est clair que la crise de l’Église éclate dans toute son étendue à partir des années 1970, et perdure sans doute aujourd’hui encore.
La foi se trouve chez beaucoup transformée, comme l’attestent certains faits compromettant l’unité des chrétiens. C’est à regret que se dessine une nouvelle souffrance pour Green, souffrance qui est plus tard encore accrue, par cela seul que certaines – prétendues – réformes ne se font pas dans la douceur et paraissent ainsi peu justes :
Dans le même registre, une forme larvée de pélagianisme s’impose :
Les retours sur les innovations se multiplient, et J. Green recueille plusieurs témoignages de mécontentement chez des clercs :
Un manque de fermeté – comportement image d’une charité mal comprise – décontenance une grande partie des fidèles, fidèles qui ressentent le besoin d’être vraiment guidés :
Pourtant déjà immense, l’inquiétude de Julien Green parvient à croître encore, et trouve son réconfort dans un article de foi que certains auraient peut-être abandonné à sa place :
La correspondance de Green avec Maritain peut nous aider à prendre la température du moment. Ainsi s’exprime l’Américain, le 11 janvier 1966 :
Dans sa réponse, Jacques Maritain se montre beaucoup plus bouleversé, contrairement à l’image que l’on donne couramment de sa pensée à cette époque :
Nous voyons que pour la première fois, une véritable dichotomie est opérée entre le concile, ses textes et son œuvre d’une part ; et le modernisme d’autre part, qui n’est pas de lui et qui lui préexiste, même s’il peut s’en réclamer. C’est alors que Julien Green s’explique plus avant :
Il est absolument certain que J. Green ne s’est pas renfrogné et s’est efforcé de jouer le jeu, si l’expression est permise, et de tout faire pour rester à jour, avec l’ensemble de ses frères chrétiens :
Somme toute, Julien Green parvient à se rassurer à propos de la possible existence d’un juste milieu qui serait toujours caractérisé par la stricte obéissance à Rome. La difficulté réside dans les intermédiaires entre le Saint-Siège et les fidèles... Tout ce qui va au-delà de l’obéissance romaine s’égare donc, et nombreux sont les actes isolés qui le déconcertent :
C’est comme si J. Green pouvait se rassurer de ce qu’il voit et vit lui-même, à Paris, en le comparant aux faits extrêmes qu’on lui raconte et dont beaucoup se déroulent – encore une fois – aux Pays-Bas :
En novembre 1966 enfin, Green expose clairement sa position, pleine de foi et de confiance, en introduisant l’idée d’une crise qu’il prévoit courte :
Nous arrêtons ici cette prise de témoignage, car les choses s’accélèrent en cette fin d’année 1966, et continuent leur course sur les chapeaux de roues en 1967 et bien après. Début 1967, la possibilité d’un schisme est même envisagée par un auteur qui s’inquiète de toutes les tentatives de désacralisation fleurissant çà et là. L’annonce d’une encyclique pontificale rappelant l’obligation de célibat pour les prêtres lui fait pressentir de nouvelles pertes, de nouvelles fuites, de nouvelles coupes dans les rangs du clergé. Là s’ouvre un nouvel épisode : celui de la crise – ouverte – de l’Église à proprement parler, avec tous ses enjeux et ses protagonistes faisant progressivement leur entrée dans le Journal.
Nous espérons avoir fait une bonne exposition des opinions de Julien Green en des temps troubles et instables pour l’Église catholique et ses ouailles. Ainsi, dans les années précédant directement le concile Vatican II, Green dresse un état des lieux. Il fait le constat de ce qu’il aperçoit dans le monde religieux, avant même que la convocation de l’assemblée dite réformatrice ne soit annoncée. Ce tableau, peint au jour le jour, rend compte d’un profond changement des mentalités dans une partie de l’Église en Occident, illustré par un souci temporel permanent et un besoin de nouveautés – un désir de changement.
Avant même la conclusion solennelle du concile Vatican II, des innovations s’entérinent d’elles-mêmes, de leur propre autorité, au plus grand dam des amoureux de la liturgie latine et des dogmes purs, parmi lesquels nous pouvons ranger le diariste américain. Enfin, Green se montre plutôt réticent face à tout cela. Il ne peut s’engager corps et âme dans les voies nouvelles, mais peut encore moins rompre avec cette Église qu’il aime tant et qu’il a résolument choisie par le passé. La prose de J. Green transcrit donc les tourments et les souffrances d’une âme fidèle à Rome et ne parvenant pas à tout comprendre, mais gardant l’espérance, c’est-à-dire la foi en l’avenir de l’Église : après tout, celle-ci en a déjà vu de toutes les couleurs par le passé, et la barque des apôtres demeure. Il faut avoir confiance en la Providence. Son champ lexical privilégie l’adjectif « inquiet » et tous les mots qui lui sont proches. Selon la température du moment, dans le Journal, l’auteur jongle entre « Église » tout court, et « Église nouvelle », deux façons d’écrire qui manifestent les deux grandes tensions traversant l’esprit de l’Académicien. Il démontre en outre l’existence dès avant le concile d’un esprit relativiste subsistant par la suite, déformant certains textes et certaines réformes à son profit. En conclusion, Julien Green n’aurait eu aucune hésitation pour préférer l’herméneutique de la Tradition à celle de la rupture...
Dans la suite de son Journal, il évoque les événements touchant à ce que l’on appelle habituellement la crise de l’Église. Son attitude face aux « intégristes » – terme qu’il emploie lui-même à plusieurs reprises – serait particulièrement intéressante à étudier plus avant, car elle montre chez lui un souci impérieux de trouver le juste milieu, puisqu’il désire l’obéissance à tout prix,et abhorre d’autre part les expressions de ce qu’il nomme « l’Église nouvelle » ou le nouveau « modernisme ». Afin de poursuivre cette réflexion, l’étude de son ouvrage Ce qu’il faut d’amour à l’homme [13], publié en 1978, est particulièrement instructive à cet égard.
Vivier du Lac
[1] Julien GREEN, Journal, VIII... (t. V), « 2 juillet 1965 », p. 375-376.
[2] Ibid., « 17 octobre 1965 », p. 380.
[3] Ibid., « 3 août 1965 », p. 377.
[4] Ibid., « 19 octobre 1965 », p. 380.
[5] Ibid., « 26 octobre 1965 », p. 381.
[6] Julien GREEN, Lettre n° 169 à Jacques Maritain, datée du 11 janvier 1966, dans Une grande amitié. Correspondance 1926-1972, Paris, 1979, p. 167.
[7] Jacques MARITAIN, Lettre n° 170 à Julien Green, datée du 19 janvier 66, dans Une grande..., p. 168.
[8] Julien GREEN, Lettre n° 177 à Jacques Maritain, datée du 13 juillet 1966, dans Une grande..., p. 173
[9] Julien GREEN, Journal, VIII... (t. V), « 27 février 1966 », p. 387.
[10] Ibid., « 17 juin 1966 », p. 398.
[11] Ibid., « 16 juillet 1966 », p. 403
[12] Ibid., « 24 novembre 1966 », p. 411.
[13] Julien GREEN, Ce qu’il faut d’amour à l’homme (Bibl. de la Pléiade, t. VI), Paris, 1990, p. 885-961.
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