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Résistance et responsabilité

19 novembre 2013 Bougainville ,

Il y a une semaine, l’hommage du 11 novembre fut couvert par les huées anti-Hollande. « Ce n’était ni le lieu, ni le jour, ni l’heure et encore moins la manière ! », a vivement réagi le général Bruno Dary, ex-gouverneur militaire de Paris, que l’on peut difficilement taxer de tiédeur ou d’inaction, après son aide apportée à la Manif pour tous l’an passé. Le Rouge et le Noir s’était d’ailleurs fermement dissocié de l’initiative de manifester lors du 11 novembre.

Pourtant, les ultras de l’anti-Hollandisme se félicitent de la tournure des évènements, et se prennent à rêver du Grand Soir, ou plutôt du « Jour de Colère » d’ici janvier prochain. Certains sont des amis de cette gazette, et comptent sur le réseau de la « Cathosphère » pour soutenir leur combat contre le régime. Doit-on se rallier à leur guérilla ? Est-ce la prolongation de la Manif pour tous ?

Votre serviteur pense que non. L’éveil populaire dont nous fêtons l’anniversaire ces jours-ci (souvenons-nous du bouche-à-oreille, du « à quoi bon ? », du sentiment du devoir et des bonnes surprises au rendez-vous !) n’était pas un référendum contre le gouvernement socialiste, même si beaucoup l’ont pris ainsi. C’était une défense d’une idée de l’homme, d’une vision de la société, qui dépassait les personnes de Christiane Taubira ou Manuel Valls, qui dépassait même l’objet de la loi. Nous étions, en principe, dans le même état d’esprit que lorsqu’il s’agissait de défendre le dimanche chômé ou le statut de l’embryon sous un pouvoir de droite.

Par contre, pour les « Sarkoboys » accrocs à Twitter, et un certain gang de colleurs d’affiches, la Manif pour tous n’était qu’une occasion, parmi tant d’autres, de mettre le gouvernement en difficulté. Pour eux, la « loi Taubira » n’est déjà plus celle du mariage gay, mais de la dernière réforme carcérale. Une bataille, une manœuvre succède à une autre. Pire encore sont certains excités de la fleur de Lys, qui ne font pas mystère de leur dégoût général du monde dans lequel ils vivent, et qui ont oublié que Charles Maurras proscrivait à ses militants de perturber des cérémonies nationales, fussent-elles républicaines.

Comment voulez-vous bâtir une réponse solide, dans la durée, à la société qui a engendré la théorie du genre, en étant aussi volatile, aussi cynique ?

Ils sont cyniques car leurs moyens salissent la cause qu’ils défendent. Ils utilisent les techniques de l’adversaire, les calomnies, les articles mensongers, les intimidations. Ils justifient avec légèreté la violence qui monte contre les symboles de l’Etat : que les portiques flambent, et que l’aube soit rouge !

Ils sont cyniques et bornés, car ils croient fermement à la convergence des luttes. Ils ont jeté leur dévolu sur les Bonnets rouges de Bretagne : derrière les symboles identitaires bretons, judicieusement employés, une coalition unissant agriculteurs du puissant syndicat FNSEA, grands distributeurs, industriels et routiers, a donné l’impulsion et les moyens de la révolte [1].

Ils ne voient pas qu’il s’agit d’une grogne symptomatique de notre société atomisée : chacun défend son bifteck et ses privilèges. La « fronde fiscale » générale, aussi légitime soit-elle, est le fait de différentes professions, qui ne remettent pas en cause le régime en tant que tel. Au contraire, elles attendent tout de lui. Dans ces conditions, difficile de plaider pour un changement de pouvoir, même si l’autisme et l’arrogance des bobos au pouvoir sont pour beaucoup dans le ras-le-bol général.

Certains rétorqueront qu’il est facile de critiquer derrière son écran d’ordinateur ceux qui agissent. Il est vrai qu’avoir les mains sales n’est pas blâmable en soi : le paysan, l’artisan, celui-là se salit les mains noblement, par son travail, pour lui et pour les autres. C’est très différent de l’agitateur prisonnier de sa logique, pour qui « la fin justifie les moyens », et qui devient indifférent à la portée de ses actes.

L’humour, les sarcasmes des Hommen contre le président de l’UMP Copelovici, les banderoles bien placées, les comités d’accueil (qui, de source interne, inquiètent au plus haut point les ministres), les sentinelles immobiles, les pressions intelligentes, les coups d’éclat qui interpellent : tout cela est, et demeure nécessaire. Pas la violence, pas les manœuvres partisanes, pas les stratégies idéologiques.

Je me souviens de ma première soirée passée avec les Veilleurs : ils n’étaient pas si nombreux, sur la pelouse des Invalides, à être paisibles et pacifiques. A côté, d’autres choisissaient la confrontation avec les CRS, en faisant agenouiller des jeunes filles face aux boucliers et scandant « dictature socialiste » à tue-tête. Les uns ont produit des fruits féconds, les autres, croyant sans doute sincèrement pouvoir forcer le barrage, ont abouti à une impasse.

Dans ces conditions, disait Clemenceau, « être vaincu vaut mieux que d’être vainqueur du côté des scélérats ».

La colère gronde, et la cohésion de notre pays de guerre civile peut se déliter rapidement. Il est donc de la responsabilité du chrétien de ne pas céder trop facilement à la fièvre de la lutte à outrance. C’est de notre devoir de demeurer prophètes, et de rejeter la tentation de solutions simplistes et expéditives.

Quelle pétition je signe ? Quel est le sens de mon action ? Quel message je relaie ? Nous sommes appelés à ne « rien lâcher » de notre esprit critique, et de ce qui un bien très précieux, et qui fera toujours de nous, non pas seulement des résistants, mais des êtres entiers et cohérents : notre liberté intérieure.

Bref, pour celles et ceux qui n’auront pas oublié leur promesse, on raconte que le fondateur du scoutisme Baden-Powell avait ajouté à sa loi, en guise d’ultime commandement : « le scout n’est pas un imbécile ».

Ne soyons pas des imbéciles, ces temps-ci, et sachons discerner (cerner :p).

Résistance et obéissance, voilà les deux vertus du citoyen. Par l’obéissance il assure l’ordre ; par la résistance il assure la liberté. Et il est bien clair que l’ordre et la liberté ne sont point séparables, car le jeu des forces, c’est-à-dire la guerre privée à toute minute, n’enferme aucune liberté ; c’est une vie animale, livrée à tous les hasards. Donc les deux termes, ordre et liberté, sont bien loin d’être opposés ; j’aime mieux dire qu’ils sont corrélatifs. La liberté ne va pas sans l’ordre ; l’ordre ne vaut rien sans la liberté. Obéir en résistant, c’est tout le secret. Ce qui détruit l’obéissance est anarchie ; ce qui détruit la résistance est tyrannie. (Alain)


[1En tant que Breton, votre serviteur salue le sens de la mémoire et l’énergie de sa province ; pas les mobiles de sa révolte. La crise actuelle a pour causes l’Union européenne et l’agriculture productiviste : deux fléaux pour la Bretagne, dont les alliés de circonstance patrons-agriculteurs ne veulent pas se passer.

19 novembre 2013 Bougainville ,

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