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A ce que dit mon camarade Bougainville au sujet du dénouement du conflit qui agite la Crimée, il n’y a que peu à redire. Je voudrais m’intéresser à ce qu’il dit sur les conséquences néfastes qui ont été celles des manigances américaines au Kosovo : que l’issue de la crise « introduisait un dangereux précédent, propice à l’émiettement des territoires d’Europe en Etats sécessionnistes et ethniquement homogènes ».
Je ne suis pas plus favorable que Bougainville à la partition du Kosovo. Pour le résultat que l’on y voit désormais, tout d’abord : les monastères serbes, témoins des origines de l’évangélisation des Yougoslaves, sont aujourd’hui des enclaves perdues, ne sont plus accessibles aux pèlerins ni aux ecclésiastiques serbes ; les quelques villages encore peuplés de Serbes, privés de toute protection, sont en butte à l’hostilité d’Albanais qui se comportent comme des sauvages, rien de moins. Mais surtout, en raison de la légitimité d’une telle sécession : le Kosovo fait partie depuis des temps immémoriaux du territoire qui a vu naître la culture serbe, rien ne justifie donc qu’on le rattache à un autre pays.
C’est là qu’est la vraie iniquité dans cette manœuvre des États-Unis : faire de mouvements de population sauvages et souvent violents la raison suffisante pour faire changer d’appartenance à une région entière. Là où la charia énonce que si un « fidèle » a mis un pied sur un territoire, alors ce territoire est musulman, le christianisme, comme cela se voit dans l’organisation en diocèses et en synodes régionaux que l’Église adopte dans les premiers siècles, donne la primauté à la terre, plus sure et moins changeante que les comportements humains. Le mal abyssal qu’il y avait dans l’arrachement du Kosovo à la Serbie réside plus dans cette consécration des turpitudes et des violations de l’histoire humaine comme fondement des décisions internationales à venir.
C’est pour cela qu’il y a une vraie différence entre Crimée et Kosovo : la Crimée, jusque dans une histoire extrêmement récente, appartenait à la Russie. Le Kosovo n’a jamais fait partie de l’Albanie. Et il n’y a guère de mal à ce que le peuple majoritaire de Crimée, les Russes, cherche à retourner dans le giron, sinon à l’intérieur, de sa vraie patrie natale, et en cela, à chercher une certaine « homogénéité ethnique ». C’est là une aspiration naturelle et légitime des peuples, et elle doit être satisfaite dans la mesure où elle ne contrevient pas, justement, à l’histoire des territoires dont il s’agit.
Le vrai tort, en réalité, de Vladimir Poutine, est de répondre par la brutalité aux brutalités américaines, et de considérer ses voisins comme des terrains a priori disponibles à ses manœuvres, quitte à trouver des justifications plus ou moins abracadabrantes à celles-ci par la suite. C’est le cas de ce qu’il a fait en Géorgie en 2008, puisqu’un regard lucide [1] sur l’histoire de cette région montre en un instant que ni Abkhazie, ni Ossétie du Sud n’ont la moindre légitimité à prendre leur indépendance de la Géorgie, et encore moins à servir la Russie contre elle. C’est le cas pour le reste de l’Ukraine qui, si elle est certes proche de la Russie sur bien des plans, n’en a pas moins une identité sensiblement différente, qu’il faut respecter.
Quitte à négliger l’éternel argument de la nécessité du pragmatisme sur les questions internationales, il faut rappeler que l’identité des peuples est une donnée infiniment délicate, car elle touche au cœur des aspirations des hommes. Manipuler comme des sacs de pomme de terre ces problèmes pour servir des intérêts géostratégiques n’est pas seulement immoral, mais comporte surtout des risques d’exploser à la figure de nos apprentis sorciers modernes. L’Amérique en fait l’exquise expérience à peu près partout où elle a mis son nez dans les dernières décennies. La Russie, quant à elle, a vu la mafia géorgienne faire main basse sur les secteurs économiques développés autour des Jeux Olympiques de Sotchi cet hiver : la « démonstration de force », louée par certains médias alternatifs trop heureux de faire un pied de nez à Washington et Bruxelles pour rester objectifs, a ses propres limites. Ces limites, c’est le droit naturel des peuples à vivre sur le territoire qui les a vus naître et fait grandir qui les impose, et, ici comme partout, l’homme n’a pas, sur le long terme, d’autre choix que de s’incliner.
[1] Malheureusement, chez certains détracteurs de la superpuissance américaine qui regardent la Russie comme le Messie nouveau, la lucidité est rarement de mise.
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