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Le pacifisme est souvent appréhendé de manière négative, comme une non-violence. La question de savoir s’il exclut la violence ou non, ne semble donc même pas se poser. Et pourtant un homme comme Gandhi, une figure phare du pacifisme, la tient pour nécessaire quand il n’y a pas d’autre moyen de résister. Dans un article paru dans Young India, en août 1920, il écrit : « Je crois que s’il fallait, un jour, choisir entre la lâcheté et la violence, je conseillerais la violence. Je préfèrerais que l’Inde ait recours aux armes pour défendre son honneur, plutôt qu’elle devienne lâchement le témoin de son déshonneur ».
Cela manifeste qu’il y a une hiérarchie de valeurs à défendre, et que certaines de ces valeurs semblent être supérieures au pacifisme (compris comme non-violence). En un certain sens, il faut parfois passer par un conflit violent pour obtenir une paix réelle. C’est le cas, par exemple de la guerre dite « juste » développée par l’Aquinate dans la somme de théologie (IIa IIae, question 40). Certains dénoncent aussi des paix apparentes qui ne font que nourrir un futur conflit. Pie XI dans son encyclique Ubi arcano Dei consilio publiée entre les deux guerres mondiales (1922) écrit ceci « Dans tous les pays qui ont participé à la dernière guerre, les vieilles haines ne sont point tombées encore ; elles continuent de s’affirmer ou sournoisement dans les intrigues de la politique comme dans les fluctuations du change, ou sur le terrain découvert de la presse quotidienne et périodique ; elles ont même envahi des domaines qui de par leur nature sont fermés aux conflits aigus, tels que l’art et la littérature ».
On pourrait certes imaginer un monde sans violence. Serait-il en paix pour autant ? Pas nécessairement, car pour qu’il y ait la paix dans la cité il faut que les individus soit en relation les uns par rapport aux autres, ce que n’implique pas la simple non-violence.
Si la paix exclu a priori la violence, la non-violence n’implique ainsi pas pour autant la paix. Qu’en est-il du pacifisme ? Il est donc important de se demander ce qu’est la violence, pour mieux comprendre ensuite ce qu’est la paix et le pacifisme, enfin quelle relation peut-on établir entre ces deux notions. Nous tenterons de définir le pacifisme de manière positive et de savoir s’il existe un pacifisme qui exclut toute forme de violence.
Il y a dans le concept de violence, et son étymologie le manifeste, la notion d’ardeur, de rigueur, de force (violentia, dérivé de violens, lui-même de vis , « vigueur, force »). Dans les relations humaines cela va s’apparenter à une agressivité, à une contrainte imposée à autrui pour le faire agir d’une certaine manière. Paul Ricœur dans son livre soi-même comme un autre définit ainsi la violence : « en tant que destruction par quelqu’un d’autre de la capacité d’agir d’un sujet » [1]. Cette destruction se fait donc avec une certaine force. La violence peut toucher différentes dimension de la personne humaine à savoir : sa liberté, sa dignité, son intégrité corporelle, psychologique et spirituelle. Ce que l’on peut ajouter à Paul Ricœur c’est que la violence peut être aussi infligée à soi-même, lorsqu’une personne ne respecte plus sa propre dignité d’homme, sa nature humaine.
Cette définition nous fait souligner que certains actes dits de « résistances pacifiques » sont en réalités violents. Si cela parait plus évident pour des destructions de champs d’OGM, des dégradations de bâtiments, des formes d’arts qui « dénoncent » par exemple, cela l’est moins pour les grèves de la faims, de la soif, un suicide… Ce genre d’actes de résistances dit « pacifiques » portent pourtant directement atteinte à l’intégrité de sa personne, ce qui est intrinsèquement violent. Si ces actes sont violents sont-ils tout de même pacifiques ?
Il faut donc se demander s’il y a une manière non violente d’être pacifique sans avoir pour autant à subir la violence d’autrui. Et avant tout se demander ce qu’est le pacifisme.
A échelle d’une personne humaine quand on parle de paix, on la perçoit comme une absence de trouble, comme un état d’harmonie entre les différentes parties de son corps, de son psychisme et de son âme spirituelle. En un certain sens « tout est en ordre ». L’unité de la personne est préservée, et chacune de ses dimensions agissent ensembles. Il y a dans la paix de la cité, quelque chose de semblable, à savoir un certain ordre.
Dans la cité de Dieu, Saint Augustin définit ainsi la paix de manière générale : « La paix est la tranquillité de l’ordre. L’ordre c’est la disposition [dispositio] des êtres égaux et inégaux, désignant à chacun la place qui lui convient ».
Dans ses dix définitions de la paix, le concept d’ordre revient systématiquement. Les différents degrés de la paix reviennent à l’ordre que le créateur a voulu dans les créatures et ce pour toutes la hiérarchie des êtres. Ce qui s’oppose à la paix, n’est donc pas d’abord la violence, mais un désordre (concept qui est plus général que la violence, la violence, elle, est un certain désordre). Ce désordre peut être violent ou non (certaines choses effritent la paix sans être de la violence pour autant, c’est le cas de l’individualisme, la crise économique, une loi inique…). L’absence de violence, peut donc parfois donner l’illusion de paix.
Pour que cet ordre de la cité soit respecté, cela nécessite la justice. Car à chacun doit lui revenir ce qui lui est dû. C’est pourquoi le Compendium de la doctrine sociale de L’Église parle ainsi de la paix : « La paix n’est pas simplement l’absence de guerre ni même un équilibre stable entre des forces adverses, mais elle se fonde sur une conception correcte de la personne humaine et requiert l’édification d’un ordre selon la justice et la charité » [2].
« La paix est le fruit de la justice (cf. Is 32, 17), comprise au sens large, comme le respect de l’équilibre de toutes les dimensions de la personne humaine. La paix est en danger quand l’homme se voit nier ce qui lui est dû en tant qu’homme, quand sa dignité n’est pas respectée et quand la coexistence n’est pas orientée vers le bien commun » [3]
Si la charité était toujours respectée, la justice deviendrait inutile pour la paix d’une citée. La charité est supérieur à la justice car la justice consiste à rendre à chacun ce qu’il lui est dû, alors que la charité c’est chercher le bien d’autrui pour lui-même. Ainsi la paix est d’abord le fruit de la charité : « La paix est aussi le fruit de l’amour : La paix véritable et authentique est plus de l’ordre de la charité que de la justice, cette dernière ayant mission d’écarter les obstacles à la paix tels que les torts, les dommages, tandis que la paix est proprement et tout spécialement un acte de charité » [4].
La paix se présente comme un état de fait, le pacifisme quant à lui est une action. Son but est de maintenir l’état de paix ou de faire en sorte d’y revenir quand cet état est en péril. Pour y revenir le pacifisme doit autant que possible respecter l’ordre établis entre les êtres, ce qui inclut le respect des personnes humaines dans toutes ses dimensions. Le compendium de l’Église recommande la résistance passive contre les lois iniques au lieu d’un conflit violent par exemple.
Dans le maintien de l’état de paix, à l’échelle individuelle, le pacifisme consiste à agir moralement à l’échelle de la cité, il s’apparente à des actions politiques, caritatives, militantes, objection de conscience etc.
La paix d’une citée est parfois très grandement malmenée, de sorte que plus aucune solution ordonnée ne peut rétablir la paix. Doit-on alors la laisser tomber dans un état de conflit durable ? C’est ce que l’on pourrait penser si l’on refuse toute violence au nom du pacifisme. Mais dans ce cas, on légitime une violence bien pire.
Il n’est malheureusement pas toujours possible de ne pas utiliser la violence, lorsque le danger qui menace la paix est trop grand et que la situation s’empire si l’on reste dans une résistance passive. A l’échelle d’une cité, c’est le cas de la guerre juste (mentionnée plus haut), de l’emprisonnement des malfaiteurs…
A l’échelle individuelle on parlera de légitime défense.
La finalité de l’acte n’est pas d’utiliser la violence, mais d’empêcher l’agresseur de nuire. Or il arrive que le fait d’empêcher ce dernier de nuire, peut nous faire utiliser la violence, entraîner la mort à l’agresseur. Il est moralement licite pour la personne de se défendre si son intention est celle de conserver sa vie et si les moyens utilisés sont proportionnels à la fin visée. [5].
Si au nom d’un pacifisme mal compris, on se refuse toute action lorsque la cité est en danger, on devient, en partie, moralement responsable de l’agression qu’elle subit [6].
Pour ce qui est de la légitime défense, on n’agit pas pour le bien commun, mais pour son bien et celui de l’agresseur, il est plus difficile d’estimer, de manière générale, ce qu’il convient le mieux de faire.
Le pacifisme ne peut donc pas complètement exclure toute forme de violence. Il existe des actes de résistances pacifiques non violents, cela est possible. Cependant le pacifisme nécessite parfois une tolérance de la violence, voire son utilisation pour empêcher un mal plus grand de se propager. Si cette violence n’est pas tolérée, alors le pacifisme peut nuire à la paix, ce qui n’est plus du pacifisme. Une forme de pacifisme qui voudrait une absence de conflit à tout prix, serait, en réalité, intrinsèquement violente car tyrannique.
[1] Paul Ricoeur, soi même comme un autre, Paris, édition du seuil, 1990, p186.
[2] Compendium de la doctrine sociale de l’Église, Éditions du cerf, p.494.
[3] Ibid.
[4] Ibid.
[5] Saint Thomas d’Aquin dans la Somme de Théologie, IIa IIae, Question 64, Article 7, respondeo, écrit ceci : « Rien n’empêche qu’un même acte ait deux effets, dont l’un seulement est voulu, tandis que l’autre ne l’est pas. Or les actes moraux reçoivent leur spécification de l’objet que l’on a en vue, mais non de ce qui reste en dehors de l’intention, et demeure, comme nous l’avons dit, accidentel à l’acte. Ainsi l’action de se défendre peut entraîner un double effet : l’un est la conservation de sa propre vie, l’autre la mort de l’agresseur. Une telle action sera donc licite si l’on ne vise qu’à protéger sa vie, puisqu’il est naturel à un être de se maintenir dans l’existence autant qu’il le peut. Cependant un acte accompli dans une bonne intention peut devenir mauvais quand il n’est pas proportionné à sa fin. Si donc, pour se défendre, on exerce une violence plus grande qu’il ne faut, ce sera illicite. Mais si l’on repousse la violence de façon mesurée, la défense sera licite. Les droits civil et canonique statuent, en effet : “ Il est permis de repousser la violence par la violence, mais avec la mesure qui suffit pour une protection légitime. ” Et il n’est pas nécessaire au salut que l’on omette cet acte de protection mesurée pour éviter de tuer l’autre ; car on est davantage tenu de veiller à sa propre vie qu’à celle d’autrui.
Mais parce qu’il n’est permis de tuer un homme qu’en vertu de l’autorité publique et pour le bien commun, nous l’avons montré, il est illicite de vouloir tuer un homme pour se défendre, à moins d’être investi soi-même de l’autorité publique. On pourra alors avoir directement l’intention de tuer pour assurer sa propre défense, mais en rapportant cette action au bien public ; c’est évident pour le soldat qui combat contre les ennemis de la patrie et les agents de la justice qui luttent contre les bandits. Toutefois ceux-là aussi pèchent s’ils sont mus par une passion personnelle ».
[6] Nota Bene : tout le monde n’est pas tenu de prendre les armes pour autant
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