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[INFO] Le New York Times s’inquiète (enfin) de la situation

22 juin 2013 Rédacteur

Il le fait dans cet article, intitulé Déjà vu.

Ce papier ne nous est pas favorable, mais il a le mérite d’intéresser les États-Unis à notre cas. Espérons que la réalité fera le reste.

Avec Fikmonskov et d’autres, nous avons mesuré l’importance de diffuser ces articles à l’étranger. Nous allons envoyer un article par jour à la presse internationale.

Nous vous proposons plusieurs traductions de ce texte, faites par nos lecteurs, que nous remercions chaleureusement.

Voici la traduction de Loriquet :

La IIIème République a duré 70 ans, mais l’histoire s’en souvient surtout pour sa désastreuse performance entre les deux guerres mondiales, quand une suite de gouvernements – pas moins de 34, pour être exacte – refusèrent obstinément de reconnaître que le monde changeait.

Son échec à résoudre la Dépression [1] et au réarmement allemande mis en lumière non seulement la faiblesse d’une classe égoïste et enfermée dans des préjugés, mais créa aussi un vide qui fut rempli dans les années 30 par les extrêmes, à gauche et à droite.

Les parallèles historiques sont toujours risqués, mais il n’est pas moins alarmant d’entendre aujourd’hui les échos de la IIIème République en France. Dans l’Europe, la France semble avoir perdu sa place comme un partenaire à égalité avec l’Allemagne, ce qui est un changement gênant puisque l’entente franco-germanique a servi de principal pilier à la stabilité européenne depuis plus de cinquante ans.

Mais le réel problème de la France est chez elle. Et le principal est la peur du changement. Ce n’est pas une peur nouvelle. Les gouvernements précédents ont reculés après que des propositions de réformes sociales et économiques eurent amené des protestations massives dans la rue. Le Président François Hollande, dont le gouvernement socialiste est en place depuis 13 mois, a créé son propre mal de tête en promettant un changement sans douleur – ou plutôt de la douleur pour les riches, mais pas pour l’énorme secteur public, qui est le principal obstacle au changement.

A l’heure qu’il est, le résultat est une récession renouvelée, aucune pause [2] dans la hausse inexorable du chômage, un exode de la richesse et une désillusion abyssale et grandissante envers le gouvernement.

A ce point de son mandat de cinq ans, Hollande bénéficie de la popularité la plus basse de tous les Présidents français depuis que la Vème république a été fondé par Charles de Gaulle en 1958. Son pari est qu’il peut inverser le déclin économique du pays à temps pour espérer une réélection en 2017.

Certes, en politique, tout est possible. Mais dans un pays habitué à un pouvoir présidentiel fort, le cœur du problème réside dans la perception d’un Hollande faible et dans la désorganisation au sein de son gouvernement. Si la conséquence était un soutien enthousiaste pour la conservatrice Union pour un Mouvement Populaire, qui a perdu le pouvoir avec Nicolas Sarkozy l’année dernière, le sytème politique per se resterait solide. Mais des divisions aigues au sein de la droite ont simplement ajouté au sentiment d’un pays à la dérive.

En effet, l’une des principales caractéristiques de la Vème République est que, alors que l’Assemblée Nationale et le Sénat définissent la loi, l’humeur du pays est plus souvent déterminé par la façon dont le Président montre son pouvoir et sa personnalité. Et si le Sarkozy hyperactif est arrivé à gêner de nombreux Français en étant trop présent, Hollande est vu, au mieux, comme un chef d’entreprise se débattant avec avec une équipe pas très coopérative.
Par ailleurs, il n’est pas intelligemment choisi ses batailles. Bien que le mariage gay a été récemment légalisé par le soutien de la majorité du public, la question a agité une opposition conservatrice et catholique massive, conduisant à un énorme ralliement à travers le pays. Et ce n’était pas motivé seulement par une opposition au mariage gay (et à l’adoption), mais aussi par un effort non déguisé pour fragiliser la totalité du gouvernement.

Autrement dit, le vide politique a été rempli par la colère et la frustration. A l’extrême droite, le Front National, sous Marine Le Pen – une figure plus conciliante que son belliqueux père, Jean-Marie Le Pen – récole tranquillement l’agitation. A l’extrême gauche, le Front de Gauche de Jean-Luc Mélanchon est devenu un problème pour Hollande, puisqu’il se prépare déjà à prendre la rue afin de bloquer toute tentative de réforme économique en automne.

Des forces plus sombres encore remuent. La mort récente d’un étudiant dans une bagarre de rue à Paris a projeté le feu des projecteurs sur les groupes extrémistes, moins visibles, de la gauche et de la droite. La victime de dix-huit ans, qui suivaient des cours dans une université d’élite, appartenait à un groupe appelé Action Antifasciste Paris Banlieue. Lui, et trois autres membres, ont affronté des skinheads associés aux groupes d’extrême droite Troisième Voie et la Jeunesse Nationaliste Révolutionnaire.

Un dirigeant de l’opposition conservatrice appela immédiatement à la dissolution des bandes extrémistes de la droite et de la gauche, tandis que les parties gauchistes [3] demandaient que seuls les gangs d’extrême droit soient bannies. De façon inquiétante, le mot utilisé pour décrire ces gangs étaient « ligues », le même mot adoptés par les fascistes et les groupes pro-nazis qui essayaient de renverser la IIIème République dans le milieu des années 30.

Ce mois ci, un blog de Jean-Dominique Merchet, un journaliste qui affirment avoir de bonnes sources chez les militaires, a écrit un en-tête tapageur : « Cette extrême droite qui fantasme d’un coup d’Etat militaire ». Merchet dit que la controverse du mariage gay a énervé de vieux officiers de l’armée, dont quelques uns sont liées avec un groupe fondamentaliste appelé Civitas. Il a ajouté que quelques uns étaient mécontents de l’influence supposée des Franc-maçons au Ministère de la Défense.

Alors que personne ne prend au sérieux la menace d’un coup d’Etat, le blog de Merchet n’en a pas moins bénéficié d’une large présentation, un officiel anonyme du Ministère de la Défense, cité par le Monde, disant que « la mobilisation contre le mariage gay a poussé à certains comportements et à certains mots qui peuvent influencer des jeunes officiers, pour qui la défense de la « Grande Armée » entraîne le combat contre la franc-maçonnerie socialiste et communiste.

Une fois encore, l’idée de catholiques nationalistes identifiant des Franc-maçons penchant à gauche comme l’ennemi rappelle la profonde polarisation qui caractérisa la vie politique française des années 30.

Parler d’une revisitation de la IIIème République peut être prématuré, mais l’ordre politique en France est aujourd’hui sous grande tension. La nécessité d’un plus grand courage et d’une direction plus forte au sommet est urgente. Autrement, la promesse des lendemains qui chantent ne restera qu’une promesse.

Alan Riding est un ancien correspondant culturel européen pour le New York Times

Traduction par Loriquet



Voici une traduction libre d’un de nos lecteurs (Mayeul) :

PARIS – La Troisième République aura duré 70 ans, mais elle est surtout connue pour sa performance désastreuse entre les deux guerres mondiales du 20e siècle, quand une succession de gouvernements - pas moins de 34, pour être exact – a obstinément refusé de reconnaître un monde en mutation.
Son incapacité à s’adapter, d’abord à la Dépression, puis au réarmement allemand, a non seulement mis en évidence la faiblesse d’une classe dirigeante égoïste retranchée, mais a aussi créé un vide qui, dans les années 1930, a été rempli par les extrémistes de gauche et de droite.
Les parallèles historiques sont toujours risqués, mais il est néanmoins inquiétant d’entendre aujourd’hui en France des échos de la Troisième République. En Europe, la France semble avoir perdu sa place comme partenaire égal de l’Allemagne, une évolution inquiétante alors que depuis plus d’un demi-siècle l’entente franco-allemande a été le principal pilier de la stabilité européenne.
Mais les vrais problèmes de la France se trouvent « à la maison ». Et le principal est la peur du changement. Ce n’est pas une nouvelle peur. Des gouvernements précédents ont fait marche arrière après que des propositions de réformes économiques et sociales ont entrainé des manifestations de rue massives. Le président François Hollande, dont le gouvernement socialiste a pris ses fonctions il y a 13 mois, a créé son propre casse tête en promettant le changement sans douleur - ou plutôt la douleur pour les riches, mais pas pour le secteur public massif qui est le principal obstacle au changement.
Le résultat a été, jusqu’ici, une nouvelle récession, pas de répit dans la hausse continue du chômage, l’exode des riches et une profonde désillusion avec le gouvernement.
A ce stade de son mandat de cinq ans, Hollande jouit de la plus faible popularité d’un président français depuis que la Ve République a été fondée par Charles De Gaulle en 1958. Son pari est qu’il peut inverser le déclin économique du pays à temps pour envisager contempler sa réélection en 2017.
Eh bien, en politique, tout est possible. Mais dans un pays habitué à un régime présidentiel fort, le cœur du problème réside dans la faiblesse perçue de Hollande et le désarroi au sein de son gouvernement. Si la conséquence était le soutien enthousiaste de la conservatrice UMP, qui a perdu le pouvoir avec Nicolas Sarkozy l’année dernière, le système politique en soi resterait solide. Mais de profondes divisions au sein de la droite ont simplement ajouté au sentiment d’une dérive du pays.
En effet, une des caractéristiques de la Ve République est que, alors que l’Assemblée nationale et le Sénat définissent finalement la loi, l’humeur du pays est plus souvent déterminée par la façon dont le président projette sa puissance et sa personnalité. Et si l’hyperactif Sarkozy a réussi à exaspérer de nombreux Français en étant trop présent, Hollande est considéré au mieux comme un chef de bureau aux prises avec une équipe peu coopérative.
Il n’a pas non plus choisi à bon escient ses batailles. Bien que le mariage homosexuel ait été légalisé récemment avec le soutien de la majorité du public, la question agite encore une importante opposition conservatrice et catholique, entraînant d’énormes rassemblements à travers le pays. Et la raison de ces rassemblements n’était pas seulement l’opposition au mariage homosexuel (et à l’adoption), mais aussi un effort non dissimulé d’ébranler le gouvernement dans son ensemble.
Autrement dit, le vide politique est comblé par la colère et la frustration. À l’extrême droite, le Front National avec Marine Le Pen - un leader plus conciliant que son combatif père, Jean-Marie Le Pen - récolte tranquillement le fruit des inquiétudes. À l’extrême gauche, le Front de Gauche de Jean-Luc Mélenchon est plus un problème pour Hollande car il se prépare déjà à descendre dans la rue pour bloquer toute tentative de réforme économique cet automne.
Les forces sombres sont également en mouvement. La mort récente d’un étudiant dans une bagarre de rue à Paris, a braqué les projecteurs sur des groupes extrémistes moins visibles de gauche et de droite. La victime de 18 ans, qui appartenait à une université d’élite, faisait partie d’un groupe appelé Action Antifasciste Paris-Banlieue. Lui et trois autres membres ont affronté des skinheads liés au groupe d’extrême droite Troisième Voie et aux Jeunes Nationalistes Révolutionnaires.
Un leader de l’opposition conservatrice a immédiatement appelé à la dissolution de groupes d’extrême gauche et d’extrême droite, tandis que les partis de gauche ont exigé seulement que les bandes d’extrême droite soient interdites. Fait inquiétant, le mot utilisé pour décrire ces gangs était « ligues », ce même mot adopté par les groupes fascistes et pronazi qui tentèrent de renverser la Troisième République au milieu des années 1930.
Ce mois-ci, un blog tenu par Jean-Dominique Merchet, journaliste qui prétend avoir de bonnes sources dans l’armée, titrait sensationnaliste :". Cette extrême droite qui fantasme à propos d’un coup d’Etat militaire" Merchet écrivait que la controverse sur le mariage gay avait bouleversé des officiers supérieurs, dont certains liés à un groupe catholique intégriste appelé Civitas. Il ajoutait que certains étaient également mécontents de l’influence supposée de la franc-maçonnerie au ministère de la Défense.
Si personne ne prend au sérieux la menace d’un putsch, le post de Merchet a néanmoins été largement repris, avec Le Monde citant un officiel anonyme du ministère de la Défense déclarant que « la mobilisation sur le mariage homosexuel a incité certains comportements et déclarations qui pourraient influencer des jeunes officiers pour qui la défense de la « Grande Armée » implique la lutte contre la franc-maçonnerie socialo-communiste ".
Encore une fois, l’idée de catholiques nationalistes identifiant les francs-maçons de gauche comme l’ennemi évoque la profonde polarisation qui caractérisa la vie politique française dans les années 1930.
Parler du retour de la IIIe République peut-être prématuré, mais l’ordre politique en France est aujourd’hui en grande difficulté. Le besoin de plus de courage et de leadership fort au sommet est urgent. Dans le cas contraire, la promesse d’un avenir meilleur restera une parole en l’air.
Alan Riding est un ancien correspondant culturel pour le New York Times en Europe.

Voici la traduction d’Alain P. :

PARIS - La troisième République a duré 70 ansen France, mais elle est surtout connue pour ses piètres résultats entre les deux dernières guerres mondiales, quand une succession de gouvernements - pas moins de 34, pour être exact - ont obstinément refusé de reconnaître un monde en mutation.

Son incapacité à s’adapter, d’abord à la grande dépression, puis au réarmement allemand, a non seulement mis en évidence la faiblesse d’une classe dirigeante égoïste et retranchée dans ses privilèges, mais elle a créé aussi un vide qui, dans les années 1930, a été rempli par les extrémismes de gauche et de droite.

Les parallèles historiques sont toujours risqués, mais il est néanmoins inquiétant d’entendre aujourd’hui en France des échos de Troisième République. En Europe, la France semble avoir perdu sa place d’égal de l’Allemagne, une évolution inquiétante de l’entente franco-allemande qui a été le principal pilier de la stabilité européenne depuis plus d’un demi-siècle.

Mais les vrais problèmes de la France se trouvent en France même. Et le principal d’entre eux c’est la peur du changement. Ce n’est pas nouveau. Les gouvernements précédents ont fait marche arrière devant les manifestations de rue suscitées par des propositions de réforme économique et sociale . Le président François Hollande, dont le gouvernement socialiste a pris ses fonctions il y a 13 mois, a créé ses propres soucis en promettant le changement sans douleur - ou plutôt la douleur pour les riches, à l’exception de l’immense secteur public, principal obstacle au changement et qui lui reste intouchable.

Le résultat a été jusqu’ici une nouvelle récession, une hausse continue du chômage, un exode des riches et une profonde désillusion dans ce gouvernement.

A ce stade de son mandat de cinq ans, Hollande jouit de la plus faible popularité d’un président français depuis que la Ve République a été fondée par Charles de Gaulle en 1958. Son pari est qu’il peut inverser le déclin économique du pays à temps pour réussir sa réélection en 2017.

Certes, en politique, tout est possible. Mais dans un pays habitué à un régime présidentiel fort, le cœur du problème réside dans la faiblesse perceptible de Hollande et du désarroi régnant au sein de son gouvernement. Le système politique resterait solide si la conséquence était un soutien enthousiaste pour le parti conservateur UMP, qui a perdu le pouvoir l’année dernière avec Nicolas Sarkozy. Mais des divisions profondes au sein de la droite ont nourri un sentiment de dérive du pays.

En effet, une des caractéristiques de la Ve République, c’est que, alors que l’Assemblée nationale et le Sénat définissent la loi, l’humeur du pays se détermine souvent par la façon dont le président manifeste sa puissance et sa personnalité. Et si l’hyperactif Sarkozy a réussi à se mettre à dos la plupart des français en étant trop présent, Hollande est considéré au mieux comme un chef de bureau de l’administration aux prises avec un personnel peu coopératif.

Il n’a pas non plus choisi à bon escient ses batailles. Bien que le mariage homosexuel ait été légalisé récemment avec le soutien d’une majorité du public, la question agite de façon massive une opposition conservatrice et catholique, entraînant d’énormes rassemblements à travers le pays. Ces rassemblement n’étaient pas seulement la manifestation d’une opposition au mariage homosexuel (et à leur adoption d’enfants), mais un effort non dissimulé pour contester aussi le gouvernement dans son ensemble.

Autrement dit, le vide politique est comblé par la colère et la frustration. À l’extrême droite, le Front national de Marine Le Pen - une figure politique plus conciliante que son père Jean-Marie Le Pen, plus combatif, - récolte tranquillement la mise. À l’extrême gauche, le Front de gauche de Jean-Luc Mélenchon reste un problème pour Hollande car il se prépare déjà à descendre dans la rue à l’automne pour bloquer toute tentative de réforme économique .

Des forces obscures s’agitent également. La mort récente d’un étudiant dans une bagarre de rue Paris a jeté la lumière sur des groupes extrémistes de gauche et de droite moins visibles . La victime de 18 ans, un étudiant de l’élite des universités, appartenait à un groupe appelé action antifasciste Paris-Banlieue. Lui et trois autres membres se sont confrontés aux skinheads liés à l’extrême droite, le groupe troisième voie des jeunes révolutionnaires nationalistes .

Un leader de l’opposition conservatrice a immédiatement appelé à la dissolution des groupes d’extrême gauche et de droite, tandis que les partis de gauche ont exigé seulement l’interdiction des bandes d’extrême droite. Fait inquiétant, le mot utilisé pour décrire ces gangs étaient « ligues », le même mot adopté par les groupes fascistes et pro-nazi qui tentèrent de renverser la Troisième République au milieu des années 1930.

Ce mois-ci, un blog de Jean-Dominique Merchet, journaliste qui prétend tirer ses sources dans l’armée, titrait de façon sensationnelle : ". Cette extrême droite qui a des fantasmes d’un coup d’Etat militaire" Merchet affirme que la controverse sur le mariage gay a mis en colère les officiers supérieurs de l’armée, dont certains seraient liés à un groupe catholique intégriste appelé Civitas. Il a ajouté que certains seraient également mécontents de la soit disante influence de la franc-maçonnerie dans le ministère de la Défense.

Bien que personne ne prenne sérieusement la menace d’un coup d’état, le blog de Merchet a néanmoins été relayé largement, Le Monde cite anonymement un fonctionnaire du ministère de la défense disant que « la mobilisation sur le mariage gay a incité certains comportements et des mots qui pourraient influencer les jeunes officiers pour qui la défense de la « Grande Armée » implique la lutte contre la franc-maçonnerie socialo-communiste ".

Encore une fois, l’idée de catholiques nationalistes identifiant les francs-maçons de gauche comme l’ennemi, rappelle la profonde polarisation qui caractérisait la vie politique française dans les années 1930.

Revisiter la période de la IIIe République peut-être paraître prématuré, mais il n’en demeure pas moins que la vie politique en France est aujourd’hui en grande difficulté. Le sommet de l’état a une besoin urgent de courage et de leadership fort. Dans le cas contraire, la promesse d’un avenir meilleur restera lettre morte.

Alan Riding est un ancien correspondant culturel européen pour le New York Times.

Voici la traduction de Vincent T. :

Déjà vu

par Alan Riding, 21 juin 2013

PARIS — La Troisième République de France a duré 70 ans, mais elle a surtout laissé le souvenir de son activité désastreuse entre les deux Guerres Mondiales, lorsqu’une succession de gouvernements — pas moins de 34 pour être exact — se sont entêtés à ne pas reconnaître un monde en transformation.

Son échec à s’adapter, d’abord à la Grande Dépression, puis au réarmement de l’Allemagne, mit en lumière la faiblesse d’une classe gouvernante retranchée et au service d’elle-même. Elle créa aussi un vide qui se remplit d’extrémistes de droite comme de gauche dans les années 1930.

Il est toujours risqués de faire des parallèles historiques. Cependant, il est alarmant d’entendre des échos de la Troisième République dans la France actuelle. Au sein de l’Europe, la France semble avoir perdu sa place d’égal de l’Allemagne, une évolution troublante puisque l’entente franco-allemande fut le pilier de la stabilité européenne pendant plus d’un demi-siècle.

Néanmoins, ses réels problèmes résident à l’intérieur de ses frontières, et le principal d’entre eux est la peur du changement. Les gouvernements précédents ont reculé chaque fois que des réformes économiques et sociales aient donné lieu à des manifestations massives. Le Président François Hollande, dont le gouvernement socialiste est au pouvoir depuis 13 mois, a créé son propre mal en promettant du changement sans douleur, ou plutôt dans la douleur pour les riches, mais pas pour l’imposant secteur public qui constitue le principal obstacle au changement.

Jusqu’ici, le résultat a été une récession renouvelée, aucune relâche dans la croissance régulière du chômage, un exode des riches et une désillusion grandissante vis-à-vis du gouvernement.

A ce stade de son mandat, François Hollande goûte la plus basse popularité jamais enregistrée pour un Président de la Ve République, fondée par Charles de Gaulle en 1958. Sa spéculation est de pouvoir renverser le déclin économique du pays afin de pouvoir prétendre à une réélection en 2017.

De fait, tout est possible en politique. Mais dans un pays habitué à un pouvoir présidentiel fort, le cœur du problème se situe dans la faiblesse perçue de M. Hollande et dans la désorganisation de son gouvernement. Si la conséquence était un soutien enthousiaste de l’UMP, qui a perdu le pouvoir avec Nicolas Sarkozy, le système politique en lui-même resterait solide. Mais de profondes divisions au sein de la droite n’ont fait qu’ajouter au sentiment d’un pays à la dérive.

En effet, une des caractéristiques de la Ve République veut que l’Assemblée Nationale et le Sénat définissent la loi au niveau ultime, alors que l’humeur du pays est plus souvent déterminée par la façon dont le Président projette son pouvoir et sa personnalité. Et si l’hyperactif Sarkozy a réussi à déstabiliser beaucoup de Français en étant trop présent, au mieux Hollande est-il vu comme un chef d’entreprise luttant avec une équipe peu coopérative.

Il n’a pas non plus choisi ses batailles avec discernement. Bien que le mariage gay ait été récemment légalisé avec l’appui de la majeure partie de l’opinion, le sujet a également suscité une opposition massive de la part des conservateurs et des Catholiques, ce qui a conduit à d’imposants rassemblements à travers le pays. Et ce qui menait ces protestataires était non seulement leur opposition au mariage gay (et à l’adoption), mais aussi un effort non dissimulé pour déconsidérer le gouvernement comme un tout.

En d’autres termes, le vide politique est en train d’être comblé par la colère et la frustration. A l’extrême droite, le Front National mené par Marine Le Pen — une figure plus conciliatrice que son combatif de père, Jean-Marie Le Pen — récolte peu à peu l’agitation à son compte. A l’extrême gauche, le Front de Gauche de Jean-Luc Mélenchon est plus qu’un problème pour François Hollande, puisqu’il se prépare déjà à descendre dans la rue afin de bloquer toute tentative de réforme économique à l’automne.

Des forces plus sombres se réveillent aussi. La mort récente d’un étudiant à Paris lors d’une rixe de rue a braqué les projecteurs sur des groupes extrémistes moins visibles, de droite comme de gauche. La victime de dix-huit ans, étudiant dans une université d’élite, appartenait à un groupe appelé Action Antifasciste Paris-Banlieue. Lui et trois autres membres se sont heurtés à des skinheads associés aux groupes Troisième Voie et les Jeunesses Nationalistes Révolutionnaires.

Un leader conservateur de l’opposition a immédiatement appelé à la dissolution des groupes extrémistes à la fois de droite et de gauche, tandis que les partis de gauche ont seulement exigé l’interdiction des gangs d’extrême-droite. De façon inquiétante, le mot employé pour décrire ces gangs est « ligues », le même mot que celui adopté par les groupes fascistes et pro-Nazis qui tentèrent de renverser la Troisième République au milieu des années 1930.

Ce mois-ci, un blog de Jean-Dominique Merchet, un journaliste qui dit avoir des sources sérieuses dans l’Armée, s’est fendu de la une à sensation suivante : « Cette extrême-droite qui fantasme sur un coup d’Etat militaire ». Merchet dit que la controverse du mariage gay a agacé des hauts-gradés de l’état-major dont certains sont liés à un groupe catholique intégriste appelé Civitas. Il ajoute que certains sont également mécontents de l’influence des Francs-Maçons au Ministère de la Défense.

Alors que personne n’a pris au sérieux la menace d’un coup d’Etat, le blog de Merchet a été néanmoins abondamment cité. Le Monde rapporte les paroles d’un officiel anonyme du Ministère de la Défense selon lequel « la mobilisation contre le mariage gay a suscité certains comportements et certains mots qui pourraient influencer de jeunes officiers pour qui la défense de la Grande Armée implique de combattre la franc-maçonnerie socialo-communiste ».

Une fois encore, l’idée selon laquelle des nationalistes catholiques identifient les francs-maçons de gauche comme l’ennemi fait penser à la grande polarisation qui a caractérisé la vie politique française dans les années 1930.

Parler d’une Troisième République revisitée peut sembler prématuré, mais l’ordre politique actuel en France est très tendu. Le besoin d’un meneur d’hommes plus courageux et plus fort au sommet de l’Etat se fait sentir de façon urgente. Sinon, la promesse d’un avenir plus radieux ne restera qu’une promesse.

Alan Riding est un ancien correspondant de la culture européenne pour le New York Times


[1la crise de 29, note du traducteur

[2le mot employé, « let-up », renvoie à une réduction dans l’intensité de quelque chose de dangereux

[3« leftist » dans le texte

22 juin 2013 Rédacteur

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