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Selon l’évangile rédigé par saint Jean, Marie Madeleine se rend la première au tombeau du Christ (Jn. 20, 1) après la crucifixion et le sabbat : c’est par elle que la nouvelle est donnée aux disciples, et elle revient pleurer auprès du tombeau. Elle voit non seulement deux anges dans le tombeau vide, mais le Christ Lui-même, qu’elle prend pour le jardinier. Dans ce passage comme dans d’autres, l’évangile est aussi révélateur par ce qui n’y est pas dit : le Christ ne s’empresse pas de détromper Marie Madeleine, qui de toute façon Le reconnaitra bientôt. Ressuscité du tombeau et ayant détruit la puissance de la mort, Il est bien le jardinier : non pas celui du cimetière, mais Celui qu’avait prévu Dieu de toute éternité.
L’iconographie occidentale moderne a vu là une occasion de représenter le Christ comme un jardinier, affublé d’un chapeau de paille ou portant une bêche sur l’épaule, ce qui n’est pas sans friser parfois avec le grotesque. La réalité spirituelle de ce passage, c’est bien évidemment que le Christ est le jardinier de la création, chargé de l’amener à sa perfection comme l’avait voulu le Père. Il fallait un homme pour reprendre la tâche donnée en Eden, à laquelle faillirent les premiers parents en désobéissant à Dieu : le Christ est le nouvel Adam, et comme Adam devait guider la création vers Dieu, le Christ, renouvelant la nature corrompue, assumant notre humanité, vient prendre sa place pour rouvrir le chemin qui mène au Père, sur lequel non seulement les hommes trouveront le salut, mais encore tout ce qu’a créé Dieu sera transfiguré.
Nulle part plus que dans les chapitres consacrés à la Résurrection dans les quatre évangiles cette dichotomie entre l’ancien et le nouveau n’éclate avec autant de clarté. Dans l’évangile de saint Marc, un jeune homme a suivi Jésus et Ses disciples au mont des Oliviers et assiste à l’arrestation du Seigneur (Mc. 14, 51) : ayant voulu Le suivre plus longtemps même que les disciples, il est pris en chasse par les hommes envoyés par le Sanhédrin, et, alors qu’on s’apprête à l’attraper, il est dit qu’il abandonne son vêtement à ceux qui l’agrippaient et s’enfuit nu. Le même mot grec νεανίσκος qui désigne ce « jeune homme » se retrouve plus tard, dans le dernier chapitre, lorsque les femmes myrophores pénètrent dans le tombeau dont la pierre a été roulée : il désigne alors celui qui annonce la résurrection, revêtu de blanc (Mc. 16, 5). En risquant sa vie pour suivre Jésus, le jeune homme a perdu son manteau, qui est en fait un drap désigné par le même mot que le suaire du Christ : σινδών.
Ainsi, en suivant le Christ, l’humanité quittera le vêtement de la mort, et revêtira les habits blancs de la résurrection. C’est là le fondement de l’image du vêtement qu’utilisera saint Paul dans ses épitres, appelant à « déposer le vieil homme et revêtir l’homme nouveau » (Eph. 4, 22). Comme il n’y a qu’une résurrection, celle que nous avons reçue il y a deux mille ans, et à laquelle tous les hommes sont appelés à participer, l’homme nouveau que nous devons revêtir est le Christ, modèle unique auquel toute l’humanité doit désormais se rapporter (les saints n’étant que ceux qui ont accompli cette conformité à l’exemple du Christ) ; l’homme ancien, c’est l’homme corrompu, coupé de Dieu parce qu’il s’est refermé sur lui-même. Mais il ne s’agit pas seulement d’une image qui symbolise l’entrée dans l’Église, comme cela apparaît lorsque saint Paul parle du baptême (Gal. 3, 27) : à l’inverse des Grecs païens qui considéraient le corps comme une enveloppe radicalement étrangère à la vie spirituelle, c’était la conviction des Pères antiques que nous sommes appelés à revêtir un Corps réellement nouveau, glorieux, qui participera à la résurrection.
Selon les Pères, les « vêtements de peau » que l’homme a reçus lors de son exil d’Eden (Gen. 3, 21) sont un nouveau corps, adapté à la vie déchue, et tout l’objet du dessein de Salut est de nous rendre l’habit céleste que nous avons perdu. Au Vendredi Saint, d’abord aux matines puis aux vêpres, le rite byzantin commence deux fois une hymne en disant du Christ qu’Il « Se revêt de lumière comme d’un manteau », en écho notamment à la Transfiguration sur le mont Thabor, où les disciples virent le Christ dans Sa gloire. L’Enfant a été emmailloté à Sa Nativité, ce que l’Église interprète depuis l’antiquité comme une préfiguration de l’ensevelissement : les vêtements sont donnés au Christ pour accompagner la nature humaine, qu’Il a connue parmi nous dans toute sa misère ; mais lorsque Pierre court au tombeau le matin du dimanche, il y trouve le suaire, que le Christ ressuscité ne porte plus. Adam et Eve ont éprouvé le besoin de vêtements pour couvrir leur corps déchu, désormais fragile et vulnérable ; mais le Christ a vaincu la corruptibilité. C’est aussi pourquoi il ordonne à Marie Madeleine de ne pas le toucher, juste après la résurrection : Son Corps n’est plus le corps ancien, mais un corps glorieux [1], qui est fait pour vivre dans les cieux, c’est-à-dire dans le règne divin (« ne me touche pas, car je ne suis pas encore monté vers le Père »).
Et c’est aussi pourquoi l’éothinon [2] qui correspond à cette péricope évangélique, dans le rite byzantin, qualifie Marie Madeleine de « faible femme encore pleine de terrestres pensées », lorsqu’elle cherche à toucher le Seigneur ressuscité : la nature doit être encore être renouvelée à l’image du Christ par l’effusion de l’Esprit Saint, qui sera promis aux disciples plus loin dans le même chapitre, et qui leur sera donné pleinement à la Pentecôte. Dans cette humanité que l’Esprit Saint a prise en charge depuis qu’Il est descendu sous forme de langues de feu, il n’y a plus de « terrestres pensées » : comme le corps sera renouvelé, ainsi en va-t-il de l’esprit, qui est appelé à être configuré pleinement à la vie divine qui nous a été communiquée. A celle qu’Il avait libérée de sept démons, le Christ a aussi promis un corps glorieux, et un Esprit divin : une nature entièrement refaçonnée. Et, comme Eve apporta à Adam la corruption en lui faisant manger du fruit de l’arbre défendu, c’est des femmes que les apôtres reçurent la nouvelle de la joie : même la source de notre affliction a été changée en allégresse !
Χριστός Ανέστη ! Αληθώς Ανέστη !Surrexit Christus ! Surrexit vere !Le Christ est ressuscité ! En vérité Il est ressuscité !
[1] Dans le même chapitre, Thomas sera autorisé à mettre son doigt dans le côté du Christ, pour attester plus certainement de Sa résurrection. Les textes liturgiques byzantins du dimanche qui suit Pâques insistent fortement sur le caractère exceptionnel et pédagogique de cet épisode.
[2] L’éothinon (du grec ἠώς, l’aube) est une des deux hymnes qui clôturent les laudes dominicales du rite byzantin. Il correspond à la péricope évangélique qui a été lue au cours des matines, sur un cycle de onze semaines.
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