L’infolettre du R&N revient bientôt dans vos électroboîtes.
La France est en passe de devenir un grand pays athée. Elle l’est déjà dans ses institutions, elle le sera bientôt dans sa population [1]. À l’heure où les tenants d’une France chrétienne s’agacent d’une « islamisation » du pays, le danger semble plutôt provenir de cette foule d’athées qui, quoique souvent baptisée, s’acharne avec bonheur contre l’Église et les catholiques. Rejetant loin de leur cœur toute idée de Dieu, ces hommes remplissent leur vie de ces idoles sordides que sont les hypostases de la modernité : hédonisme jouisseur, consumérisme dissolvant, libéralisme destructeur [2]. La décrépitude de la société française prend sa source dans ce retour larvé au paganisme, accomplissant ainsi une régression spirituelle de plus d’un millénaire. De fait, la société contemporaine est tout entière gagnée à l’athéisme ; c’est là sa norme, qu’elle répand partout, insidieusement. L’hégémonie culturelle partagée par les différents organes médiatiques est l’objet d’un lourd travail de gramscisme antireligieux ; nous avons personnellement été confronté à un exemple lourd de sens sur le site Wikipédia [3]. Face à cette « athéisation » de l’Occident, la défense du christianisme paraît urgente [4], et c’est bien là la mission de tout catholique : ébranler les consciences, enflammer le monde d’un feu sacré. Montrons aux tièdes que l’indifférence n’est pas de mise et qu’il faut choisir son camp [5] : de fait, nous sommes tous embarqués.
Les travaux s’attachant à démontrer les erreurs et les tromperies de l’athéisme sont rares. L’apologétique chrétienne s’est historiquement concentrée sur le Judaïsme, le paganisme et parfois l’Islam. Mais l’athéisme, point. Il est vrai que la critique de l’athéisme a ceci de particulier qu’elle est avant tout la critique d’une critique. L’athéisme en tant que système philosophique s’est en effet érigé en opposition au christianisme à une époque où cette religion régnait sans partage dans la société civile et politique. Débouter l’athéisme revient donc à réaffirmer ou à préciser des points dogmatiques et spirituels bien connus des chrétiens. Mais notre article n’a pas cette vocation : nous voulons prendre à partie les athées eux-mêmes et leur montrer toute la faiblesse de leurs croyances ; c’est pourquoi, nous avons trouvé amusant de nommer cet article, en un très-modeste intertexte, Summa contra Atheos. Qu’on me pardonne cette témérité, car nous n’avons pas une once du génie de saint Thomas. Qu’on me pardonne également la longueur indigeste de cet article ; nous avons longtemps hésité à le diviser en plusieurs parties, mais la « somme » aurait alors perdu en cohérence. C’est aussi qu’il est plus facile de détruire que d’édifier et lorsque l’athéisme se contente de ruiner les acquis de la religion, sans jamais rien proposer d’autre, cette dernière s’efforce quant à elle d’exposer une doctrine cohérente prenant en compte tous les aspects de la réalité. Et cela prend du temps. Mais l’ardeur du chrétien est infinie lorsqu’il s’agit de défendre sa religion. En fait, rien ne devrait effrayer le chrétien sinon le jugement de Dieu, car celui qui ne croit pas est déjà jugé, parce qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu. [6]
Les athées ont beau jeu de dire que Dieu ne peut pas être prouvé et que, se dérobant à la science, Il n’est qu’une vaste fable. Mais un religieux jamais ne tentera de prouver que Dieu existe : cela est à la fois insensé et ridicule. Si Dieu pouvait se démontrer au moyen d’une éprouvette ou d’une équation, il serait un bien piètre dieu - ou il ne serait pas. La raison sera toujours qu’un pis-aller pour la religion, un supplément d’âme ; la vérité n’en a pas besoin. C’est tout le propre du Catholicisme d’être une religion de Mystères : c’est là sa beauté. Opposer la minable raison humaine aux Mystères de la Foi, quelle folie [7] ! Certes, la métaphysique ne peut prétendre être une science positive ; mais cela ne suffit pas à l’invalider, et la métaphysique n’est une prétention folle que pour celui qui, contaminé par l’idéologie moderne et aveuglé par sa vanité, est insensible à l’invisible. En réalité, l’athéisme relève également de la croyance : réfuter la métaphysique présuppose en effet l’idée selon laquelle la vérité ne peut provenir que du pur résultat mathématique, de la preuve, de l’expérience, du fait. Voilà son dogme et son credo [8]. Pourtant, jamais la divinité n’a paru aussi réelle à celui qui, recueilli dans la prière, a fait l’expérience de la solidarité mystique de l’Ecclesia. Il est en outre amusant de constater comment beaucoup d’athées ont aussitôt comblé le vide spirituel créé par leur propre incroyance : ils multiplient les idoles, se fascinent pour l’argent, la débauche et la vaine gloire. Ils n’ont d’autres soucis que le plaisir, si bien que, comme le disait saint Paul, ils font de leur ventre un dieu [9]. En fait, l’athéisme comme conviction absolue n’existe pas, et même s’il existait, il ne serait qu’une religion de plus.
Dieu est l’Être nécessaire que tout révèle, et en cela, l’athéisme n’est que pur déni. Déjà, la seule présence en l’homme de l’idée de Dieu « prouve » Dieu ; il est dès lors contradictoire d’affirmer que Dieu n’existe pas, puisqu’il faut pour cela reconnaitre la présence en nous d’une idée de Dieu : l’athée, pour nier Dieu, le suppose. Et c’est parce que l’athéisme n’est que pure négation que celui-ci n’a jamais réussi à produire autre chose qu’une critique, parfois savante, mais toujours limitée en ce qu’elle ne propose jamais d’alternative cohérente et durable à la religion. Les écrits athées regorgent toujours de « critiques » et de « réfutations » du christianisme. Mais c’est à peu près tout. En fait, l’athéisme ne cesse de camper sur les défauts de la nature et de la religion pour expliquer l’inexistence de Dieu et, corollaire, l’imperfection de la religion :
« L’athéisme ne vous apporte que de honteuses exceptions ; il n’aperçoit que des désordres, des marais, des volcans, des bêtes nuisibles ; et, comme s’il cherchait à se cacher dans la boue, il interroge les reptiles et les insectes, pour lui fournir des preuves contre Dieu. La religion ne parle que de la grandeur et de la beauté de l’homme. L’athéisme a toujours la lèpre et la peste à vous offrir. La religion tire ses raisons de la sensibilité de l’âme, des plus doux attachements de la vie, de la piété filiale, de l’amour conjugal, de la tendresse maternelle. L’athéisme réduit tout à l’instinct de la bête ; et, pour premier argument de son système, il vous étale un cœur que rien ne peut toucher. Enfin, dans le culte du chrétien, on nous assure que nos maux auront un terme ; on nous console, on essuie nos pleurs, on nous promet une autre vie. Dans le culte de l’athée, les Douleurs humaines font fumer l’encens, la Mort est le sacrificateur, l’autel un Cercueil, et le Néant la divinité [10] »
L’athéisme est donc incapable d’affirmer, il est une philosophie seulement dans ce qu’il nie et, pour exister, il a encore besoin de l’idée de Dieu : à ce titre, et comme son nom l’indique, l’athéisme est fondamentalement théocentrique. Mais quoique se situant toujours par rapport à Dieu, l’athéisme n’en reste pas moins une invention humaine qui n’a jamais su réunir les hommes sous une même égide, une même doctrine :
« Laissons-lui donc ses déplorables partisans, qui d’ailleurs ne s’entendent pas même entre eux : car si les hommes qui croient en la Providence s’accordent sur les chefs principaux de leur doctrine, ceux au contraire qui nient le Créateur, ne cessent de se disputer sur les bases de leur néant. Ils ont devant eux un abîme : pour le combler, il ne leur manque que la pierre du fond, mais ils ne savent où la prendre [11]. »
En revanche, la religion offre la vision d’un peuple universel tout entier voué au Ciel, réunie dans une même Eglise et partageant une unité doctrinale que seule une révélation divine peut permettre. Saint Thomas d’Aquin déjà en parlait :
« Certains hommes en effet s’appuient tellement sur leurs capacités qu’ils se font fort de mesurer avec leur intelligence la nature tout entière, estimant vrai tout ce qu’ils voient, et faux tout ce qu’ils ne voient pas. Pour que l’esprit de l’homme, libéré d’une telle présomption, pût s’enquérir de la vérité avec modestie, il était donc nécessaire que Dieu proposât certaines vérités totalement inaccessibles à son intelligence. (…) Livre de l’Ecclésiastique : « Beaucoup de choses qui dépassent l’esprit de l’homme t’ont été montrées [12]. »
Si l’athéisme est incapable d’affirmer, la religion quant à elle offre une doctrine rigoureusement complète : tous les aspects de la réalité y sont compris et agencés, de la basse trivialité morale aux hautes vérités métaphysiques. C’est que l’idée de Dieu amène tout à soi : c’est une idée si présente dans l’histoire de l’univers qu’elle peut à bon droit être présentée comme vraie. Quel orgueilleux pourrait soutenir sans défaillir, sinon trois pseudo-philosophes contemporains plus mauvais les uns que les autres, que l’humanité toute entière s’est trompée, que les hommes, des origines au XXe siècle, n’ont été qu’abrutis incapables de penser et abusés par quelques contes métaphysiques ? Quel badaud oserait soutenir que la vérité appartient désormais à une bande d’athées occidentaux, sans passé et sans valeurs, qui entendent revisiter l’histoire à travers un progrès libérateur qui a abouti, on le sait, à l’urinoir de Duchamp et Hiroshima ? La civilisation a quitté l’Occident depuis que la religion n’y a plus sa place.
L’innéisme a donc l’avantage avantage d’expliquer le fait qu’on ne puisse trouver une société, primitive ou développée, qui n’ait pas développé l’idée d’une ou plusieurs divinités : l’expérience n’a jamais révoqué cette vérité. Il existe un « consensus universel » sur l’idée de Dieu ; Cicéron le remarquait déjà dans son De natura deorum de Cicéron :
« Sans avoir l’idée d’une chose, c’est-à-dire sans en avoir une représentation mentale, vous ne sauriez la concevoir ni en parler : or, quel peuple, quelle sorte d’homme n’a pas, indépendamment de toute étude, une idée, une prénotion des dieux ? Vous voyez, dès lors, toute cette question reposer sur un fondement solide. En effet, puisque ce n’est point une opinion qui vienne de l’éducation, ou de la coutume, ou de quelque loi humaine, mais une croyance ferme et unanime parmi tous les hommes, sans en excepter un seul, il suit de là que c’est par des notions empreintes dans non âmes, ou plutôt innées, que nous comprenons qu’il y a des dieux. Or, tout jugement de la nature, quand il est universel, est nécessairement vrai. Il faut donc reconnaître qu’il y a des dieux. Et comme les philosophes et les ignorants s’accordent presque tous sur ce point, il faut reconnaître aussi que les hommes ont naturellement une idée des dieux, ou, comme j’ai dit, une prénotion [13]. »
Le parfait ne peut provenir de l’imparfait, en sorte que la présence de l’idée de l’infini en nous, êtres finis, ne peut pas avoir d’autre origine que l’être infini lui-même : c’est ce qu’affirme Malebranche dans Sa Recherche de la Vérité : « rien de fini ne peut représenter l’infini. Si on pense à Dieu, il faut qu’il soit ». Dans l’Examen de la philosophie de Bacon, J. de Maistre l’exprime avec astuce :
« Dieu parle à tous les hommes par l’idée de lui-même qu’il a mise en nous ; par cette idée qui serait impossible, si elle ne venait pas de lui, il dit à tous : C’EST MOI ! et ceux qu’on nomme athées répondent : COMMENT SERAIT-CE TOI, PUISQUE TU N’EXISTES PAS ? [14] »
Mais le génie de Maistre réside en ce qu’il montre que l’athéisme n’est pas un produit de l’intelligence mais un défaut de la volonté : la croyance en Dieu est un état naturel, et c’est bien plus la société moderne qui, fidèle à son dessein malin, détourne l’homme de sa piété naturelle.
« Nul homme n’a cessé de croire en Dieu, avant d’avoir désiré qu’il n’existât pas ; nul livre ne saurait produire cet état, et nul livre ne peut le faire cesser [15] ».
L’athéisme n’est donc que folie en ce qu’il nie ce qui est à la fois évident et nécessaire [16]. Evident car tout ce qui appartient au sensible a nécessairement un commencement et une fin : c’est là une loi naturelle qu’il serait impossible de réfuter, et soutenir que la Nature en serait exempt est contradictoire. Remarquons d’ailleurs, quoiqu’en pensent quelques spinozistes, qu’il n’y a rien d’ « anthropomorphique » à dire que le monde ne peut exister sans cause puisque c’est là le modèle même de la nature. Par nous-mêmes, nous n’avons absolument rien : Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? (I Co. 4, 7). L’impossibilité d’un regressus ad infinitum dans l’ordre des causes efficientes aboutit nécessairement à la conclusion d’un moteur premier, lui-même non engendré : Dieu. Et qu’il s’agisse de la « cause », du « mouvement », de la « génération » ou des « degrés » de perfection, toutes ces manières de remonter à Dieu ont été démontrées avec brio par la philosophie aristotélicienne [17].
Dieu est tout-puissant. De fait, il est donc normal que Dieu accompagne, guide et conduise sa Création : c’est ce qu’on appelle la Providence. L’athéisme aime alors à dénoncer - avec beaucoup de compassion - le « scandale » de l’idée de Providence : car quoi ! si Dieu existe, il est responsable du Mal à l’oeuvre dans le monde.
Il y aurait ici une pléthore d’arguments théologiques pour expliquer cet antique problème et débouter beaucoup d’accusations. Mais mon apologétique se veut originale : elle s’armera, à propos de la question du mal, non de spéculations mais de l’expérience du réel. Contrairement à ce que beaucoup pensent, la religion ne justifie pas le mal : elle l’explique. Et l’expliquant, elle nous propose de l’assumer avec force et sacrifice [18]. Tous les êtres gémissent [19], et dans cette tourmente, le Christ nous propose de boire le Calice jusqu’au bout et de résister avec ardeur jusqu’à la Fin [20]. C’est pourquoi, toute compréhension métaphysique réelle doit d’abord se débarrasser du sentimentalisme. Il est d’ailleurs amusant que ceux-là même qui veulent détruire la morale soient les premiers à s’apitoyer sur la misère du monde. A la lecture de beaucoup d’athées, qui n’hésitent pas à vomir les poncifs nietzschéens sur le christianisme, on a du mal à se dégager de tout moralisme, puisqu’ils disent que, si Dieu existe, il n’est pas bien que le mal soit. Il n’y a là rien de sérieux [21].
Dire que la morale n’a pas sa place en métaphysique, ce n’est pas à dire que le monde soit amorale, ou que Dieu soit un Être malfaisant ou indifférent à son malheur, mais que la morale, bien que nous la savons juste, ne nous apparait pas encore clairement : espérions-nous connaître et comprendre la morale d’une histoire dès ses premiers chapitres ? Dans son humilité face au mystère de l’Univers, le croyant de toute confession s’incline avec bonté devant les décrets de son Seigneur, sachant que de toutes façons, il est Souverain et que tout lui appartient : Le Seigneur a donné, le Seigneur a repris, loué soit le Nom du Seigneur ! [22]. La vraie virilité spirituelle ne doit pas se demander si l’existence de Dieu est d’une quelconque indécence vis-à-vis de l’homme : il doit toujours l’adorer, même dans le désarroi.
« Que la nature use à son gré de notre argile qui est sa chose ; nous, satisfaits, quoi qu’il arrive, et courageux, songeons que rien ne périt de ce qui est nôtre. Quel est le devoir d’une âme vertueuse ? De s’abandonner au destin. C’est une grande consolation d’être emporté avec l’univers [23]. »
La religion ne dit pas que le mal est bien, mais qu’il a un sens car tout est ordonné. Qu’il y ait du mal dans le monde est semblable au fait qu’il y ait des dysfonctionnements dans la Nature ; l’ordre et l’harmonie parfaites de la Nature relèvent du prodige : ses anomalies et irrégularités sont des exceptions qui, non seulement confirment l’existence de lois normatives, mais qui sont inhérentes à toute manifestation sensible. L’ordre de la morale agit de la même manière, et saint Thomas nous l’exprime magnifiquement :
« L’ordre de l’univers requiert, comme nous l’avons dit, que certains êtres puissent défaillir et parfois défaillent. De telle sorte que Dieu, en causant le bien de l’ordre universel, cause aussi, par voie de conséquence et pour ainsi dire par accident, la corruption de certains êtres, conformément à ces paroles de l’Écriture (1 S 2, 6) : “ C’est le Seigneur qui fait mourir et qui fait vivre. ” [24] »
Voilà pourquoi la religion ne refuse pas de penser sous prétexte que le mal serait un scandale et qu’à ce titre, il serait odieux de croire en une Providence ; c’est un raisonnement enfantin. C’est également la question stupide d’Adorno qui, demandant si l’on pouvait encore philosopher après Auschwitz, serait contredit par les Juifs eux-mêmes et tous ceux qui ont vaillamment continué à prier Dieu malgré une souffrance intolérable. Remarquons en effet comment ce sont dans les peuples les plus meurtris, d’Europe et du monde entier, dans lesquels la misère voisine le désespoir, que l’on trouve les hommes les plus pieux, les plus opiniâtres dans la Foi alors même que le sort devrait les pousser à maudire et abjurer ! Il y a là quelque chose de glorieux.
Et comme les athées ont souvent la sale manie de réciter maladroitement les thèses de Nietzsche sur le christianisme, nous nous proposons d’en rire un peu. Car il n’y a rien de plus drôle que de lire un philosophe, à la fois dépressif et avorton, attaquer la religion pour ce qu’elle serait un repère de faibles, « malades » et dégénérés dans ses « instincts ». Lire ça d’un homme qui est mort comme un légume pitoyable à 40 ans, qui a passé sa vie à vomir contre Platon et les Chrétiens [25], et qui a été incapable d’appliquer à lui-même ses propres idées [26] , est d’un comique des plus cocasses. Remarquons que ce frustré de la guerre de 1870 dût s’inventer un surhomme pour vivre, comme d’après lui, le chrétien s’invente un autre monde pour vivre. Mais la théorie des « arrières-mondes » démontrant un « affaiblissement de la vie » ne tient plus dès lors que l’on relève la tête des livres pour observer le peuple croyant traditionnel. Il n’y a là que force et détermination : le fou de Dieu, c’est ce qu’aucun surhomme ne pourra jamais produire. L’épisode des croisades fut le fait d’hommes comme Nietzsche l’a toujours rêvé ; un élan des instincts, de la vie, de la volonté de puissance même. Des tueurs de dragons [27]. Ce que Nietzsche n’a pas compris, c’est que cette « négation de l’homme par lui-même », à laquelle exhorte le christianisme, porte l’homme précisément à se réinventer, à se faire plus qu’un homme, à se surpasser, poussé par un sentiment semblable à ce que les Grecs appelaient l’aidos.
L’athéisme, qui est pourtant la croyance la plus populaire en France, est particulièrement néfaste au peuple en ce qu’il s’oppose à la morale et au politique. Certes, l’athéisme a ceci de doux qu’il n’oblige à rien et laisse l’athée dans la liberté du vice ; mais la morale en pâtit nécessairement, abolissant la limite que maintenait la valeur axiologique de la religion.
« Ce n’est pas la religion qui découle de la morale, c’est la morale qui nait de la religion, puisqu’il est sûr, comme nous venons de le dire, que la morale ne peut avoir son principe dans l’homme physique ou la simple matière ; puisqu’il est certain que, quand les hommes perdent l’idée de Dieu, ils se précipitent dans tous les crimes en dépit des lois et des bourreaux [28]. »
C’est pourquoi, la liberté que propose l’athéisme n’est qu’un leurre : elle enchaîne l’homme dans son marasme au lieu de le délivrer, car la seule libération véritable est celle de l’esprit. En cela, l’athéisme est pour beaucoup un prétexte, une démarche intéressée : en déclarant l’inexistence de Dieu, il s’assure la légitimation de ses propres vices. Il s’agit moins de libérer les hommes d’une erreur métaphysique que de s’émanciper de la morale religieuse [29]. Dès lors il ne s’agit plus de dire « Dieu n’existe pas », mais « Dieu ne doit pas exister ». Charles Baudelaire y consacre quelques lignes dans son journal Mon Cœur mis à nu :
« Les abolisseurs d’âmes (matérialistes) sont nécessairement des abolisseurs d’enfer ; ils y sont, à coup sûr, intéressés. Tout au moins, ce sont des gens qui ont peur de revivre, - des paresseux [30]. »
Chateaubriand avait fait la même réflexion : Personne ne nie un Dieu, si ce n’est celui à qui il importe qu’il n’y en ait point [31]. L’acharnement de l’athéisme contre les religions s’explique alors en grande partie : les athées ne supportent pas que des croyants puissent reprocher, par leur simple existence, leurs pratiques immorales. La Bible, visionnaire à bien des égards, l’exprime magnifiquement dans La Sagesse :
« Car ils disent entre eux, dans leurs faux calculs : "Courte et triste est notre vie ; il n’y a pas de remède lors de la fin de l’homme et on ne connaît personne qui soit revenu de l’Hadès. Nous sommes nés du hasard, après quoi nous serons comme si nous n’avions pas existé. C’est une fumée que le souffle de nos narines, et la pensée, une étincelle qui jaillit au battement de notre cœur ; qu’elle s’éteigne, le corps s’en ira en cendre et l’esprit se dispersera comme l’air inconsistant. Avec le temps, notre nom tombera dans l’oubli, nul ne se souviendra de nos œuvres ; notre vie passera comme les traces d’un nuage, elle se dissipera comme un brouillard que chassent les rayons du soleil et qu’abat sa chaleur. Oui, nos jours sont le passage d’une ombre, notre fin est sans retour, le sceau est apposé et nul ne revient. Venez donc et jouissons des biens présents, usons des créatures avec l’ardeur de la jeunesse. Enivrons-nous de vins de prix et de parfums, ne laissons point passer la fleur du printemps, couronnons-nous de boutons de roses, avant qu’ils ne se fanent, qu’aucune prairie ne soit exclue de notre orgie, laissons partout des signes de notre liesse, car telle est notre part, tel est notre lot ! Opprimons le juste qui est pauvre, n’épargnons pas la veuve, soyons sans égards pour les cheveux blancs chargés d’années des vieillards. Que notre force soit la loi de la justice, car ce qui est faible s’avère inutile. Tendons des pièges au juste, puisqu’il nous gêne et qu’il s’oppose à notre conduite, nous reproche nos fautes contre la Loi et nous accuse de fautes contre notre éducation. Il se flatte d’avoir la connaissance de Dieu et se nomme enfant du Seigneur. Il est devenu un blâme pour nos pensées, sa vue même nous est à charge [32] »
C’est pourquoi l’athéisme, en ce qu’elle n’est qu’une philosophie, est une pensée individualiste inutile à la société et qui sape les fondements mêmes du vivre-ensemble. Pour Rousseau, l’athéisme est la philosophie de l’anarchie :
« Fuyez ceux qui, sous prétexte d’expliquer la nature, sèment dans les cœurs des hommes de désolantes doctrines, et dont le scepticisme apparent est cent fois plus affirmatif et plus dogmatique que le ton décidé de leurs adversaires. Sous le hautain prétexte qu’eux seuls sont éclairés, vrais, de bonne foi, ils nous soumettent impérieusement à leurs décisions tranchantes, et prétendent nous donner pour les vrais principes des choses les inintelligibles systèmes qu’ils ont bâtis dans leur imagination. Du reste, renversant, détruisant, foulant aux pieds tout ce que les hommes respectent, ils ôtent aux affligés la dernière consolation de leur misère, aux puissants et aux riches le seul frein de leurs passions ; ils arrachent du fond des cœurs le remords du crime, l’espoir de la vertu, et se vantent encore d’être les bienfaiteurs du genre humain. (…) l’irréligion, et en général l’esprit raisonneur et philosophique, attache à la vie, effémine, avilit les âmes, concentre toutes les passions dans la bassesse de l’intérêt particulier, dans l’abjection du moi humain, et sape ainsi à petit bruit les vrais fondements de toute société : car ce que les intérêts particuliers ont de commun est si peu de choses, qu’il ne balancera jamais ce qu’ils ont opposé [33]. »
Nous l’avons dit : l’athéisme n’est qu’une philosophie. En cela il s’offre à l’individu mais non au peuple, condamnée à n’être que le hochet de quelques individus instruits mais seuls. La religion seule est capable de donner une doctrine et une raison d’exister à des masses entières, de toutes les origines et de toutes les classes. Cela n’a rien d’étonnant quand on sait que l’athéisme est originairement le produit d’une bourgeoisie mondaine et d’une aristocratie décadente. Si le christianisme est né dans une étable, les premiers promoteurs de l’athéisme appartenaient tous à une certaine élite sociale. Contre ces « Lumières » mondaines confinées dans les Salons, la religion a longtemps été le soutien du peuple :
« Si une chose doit être estimée en raison de de son plus ou moins d’utilité, l’athéisme est bien méprisable, car il n’est bon à personne. Parcourons la vie humaine ; commençons par les pauvres et les infortunés, puisqu’ils font la majorité sur la terre. Eh bien, innombrable famille des misérables ! est-ce à vous que l’athéisme est utile ? Répondez. Quoi ! pas une voix ! pas une seule voix ! J’entends un cantique d’espérance, et des soupirs qui montent vers le Seigneur ! Ceux qui croient. [34] »
Si toute philosophie est destinée à rester, le plus souvent, la spéculation inutile de quelques individus, la religion en revanche offre une raison d’exister à beaucoup de gens. Chateaubriand revient régulièrement sur ce bénéfice de la religion, le réconfort des misérables, et critique en cela l’athéisme qui entend arracher aux pauvres la seule consolation qu’ils tiennent du ciel.
« L’athéisme n’est bon à personne, ni à l’infortuné auquel il ravit l’espérance, ni à l’heureux dont il dessèche le bonheur, ni au soldat qu’il rend timide, ni à la femme dont il flétrit la beauté et la tendresse, ni à la mère qui peut perdre son fils, ni aux chefs des hommes qui n’ont pas de plus sûr garant de la fidélité des peuples que la religion ? [35] »
« Que la philosophie, qui ne peut, après tout, pénétrer chez le pauvre, se contente d’habiter les salons du riche, et qu’elle laisse au moins les chaumières à la religion ; ou plutôt que, mieux dirigée et plus digne de son nom, elle fasse tomber elle-même les barrières qu’elle avait voulu élever entre l’homme et son créateur. (…) Par les principes, la philosophie ne peut faire aucun bien que la religion ne le fasse encore mieux ; et la religion en fait beaucoup que la philosophie ne saurait faire [36] ».
Très souvent, les athées soulignent la nature toute verbale des religions, supposant par là qu’aucune preuve ne sera jamais donnée des réalités qu’elle nomme. Nous avons déjà dit que la religion n’était pas une science positive et qu’il serait vain d’en chercher des « preuves » ; on peut en revanche trouver des signes. L’invisible se montre au visible par des manifestations qui tiennent, par leur beauté ou leur impossibilité, du génie ou du miracle. Deux points vont retenir notre attention ici, deux histoires en fait : celle de l’Art, et celle de l’Eglise. Commençons par l’Art.
On connait le nombre incalculables de chefs-d’œuvre que l’Occident chrétien a produit en un millénaire. Ce sont autant de merveilles qui témoignent du génie de la religion dont elles procèdent. Et n’y voyons pas là le produit d’un simple « sentiment religieux » : l’inspiration seule a pu favoriser un tel génie. De fait, aucun athée n’a jamais su produire un chef-d’œuvre digne des peintres catholiques renaissants ou des compositeurs protestants allemands.
« L’incrédulité est la principale cause de la décadence du goût et du génie. Quand on ne crut plus rien à Athènes et à Rome, les talents disparurent avec les dieux ; et les Muses livrèrent à la barbarie ceux qui n’avaient plus de foi en elles. (…) Un auteur écrivain qui refuse de croire en un Dieu auteur de l’univers, et juge des hommes dont il a fait l’âme immortelle, bannit d’abord l’infini de ses ouvrages. Il renferme sa pensée dans un cercle de boue, dont il ne peut plus sortir. Il ne voit rien de noble dans la nature : tout s’y opère par d’impurs moyens de corruption et de régénération. L’abîme n’est qu’un peu d’eau bitumineuse ; les montagnes sont des protubérances de pierres calcaires ou vitrescibles ; et le ciel, où le jour prépare une immense solitude, comme pour servir de camp à l’armée des astres que la nuit y amène en silence ; le ciel, disons-nous, n’est plus qu’une étroite voûte momentanément suspendue par la main capricieuse du Hasard. (…) Contemplez, au fond de ce tombeau, ce cadavre enseveli, cette statue du néant, voilée d’un linceul : c’est l’homme de l’athée ! (…) Si notre siècle littéraire est inférieur à celui de Louis XIV, n’en cherchons d’autre cause que notre irréligion. (…) Il y a eu dans notre âge, à quelques exceptions près, une sorte d’avortement général des talents. In dirait même que l’impiété, qui rend tout stérile, se manifeste aussi par l’appauvrissement de la nature physique [37]. »
Qu’on se le dise : le nihilisme pousse le plus souvent les athées à la laideur artistique. De nombreuses biographies donnent à voir la bonification progressive des artistes à mesure qu’ils croient : plus ils ressentent le besoin du divin, plus ils entrevoient dans leur marasme la lumière du Ciel, plus leurs aspirations s’élèvent et plus leurs œuvres s’embellissent. De ce fait, l’athéisme milite à la fois contre le beau et contre le génie : son développement est le corollaire du dépérissement des talents et de l’avènement d’une médiocrité universelle.
« C’est parce qu’ils ont cru que les Codrus, les Pylade, les Régulus, les Arie, ont fait des prodiges. Et voilà pourquoi ces cœurs qui ne croient rien, qui traitent d’illusions les attachements de l’âme, et de folie les belles actions, qui regardent en pitié l’imagination et la tendresse du génie ; voilà pourquoi ces cœurs n’achèveront jamais rien de grand, de généreux : ils n’ont de foi que dans la matière et dans la mort, et ils sont déjà insensibles comme l’une, et glacés comme l’autre [38]. »
En effet, beaucoup d’« œuvres » de la Foi restent encore inexpliquées : les historiens seront toujours démunis devant ces élans incroyables de la Foi qui permirent à des désœuvrés d’ériger dans toute l’Europe des cathédrales dont on peine encore à expliquer la facture et la beauté, et qui poussèrent des milliers de fidèles à partir spontanément en pèlerinage vers une Terre sainte dont ils savaient être leur futur tombeau. Il est difficile de penser qu’un simple « sentiment religieux » ait pu provoquer de tels prodiges, s’il n’était véritablement de Dieu.
Poncif tenace, beaucoup d’athées continuent de dire que la religion fut l’origine d’un abominable obscurantisme qui maintint les peuples d’Europe dans l’enfance. Commençons déjà par préciser qu’en matière de science et de philosophie, nous devons tout aux Grecs, peuple dont on ne pourra pas reprocher le manque de piété. Platon, le plus grand des philosophes, est peut-être l’exemple le plus probant : il n’est pas un Dialogue qui n’invoque les dieux et ne se place sous leur protection. En outre, les hommes n’ont pas attendu la modernité pour étudier les « arts » et les « sciences » dans les universités. Les historiens comme les philosophes contemporains ont tous d’un commun accord mit un terme à la propagande républicaine qui voulait que le Moyen Âge fût un âge obscur : en réalité, ce fut une période brillante qui prépara la Renaissance.
« Les exemples viennent à l’appui des principes ; et une religion qui réclame Bacon, Newton, Bayle, Clarke, Leibniz, Grotius, Pascal, Arnauld, Nicole, Malebranche, La Bruyère (sans parler des Pères de l’Eglise, ni de Bossuet, ni de Fénelon, ni de Massillon, ni de Bourdaloue, que nous voulons bien compte ici que comme orateurs), une telle religion peut se vanter d’être favorable à la philosophie [39]. »
La liste pourrait être aujourd’hui complétée : R. Descartes, Lavoisier, Mendel ou P. Duhem, étaient tous des catholiques convaincus, et moine pour l’un. Etienne Gilson, dans un passage de son Introduction à la philosophie chrétienne, ouvrage admirable, explique pourquoi une philosophie a besoin de partager les attributs du religieux pour recouvrir l’autorité qu’elle a perdu en renonçant à Dieu.
« Le plus remarquable en ceci est qu’on veuille séparer révélation et raison pour satisfaire aux exigences d’une notion de la philosophie qui n’a jamais existé. Nul philosophe n’a jamais philosophé sur la forme vide d’une raison sans contenu. Ne penser à rien et ne pas penser, c’est tout un. Que l’on ôte par la pensée tout ce qu’il y a de proprement religieux dans les grandes philosophies grecques de Platon à Plotin, puis ce qu’il y a de proprement chrétien dans la spéculation philosophique de Descartes, de Malebranche, de Leibniz, même de Kant et de certains de ses successeurs, l’existence de ces doctrines devient incompréhensible. Il faut une religion même pour la faire tenir « dans les limites de la raison ». L’importance de Comte à cet égard est, ayant décrété que la théologie était morte et son Dieu transcendant tombé en désuétude, d’avoir compris que, pour constituer une philosophie dont les dogmes seraient tirés de la science, il lui fallait en chercher les principes hors de la science. C’est pour les trouver qu’il créa une nouvelle religion en substituant au Dieu du christianisme un Grand Fétiche, assorti de son église, de son clergé et de son pape. Les « positivistes » de la première heure s’en indignèrent comme d’une déviation de la doctrine, mais Comte savait mieux qu’eux ce qu’est le positivisme. Ils n’y entendaient rien, comme on le voit bien à la misérable histoire de leur « positivisme absolu », refuit aujourd’hui à une dialectique verbale dont la science est l’objet, mais pour qui la science même devient incompréhensible. Car toutes les sagesses vivent de la plus haute d’entre elles, et si l’on élimine la religion, la métaphysique périt avec elle, et avec la métaphysique, la philosophie périt à son tour [40] »
Tout ce qui lutte contre la religion et, par conséquent, contre la métaphysique est contre-nature. Voilà pourquoi, nos sociétés consuméristes, qui n’offrent pas d’autres horizons à l’homme que les idoles putrescibles du matérialisme, sont des monstruosités. Beaucoup d’ « esprits-libres [41] » ont beau jeu de dénoncer la tyrannie des religions lorsqu’elles ont du pouvoir ; sur certains points, nous ne pouvons que le déplorer avec eux. Mais sur d’autres, et ce sont les plus récurrents, l’accusation vire à la plaisanterie. Ce n’est pas le lieu de faire ici une leçon d’histoire : il faudrait un livre entier pour détruire ces poncifs historiques, et certains l’ont fait [42]. Rappellons seulement que le nombre de mort commis par l’Inquisition catholique n’est pas comparable à celui commis par les régimes communistes, officiellement athées. Dire que la religion n’est qu’obscurité alors qu’en Occident, elle a littéralement donné les conditions de la civilisation et du savoir, ce n’est donc pas seulement une immense erreur que démentent tous les historiens, c’est aussi une ingratitude sans nom. Le catholicisme a fait l’Occident et l’a tenu à bout de bras pendant plus d’un millénaire : les hôpitaux, les charités, les écoles, les maisons-Dieu, les aumôneries, les universités etc. voici l’œuvre immonde de la religion catholique et de son joug aliénant !c’est pourquoi, on ne peut s’empêcher d’écouter Nietzsche lorsqu’il dit :
« La lutte contre l’Église est sans doute, entre autres aspects - car elle signifie beaucoup de choses - la lutte des natures plus vulgaires, plus légères, plus familières, plus superficielles… [43] »
Mais l’art et la science, même s’ils sont des signes, ne suffisent pas à manifester toute la gloire et la vérité d’une religion. Que faire des miracles et prodiges ? Que faire des efforts inhumains de tous les saints et martyrs ? L’humanité aurait-elle été à ce point folle pour avoir tout inventé ? On pourrait encore le soutenir. Mais un miracle cependant ne pourra jamais être réfuté : c’est l’Histoire elle-même. Les athées se plaisent à répéter, non sans moquerie, que la religion est une tromperie grossière et aveugle : et pourtant, cette religion, si stupide soit-elle, a perduré jusqu’à nos jours. Comment l’expliquer ? Répondez, athées. Et n’inculpez pas le manque de science : nos temps connaissent désormais les lumières du progrès moderne. N’accusez pas non plus le manque de liberté ou d’éducation : nos sociétés laïques enseignent dans ses écoles sans jamais faire référence à Dieu. La question reste donc en suspens : comment le catholicisme, comment l’Eglise, cette institution poussiéreuse et vulnérable, a-t-elle pu subsister pendant deux mille ans ? L’Histoire de l’Eglise est un miracle en soi, et le fait que l’Eglise soit encore là, après toutes les tribulations qu’elle a connues, les révolutions, les attaques armées, l’hostilité des intellectuels, les conspirations et les calomnies, les occupations et les persécutions, est un signe véritablement divin. Aucune autre croyance, aucune secte sans révélation, encore moins les philosophies peuvent se prévaloir d’un tel mérite. Certains invoquent alors l’histoire pour dire qu’une croyance aussi vieille ne peut être que périmée ; mais sitôt qu’on leur démontre qu’une « croyance » ne peut perdurer deux mille ans sans être vérité, ils disent alors que l’histoire ne prouve rien. Or c’est une erreur : tout ce qui est faux s’autodétruit en vertu de son mensonge même. A l’inverse, ne dure que ce qui est juste, et c’est pourquoi, l’Histoire est la vérité du sensible. Il ne s’agit pas de dire qu’elle manifeste la résistance du réel aux idéaux abstraits mais que les faits déclarent la volonté de Dieu, car la nature d’un être est d’exister tel que le Créateur a voulu qu’il existe. Et cette volonté est parfaitement déclarée par les faits [44]. L’histoire est Gesta Dei : « rien n’est pas que par Celui qui est » (cf. II). La légitimité est ouvrage du temps : sa discrimination est sans appel, et ne dure que ce qui est juste. La Providence est précisément le nom de ce principe supérieur qui gouverne l’histoire et la soustrait au hasard pour la faire entrer dans l’ordre de la nécessité. Toute institution qui a su imposer son ordre et résister à la labilité des choses humaines est sacrée. C’est toute la leçon du providentialisme maistrien qui reconnait à ce qui dure et qui demeure une incontestable légitimité, fondée sur l’assentiment du Créateur. Saint Thomas résume avec perfection et brio tout ce que nous venons de dire sur ce miracle de l’Historie :
« Devant de telles choses, mue par l’efficace d’une telle preuve, non point par la violence des armes ni par la promesse de plaisirs grossiers, et, ce qui est plus étonnant encore, sous la tyrannie des persécuteurs, une foule innombrable, non seulement de simples mais d’hommes très savants, est venue s’enrôler dans la foi chrétienne, cette foi qui prêche des vérités inaccessibles à l’intelligence humaine, réprime les voluptés de la chair, et enseigne à mépriser tous les biens de ce monde. Que les esprits des mortels donnent leur assentiment à tout cela, et qu’au mépris des réalités visibles seuls soient désirés les biens invisibles, voilà certes le plus grand des miracles et l’œuvre manifeste de l’inspiration de Dieu. Que tout cela ne se soit pas fait d’un seul coup et par hasard, mais suivant une disposition divine, il y a, pour le manifester, le fait que Dieu, longtemps à l’avance, l’a prédit par la bouche des prophètes, dont les livres sont par nous tenus en vénération, parce qu’ils apportent un témoignage à notre foi. Cette si admirable conversion du monde à la foi du Christ est une preuve très certaine en faveur des miracles anciens, telle qu’il n’est pas nécessaire de les voir se renouveler, puisqu’ils transparaissent avec évidence dans leurs effets. [45] »
Ajoutons encore ceci : le fait qu’il y ait encore des catholiques, malgré la haine et les agressions répétées du monde, est encore un miracle supplémentaire que saint Thomas, ignorant tout de la future modernité à venir, ne pouvait pas prévoir. Devant ces signes, il y a comme une évidence, et c’est ce qui a fait dire au pape Grégoire XVI ces paroles sévères – il faut l’excuser, les papes du XIXe siècle ne connaissaient pas la démagogie lénifiante de l’Eglise conciliaire :
« Or qui est privé de cette connaissance de Dieu apparaît bien méprisable : rien ne fait davantage ressortir la sottise d’un homme que cet aveuglement devant des signes si manifestes de Dieu, de même que l’on trouverait stupide celui qui à la vue d’un homme, ne comprendrait pas qu’il a une âme. Aussi le Psalmiste dit-il : « L’insensé a dit dans son cœur : Il n’y a point de Dieu » (Ps. 14). [46] »
[1] Si l’on en croit les différents sondages, l’athéisme est en train de devenir la première « croyance » des Français : http://fr.wikipedia.org/wiki/Religion_en_France. Le pourcentage de non-croyants tourne le plus souvent autour de 30%. C’est évidemment sans compter le nombre immense de chrétiens « non-pratiquants » ou de chrétiens « qui doutent ».
[2] "Athées, oui certes, nous le sommes devant de pareils dieux, mais non pas devant le Dieu de vérité, le père de toute justice, de toute pureté, de toute vertu, l’être de perfection infinie." Saint Justin, Première Apologie des Chrétiens, 1, 6.
[3] Nous avons récemment remarqué qu’il n’existait pas d’article « critique de l’athéisme » sur Wikipédia alors qu’il existe des articles « critiquant » absolument toutes les religions : « critique de la religion », « critique du judaïsme », « critique du christianisme », « critique de l’islam », « critique du mormonisme », « critique des Témoins de Jéhova », "anticléricalisme" etc. J’ai donc pris le parti d’écrire un tel article, en m’appliquant sur la neutralité du ton et l’absence de style. Beaucoup des citations présentes dans cet article du R&N avaient été reproduites, dépouillées évidemment de leurs commentaires cinglants : j’avais pris toutes les précautions nécessaires. Sans surprise, dans les heures qui ont suivi, l’article a été blanchi puis supprimé. Motif : « sources, mais argumentation personnelle » (sic). J’ai immédiatement écrit au modérateur pour dénoncer son abus de pouvoir et son manque d’équité. Je ne faisais en effet que commenter sinon paraphraser des œuvres philosophiques reconnues (Cicéron, Rousseau, Chateaubriand, Gilson etc.). On remarquera au demeurant que l’article « critique du christianisme », terriblement médiocre, n’est pas supprimé malgré son absence cruelle de sources et ses mensonges. Je vous invite à y faire un tour : l’article tout entier ne se réfère qu’à une seule référence, un ouvrage de 2010, contrevenant en cela à la rigueur qu’exige la rédaction d’un article de type encyclopédique. Cet article n’a évidemment jamais été inquiété par les modérateurs du site.
[4] Nous le disons, mais on se demande tout de même s’il faut encore le faire : lors de la dernière réunion interreligieuse d’Assise, en octobre 2011, Benoit XVI a chaleureusement invité une « délégation athée » à s’exprimer publiquement. http://www.zenit.org/article-29328?l=french Enième symptôme de la mort de l’esprit missionnaire dans l’Eglise.
[5] Matthieu 12, 30. « Qui n’est pas avec moi est contre moi, et qui n’amasse pas avec moi divise. »
[6] Jean 3, 18.
[7] I Corinthiens 1, 25. « Car ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes. »
[8] « De quelle manière, nous aussi, nous sommes encore pieux. – (…) Mais cela n’équivaut-il pas à dire : ce n’est que lorsque la conviction cesse d’être une conviction que l’on peut lui concéder l’entrée dans la science ? La discipline de l’esprit scientifique ne commencerait-elle pas alors seulement que l’on ne se permet plus de convictions ? Il en est probablement ainsi. Or, il s’agit encore de savoir si, pour que cette discipline puisse commencer, une conviction n’est pas indispensable, une conviction si impérieuse et si absolue qu’elle force toutes les autres convictions à se sacrifier pour elle. On voit que la science, elle aussi, repose sur une foi, et qu’il ne saurait exister de science « sans présupposition ». Nietzsche, Le Gai savoir, § 344.
[9] Philippiens 3, 19. Leur fin, c’est la perdition, eux qui font leur Dieu de leur ventre, et mettent leur gloire dans ce qui fait leur honte, n’ayant de goût que pour les choses de la terre.
[10] R. de Chateaubriand, Génie du christianisme, Paris, GF-Flammarion, 1966, Première partie, Livre VI, Chap. V, p. 214.
[11] Chateaubriand, Ibid., Première partie, Livre V, Chap. I, p. 151.
[12] Saint Thomas d’Aquin, Somme contre les Gentils I, 5.
[13] Cicéron, De natura deorum, Livre 1, parties XVI- XVII.
[14] J. de Maistre, Œuvres, éd. de P. Glaudes, Paris, Robert Laffont, 2007, p. 1123.
[15] J. de Maistre, op. cité, p. 1124.
[16] Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia pars, Q.2, art.1. « Or, dès qu’on a compris ce que signifie ce mot : Dieu, aussitôt on sait que Dieu existe. En effet, ce mot signifie un être tel qu’on ne peut en concevoir de plus grand ; or, ce qui existe à la fois dans la réalité et dans l’esprit est plus grand que ce qui existe uniquement dans l’esprit. Donc, puisque, le mot étant compris, Dieu est dans l’esprit, on sait du même coup qu’il est dans la réalité. L’existence de Dieu est donc évidente. »
[17] Physique VIII et Métaphysique II, 2 - XII, 6-8, repris ensuite par Thomas d’Aquin, Somme Théologique I, Q.2, art.3
[18] L’Eglise n’est pas insensible à ce sacrifice : elle y prend part directement. Cf. Gai Savoir, § 351.
[19] Romains 8, 19.
[20] Ne obliviscamini : « Pater mi si non potest hic calix transire nisi bibam illum fiat voluntas tua », Matt. 26, 42.
[21] La métaphysique se moque de la morale. C’est pourquoi, aucune philosophie n’est métaphysique si elle n’a pas d’abord entrepris de détruire ses sentiments personnels : « celui qui moralise ne fait en somme, comme le dit Balzac, que montrer ses plaies sans pudeur… » (Nietzsche, Par-delà bien et mal, § 201…). Pareillement, « dans toute philosophie, il arrive un moment où la « conviction » du philosophe monte sur scène, ou, pour le dire dans la langue d’un ancien mystère : adventavit asinus pulcher et fortissimus. » (§8, Par-delà…)
[22] Job 1, 17-22.
[23] Sénèque, De la Providence, chap.3.
[24] Somme Théologique, I, Q.49, Art. 2 — « Le souverain bien, qui est Dieu, est-il cause du mal ? »
[25] Rappelons en effet que Platon est mort vers 80 ans et Saint Augustin à 76 ans (comme beaucoup de docteurs catholiques), à une époque où l’espérance de vie n’était pas celle du XIXe siècle. Admirons l’ironie du sort.
[26] Je ne pense pas au surhomme mais à l’aphorisme 36 du Crépuscule des idoles, qui est une apologie en règle du suicide : il demande que l’on « meurt dignement lorsqu’il n’est plus possible de vivre avec dignité », et qu’ainsi l’homme diminué, symptôme d’une vie déclinante, se supprime par respect de la vie montante.
[27] Même le monachisme répond plus au modèle nietzschéen qu’il n’y parait ; car en se cloitrant, les moins se libèrent du monde et s’affranchissent radicalement du sensible. Ils deviennent alors libres Cf. Crépuscule des Idoles, § 38, Ma conception de la liberté. « Car qu’est-ce que la liberté ? C’est d’avoir la volonté d’être responsable de soi-même. De maintenir la distance qui nous isole des autres. De devenir plus indifférent aux peines, aux épreuves, aux privations, et même à la vie. D’être prêt à sacrifier des hommes à sa cause, sans s’en excepter soi-même. La liberté signifie que les instincts virils, les instincts belliqueux et victorieux, ont le pas sur les autres instincts, par exemple. Celui du « bonheur ». Cf. aussi § 26, Par-delà bien et mal : « Tout homme supérieur aspire à se retrancher dans une forteresse, dans un refuge où il se sente délivré de la foule, de la masse, de l’écrasante majorité, où il puisse oublier la norme humaine à laquelle il fait exception. » Ajoutons que la spiritualité monastique n’est en rien incompatible avec la puissance militaire, comme le démontre la réussite des ordres religieux-militaires du Moyen Âge, Templiers ou Teutoniques, dans lesquels on trouvait des gens à la fois moines ascétiques et guerriers redoutables.
[28] Chateaubriand, Génie du christianisme, Livre I, Partie III, Chap. 6, « Qu’il n’y a point de morale s’il n’y a pas d’autre vie », p. 203.
[29] L’actualité "politique" nous a fournis il y a quelques mois un exemple absolument hilarant : la création, par une actrice porno, d’un "Mouvement Antithéiste et Libertin" (MAL) : http://www.antitheiste.eu/.
[30] Baudelaire, « Mon cœur mis à nu » in Œuvres Complètes, Paris, Robert Laffont, 1980, p. 410, XIV.
[31] Chateaubriand, op. cité, p. 203.
[32] Sagesse, Chap.1, 1-15, traduction Bible de Jérusalem.
[33] Rousseau, Emile, Tome III, Livre IV.
[34] Chateaubriand, op. cité, Première Partie, Livre VI, Chap. V, p. 209.
[35] Chateaubriand, op. cité, Partie IV, Livre VI, Chap. XII, p. 238.
[36] Chateaubriand, op. cité, Partie IV, Livre VI, Chap. XIII, p. 253-255
[37] Chateaubriand, op. cité, Partie III, Livre IV, Chap. V, p. 24-28.
[38] Chateaubriand, op. cité, Première partie, Livre second, Chap. 2, p. 103.
[39] Chateaubriand, op. cité, Partie III, Livre II, Chap. III, p. 419.
[40] E. Gilson, Introduction à la philosophie chrétienne, Paris, Vrin, 2007 (première édition en 1960).
[41] Vous remarquez avec moi, et c’est là une chose très amusante, que les « libres-penseurs » sont ceux qui multiplient le plus les « maîtres à penser ». Quant à nous, nous n’avons qu’un Maître : le Christ.
[42] Voir R. Pernoud, Pour en finir avec le Moyen Âge, Seuil. J. Heers, Le Moyen Âge, une imposture, Tempus.
[43] Nietzsche, Le Gai savoir, § 350, « A l’honneur des homines religiosi ».
[44] Maistre, Principes de souveraineté politique.
[45] Saint Thomas d’Aquin, Somme contre les Gentils I, chap.6
[46] Grégoire XVI, Mirari Vos,1832.
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