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Hier à 16h, l’Assemblée nationale était réuni en session extraordinaire sur convocation du Premier ministre, pour débattre de la situation en Syrie. Comme on pouvait s’y attendre, le spectacle donné fut celui d’une mascarade déshonorante pour les parlementaires français, véritables fonctionnaires carriéristes de la représentation nationale, qui adoptent des postures, des jeux de rôle ou une discipline de parti plutôt d’aller au fond des sujets.
L’orateur de l’UMP, le président du groupe parlementaire Christian Jacob, n’aligna que des arguments de forme, comparables aux heures les plus minables du parti sur le sujet du mariage gay : en gros, le gouvernement n’écoute pas assez l’opposition, et devrait « créer les conditions d’un consensus. Tout a été fait pour que l’on n’y parvienne pas ». En face, le président du groupe PS Bruno Le Roux, qui s’était distingué lors des débats sur le mariage gay par son sectarisme [1] et ses arguments creux, fut fidèle à lui-même, en pérorant dans le vide. Il cita Edmund Burke : « le mal n’a besoin que de l’inaction des gens de bien », certainement sans savoir qu’il s’agit d’un penseur phare de la droite conservatrice, qui dénonça dès 1791 le totalitarisme de la Révolution française, dans Réflexions sur la Révolution de France. A l’inverse, il y eut des bonnes surprises, avec Jean-Louis Borloo, orateur de l’UDI, qui évoqua (très rapidement) la menace qui pèse sur les chrétiens d’Orient, et Paul Giacobbi, orateur du groupe des radicaux, qui ironisa sur l’alignement de l’Assemblée nationale sur le calendrier du Congrès américain. Mais dans l’ensemble, les débats furent dignes d’une caricature de Daumier, le grand peintre critique du régime de Louis-Philippe 1er.
Le Premier ministre Jean-Marc Ayrault et le ministre de la Défense, ne dissimulant ni leur volonté de voir « Bachar » (notez que l’on en est à appeler l’ennemi par son prénom) quitter le pouvoir, ni leur fierté d’agir avec les Américains, ont donc obtenu que la France soit en première ligne. De son côté, Barack Obama travaille à obtenir le soutien du Congrès en vue de son vote, le 9 septembre.
Sur le site de Causeur, Hadrien Desuin soulève les points communs entre le binôme guerrier français et américain : « Au fond, François Hollande et Barack Obama se ressemblent. Ce sont deux hommes intelligents, deux hommes de synthèse, assez pragmatiques et peu idéologues. (…) Cela n’empêche pas les deux dirigeants de commettre de lourdes erreurs stratégiques. » Et l’ex-conseiller de Reagan et de Bush père, Edward Luttwak, parler de Barack Obama, dans Le Point : « Il s’est fait piéger en nommant autour de lui des gens qui sont des interventionnistes enthousiastes… des droits-de-l’hommiste, des Bernard-Henri Lévy, en somme (…) Aucun d’entre eux ne comprend quelque chose à l’armée, aucun n’a jamais revêtu l’uniforme, mais ils poussent le président à utiliser la force armée à toute occasion ». En effet, il n’y a souvent pas plus belliqueux qu’un civil, surtout quand il est manichéen et idéaliste.
Une intervention militaire occidentale en Syrie en faveur des rebelles, rappelons-le, aurait des conséquences désastreuses et difficilement prévisibles. Le renversement à terme du régime syrien, car c’est bien l’objectif final poursuivi, permettrait aux islamistes d’asseoir leur pouvoir, et de se déchaîner contre les minorités chrétiennes, druzes, alaouites mais aussi kurdes, qui ont fini par se souder derrière Bachar el-Assad à force d’être attaquées par les rebelles.
En voyant le sort des chrétiens de Syrie, leurs coreligionnaires de la région ne comprennent pas l’attitude de l’Occident. Ils ne partageaient déjà pas l’idéal démocratique américain qui a poussé à la guerre d’Irak en 2003. A présent, c’est la France, ancienne protectrice des chrétiens d’Orient, dont une partie du clergé catholique parle encore le français, qui achève de perdre sa crédibilité. Le pire est qu’elle semble le faire de manière consciente, consentie. Peut-être par désintérêt, ou renonciation politique, sûrement par suivisme américain : les États-Unis et leurs laquais occidentaux sont depuis une bonne décennie obsédés par l’Iran, qui soutient le régime syrien, et menace à la fois Israël et les pétromonarchies sunnites du Golfe, et donc l’influence américaine. Affaiblir l’Iran passe par soutenir la rébellion syrienne, et, avec elle, les tyrannies islamistes saoudienne et qatarie. Tant pis pour les victimes collatérales.
De plus, depuis le « Printemps arabe », les Occidentaux sont persuadés qu’ils sont en phase avec les aspirations des peuples arabes, qui veulent des régimes islamistes. Ces derniers seront bien contraints de se moderniser, pour devenir des États « démocrates-musulmans » (comme s’il y avait une équivalence de la démocratie-chrétienne en Islam), comme cela s’est prétendument fait avec la Turquie, pays non-arabe, donc très différent. De nombreux experts autoproclamés partagent cette croyance, qui est une hypothèse, et non une réalité pour l’instant : pour ne prendre que le cas de l’Égypte, les Frères musulmans ont immédiatement tenté d’imposer leur loi religieuse au bout d’un an de pouvoir, avant d’être renversés par l’armée, avec le soutien d’une majorité de la population.
Manifestants égyptiens conspuant l’ambassadrice américaine Anne Petterson, qui avait rencontré le guide suprême des Frères musulmans pour l’assurer du soutien américain peu de temps avant le putsch militaire.
La Syrie est actuellement en pleine décomposition, et le conflit pourrait s’étendre au Liban voisin, divisé entre partisans et opposants du régime de Damas, ainsi qu’en Jordanie, gangrénée par l’islamisme au sein de la population, et en Irak, pays toujours livré au chaos. L’ampleur du carnage (100 000 morts) et la haine accumulée rendent la réconciliation quasi-impossible. Les opposants syriens au régime les plus lucides l’avouent : la Syrie ne sera plus jamais la même, et il s’agit aujourd’hui de conclure une solution négociée entre tous les acteurs, en excluant les rebelles extrémistes, pour préserver l’unité et l’existence de la nation.
L’issue pour cette solution pourrait commencer par la réunion d’une conférence de paix, rassemblant le régime, les rebelles, les Occidentaux et les Russes. Un accord international avait été bien signé à Genève le 30 juin 2012, pour préparer une transition politique en Syrie, et le second volet devait se tenir en juillet dernier… avant que les Américains et les rebelles n’annulent purement et simplement leur participation. Parce qu’ils veulent régler le problème à leur façon ? C’est assez clair, du point de vue du ministre russe des affaires étrangères, Sergueï Lavrov, qui a estimé lundi que des frappes occidentales signifieraient la fin du processus de Genève.
Entre l’inqualifiable solution de la guerre, et la difficile perspective d’une paix négociée, l’Église catholique n’hésite pas longtemps, et fait entendre sa voix dans le concert des nations, avec l’énergie que l’on connaît au Pape François. Ce dernier a annoncer une journée de jeûne et de prière pour la Syrie le 7 septembre, et vient d’adresser une lettre à Vladimir Poutine, qui préside ces jours-ci le G20 de Saint-Pétersbourg : « Il est regrettable que, depuis le début du conflit en Syrie, des intérêts unilatéraux aient prévalu, et aient de ce fait entravé la recherche d’une solution qui aurait permis d’éviter le massacre insensé qui a lieu. Les leaders du G20 ne peuvent rester indifférents à la situation dramatique du bien aimé peuple Syrien (…). Aux leaders présents, à chacun, je lance un appel sincère pour permettre de trouver des moyens de surmonter ces conflits et de mettre de côté la poursuite futile d’une solution militaire. Plutôt, qu’il y ait un engagement renouvelé, à chercher, avec courage et détermination, une solution pacifique au travers du dialogue et de la négociation entre les parties, supportée par unanimement par la communauté internationale ».
De son côté, le supérieur général des jésuites, le Père Adolfo Nicolas, a vivement critiqué dans une interview du 4 septembre les États-Unis, « Il m’est très difficile d’accepter qu’un pays qui se considère chrétien - ou en tout cas qui fait référence à ce nom - ne puisse envisager que l’action militaire lorsqu’il se trouve face à une situation de conflit, au risque de conduire le monde, à nouveau, vers la loi de la jungle », ainsi que la France : « un pays qui a été un véritable guide pour l’esprit et l’intelligence, qui a grandement contribué à la civilisation et la culture, et qui est maintenant tenté de conduire l’humanité à faire marche arrière vers la barbarie , et cela en contradiction ouverte avec tout ce qu’il a représenté durant bien des générations. Que ces deux pays s’unissent aujourd’hui pour une aventure aussi horrible est l’un des éléments de la colère éprouvée en bien des pays du monde. Ce n’est pas le fait d’attaquer que nous craignons ; ce qui nous atterre, c’est la barbarie vers laquelle nous sommes conduits. »
Notons enfin l’appel à la lucidité lancé par Roland Hureaux, aux jeunes engagés dans La Manif Pour Tous, en soulignant la continuité cohérente du combat :
« Le noyau dur de La Manif pour tous se trouve dans la bourgeoisie catholique de l’Ouest parisien, un milieu social où les États-Unis ont longtemps été regardés avec les yeux de Chimène (…). Il s’en faut de beaucoup, encore aujourd’hui, que ces milieux aient pleinement pris conscience de la profonde mutation de la politique américaine sur le plan des droits de l’homme (Guantanamo, Patriot Act, etc.) et de la politique étrangère depuis la fin de la Guerre froide, et surtout de son rôle dans la promotion des idées libertaires.
La guerre en Syrie est particulièrement impopulaire dans les milieux pacifistes d’extrême-gauche « antifa », qui ne portaient pas La Manif pour tous dans leur cœur et sont encore intellectuellement trop débiles pour percevoir l’articulation entre l’impérialisme et la philosophe libertaire. (…) Mais des convergences entre les différentes formes de résistance apparaissent néanmoins dans les milieux catholiques attachés à l’héritage patriotique, pour qui catholique rime avec français, ou dans les milieux gaullistes attachés à la diplomatie à la fois indépendante et éminemment classique du général De Gaulle.
Dans l‘état de décomposition où se trouve la France d’aujourd’hui, il est impératif que ces convergences s’approfondissent. Quelle que soit la motivation des « veilleurs » pour la défense de la famille ou de l’enfant et donc d’une certaine idée de l’homme, la défense de la paix mondiale représente un enjeu encore plus grave. (…)
Les motifs pour lesquels La Manif pour tous devrait s’engager aussi dans la défense non seulement de chrétiens d’Orient promis au massacre mais de la paix du monde, ne manquent pas. Ce mouvement a révélé des forces neuves et saines dans la société française ; il se peut qu’elles aient à se mobiliser aussi pour la paix du monde, menacée par le même dérèglement des esprits ».
Avant nous, le groupe HK & Les Saltimbanks, lié à l’extrême-gauche, chantait « On lâche rien » [2] lors des manifestations de Mélenchon. Pouvons-nous chanter ensemble, face aux va-t-en-guerre en Syrie ? De leur côté, les catholiques ne resteront pas inactifs, et se retrouveront, à l’appel du cardinal Vingt-Trois, à une veillée de prière et de jeûne à la Basilique du Sacré-Cœur de Montmartre le samedi 7 septembre, à partir de 19h.
A nos chapelets !
[1] Bruno Le Roux tenta d’introduire la PMA dans le texte de loi, en forçant les députés PS réticents. On notera par ailleurs ce morceau de mauvaise foi, lors de son discours du 29 janvier 2013 : « alors qu’il y avait tout à l’heure des prières à côté de chez nous sur la place Édouard-Herriot [NDLR : du fait de Civitas, elles étaient autorisées par le régime, au contraire des rassemblements de LMPT, et livrées en pâture au « Petit Journal », pour discréditer le mouvement en l’assimilant aux seuls lefebvristes] la récente rencontre entre le pape Benoît XVI et Rebecca Kadaga, présidente du parlement ougandais et supportrice acharnée d’une loi violemment antigay est du plus mauvais goût ». Sur ce point, il s’agissait d’une rencontre fortuite entre le Saint-Père et Mme Kadaga (de confession anglicane) en visite au Vatican, sans lien avec le projet de loi pénalisant en Ouganda les relations sexuelles entre personnes de même sexe, qui est d’ailleurs condamné par l’Église catholique locale.
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