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Christus surrexit sicut dixit ! Alleluia !
Pâques, jour de joie et d’allégresse ! En ce jour béni, tous les sanctuaires, toutes les églises du monde, aux premiers rayons du soleil levant, retentissent de cris de joie : le Seigneur est ressuscité ! La mort est vaincue, le ciel est ouvert ! Voici le jour que le Seigneur a fait, que nous soyons pleins d’allégresse et de joie (Ps 117, 24) [1]. Pâques est la solennité la plus importante du christianisme : jusqu’au milieu du XXe siècle, Pâques était la fête centrale du calendrier chrétien, loin devant Noël. Encore aujourd’hui, « faire ses Pâques », c’est-à-dire communier en ce jour et se confesser pour être en état de le faire, est la seule obligation qui impose gravement au chrétien chaque année, et cela depuis le IVe Concile de Latran, convoqué par le pape Innocent III, en 1215 [2].
Pâques est le gage de notre résurrection future, mais elle est aussi le signe immédiat de notre régénération. En effet, nous sommes morts au monde avec le Christ durant le Carême, nous avons traversé avec lui le désert, et nous avons déshabité cette terre pour n’être plus qu’à Dieu. À force de pénitence et d’ascèse, nous avons tué le péché et purifier notre âme. Maintenant que tout ce qu’il y a d’impur a été enlevé de notre âme, celle-ci est morte à sa terrestrialité, et nous pouvons ressusciter avec le Christ. Le Rédempteur a tout vaincu : le péché et la mort. Notre exil est donc terminé, et le Christ nous emporte dans sa renaissance. Cette renaissance se manifeste, dans la nuit du matin du dimanche de Pâques, par l’allumage du feu nouveau du cierge pascal et la bénédiction des fonts baptismaux. Les catéchumènes vont recevoir le baptême et être purifiés du péché originel : pour eux, la vie commence. Pour les autres, Pâques est le moment où se renouvelle solennellement l’engagement du baptême. Notre âme qui porte ce renouveau éternel, glorifiée par sa victoire : nous sommes purifiés du vieux levain du péché et régénéré à une vie nouvelle par la grâce du Fils de Dieu ressuscité. Comme Dante guidé par saint Bernard dans les dernières sphères du Paradis, laissons-nous mener par le grand Docteur vers la béatitude de Pâques et voyons comment, pour notre âme, Pâques est à la fois un passage de la mort à la vie (transitus), une victoire sur le monde (triumphus), et un retour à Dieu (reditus).
Le Carême était l’occasion d’une conversion intérieure et d’une mort au monde : Pâques est donc le moment où l’âme passe de la mort à la vie, des ténèbres à la lumière. Pâques est un passage :
En effet, qui dit résurrection dit passage (transitus) et transmigration (transmigratio). En effet, mes frères, le Christ ne s’est pas reposé aujourd’hui, il est allé d’un pays à l’autre, non pas revenu à son point de départ. Enfin la pâque même que nous célébrons ne signifie point retour mais passage. […] Si, après la consommation de la croix, le Christ n’était revenu à la vie que pour recommencer notre existence pleine de misères, je ne vous dirais point, mes frères qu’il a passé mais qu’il est revenu, ni qu’il s’est élevé à un état plus sublime, mais qu’il est rentré dans celui où il était auparavant. Mais comme il est entré dans une vie toute nouvelle, il nous invite, par son exemple, à faire aussi notre pâque et à le suivre dans la Galilée [3], d’autant plus, qu’en montrant par le péché, il n’est mort qu’une fois, et que, maintenant qu’il vit, il vit non pour la chair, mais pour Dieu [4].
Cette idée de « passage » d’un état à un autre fut glosée par beaucoup de théologiens. La traduction du terme transitus, participe du verbe transeo, n’est pas commode : il désigne l’action de passer, d’aller au-delà, de franchir. Le pape Innocent III (1198-1215), très inspiré par la pensée bernardienne, distingua, lors d’un sermon en cette solennité, trois Pâques :
« Il y a une triple Pâque, ou « passage », que je désire célébrer avec vous, physiquement, spirituellement, éternellement : physiquement, afin qu’il y ait un passage vers un lieu – pour libérer la pauvre Jérusalem ; spirituellement, afin qu’il y ait un passage d’une condition à une autre – pour réformer l’Église universelle ; éternellement, pour qu’il y ait un passage de la vie à une autre – pour l’obtention de la gloire céleste [5]. »
Pour ce pape du début du XIIIe siècle, cette transition d’un état à un autre, cette transformation qui fait passer du charnel au spirituel, du temporel à l’éternel, constitue un ensemble cohérent qui est celui de la libération de la Terre Sainte, la réformation de l’Église et l’obtention de la gloire spirituelle. Dans un autre sermon, Innocent III explique que le mot « Pâques » vient à la fois de l’hébreu (phase, passage) et du grec (paschein, souffrir) et, de fait, c’est à travers la souffrance que nous devons passer (transitus) pour accéder à la gloire [6]. Le pape se fonde sur cette parole du Christ dans l’Évangile de Luc (XXIV, 26) : « Il était nécessaire pour le Christ de souffrir afin qu’il rentre dans sa gloire », pour conclure que, « si nous voulons régner avec le Christ, il est nécessaire que nous souffrons aussi avec lui [7]. »
Ce passage à la vie permet à l’âme de cueillir les fruits spirituels de son ascèse et de sa pénitence durant le Carême. Dès lors, purifiée de de toute mondanité, l’âme, comme le Christ, est victorieuse sur le monde et ses puissances malines. Comme nous nous sommes associés à sa Passion le Vendredi Saint, nous participons de la victoire du Christ lors de sa Résurrection, célébrée le dimanche de Pâques.
« Il est donc bien que ce qui est né de Dieu vainque le monde, en sorte que vaincre la tentation soit la preuve qu’on est né de Dieu, et que si celui qui est né de Dieu, et qui est fils de Dieu par nature, a triomphé du monde et de son Prince, ainsi nous le vainquions nous tous qui sommes les enfants de l’adoption [8]. »
L’iconographie et toutes les toiles de maîtres nous le montrent : le Christ, au moment de sa Résurrection, est rayonnant, fort, victorieux. Il foule au pied son tombeau, symbole de son trépas, et effraie les soldats romains assoupis. Il est le nouveau Sol Invictus, les mensonges et les erreurs sont écrasés par sa gloire : Il est la Vérité éclatante contre qui rien ne peut résister. De l’Agneau pascal, immolé pour nous [9], surgit le Lion de Juda, et saint Bernard l’affirme superbement :
« L’agneau a été immolé, mais le lion a vaincu, et il va rugir : qui est-ce qui pourra l’entendre sans trembler ? Et ce lion, dis-je, le plus fort de tous les animaux, le seul qui ne tremble point à l’approche d’un autre, c’est le Lion de Juda. Que ceux-là qui l’ont renié, et qui ont dit : « Nous n’avons d’autre roi que César (Jn XIX, 15), » tremblent maintenant. Que ceux qui se sont écriés : « Nous ne voulons point qu’il règne sur nous (Luc XIX, 14) », soient saisis de crainte ; car voici qu’il revient après avoir gagné un royaume, et il va perdre les méchants. Voulez-vous être convaincus qu’il ne revient qu’après avoir acquis un royaume, écoutez ce qu’il dit : « Toute puissance m’a été donnée sur la terre et dans les cieux (Matt. XXVIII, 18) [10]. » »
Que les chrétiens se rassurent : ce Lion tout-puissant est féroce, mais il déploie sa force pour les siens et manifeste sa colère contre ses ennemis. Qui n’est pas avec lui est contre lui, et s’il a acquis la gloire, c’est pour protéger ses fidèles et confondre ses adversaires :
« Si le lion est fort, il n’est pas cruel ; néanmoins son courroux est terrible, intolérable est aussi la colère de la colombe (Jérem. XXV, 38). Mais, s’il rugit, c’est pour les lions, non point contre eux ; que ceux qui ne sont pas à lui tremblent donc, mais que la tribu de Juda soit au contraire dans la jubilation. »
Finalité de la fête de Pâques, et étape ultime de notre ascension [11] : le retour à Dieu. Parce qu’elle est le triomphe sur le monde et le passage vers la vie glorieuse du Ciel, Pâques est aussi l’accomplissement de toute la vie du chrétien : le retour au Principe, d’où vient l’âme et vers quoi elle retourne. Des platoniciens à saint Thomas d’Aquin, il est apparu que c’était là le mouvement naturel de l’âme que d’émaner de Dieu et de vouloir, par toutes les façons, y retourner. Dieu a imprimé aux créatures l’amour de leur origine, et c’est pourquoi ils sont portés naturellement à imiter leur Créateur et a trouvé en Lui seul leur fin dernière et leur ultime béatitude. Tout être créé agit pour une fin, et elle concorde avec le désir du bien, de sa propre perfection et donc de la ressemblance avec Dieu. Pour chaque chose, son opération est ce par quoi elle cherche son bien propre, de sorte qu’en agissant, toute chose cherche sa perfection, qui est une manière d’imiter la bonté de Dieu. L’homme, en tant qu’être raisonnable, participe de manière privilégié à cet ordonnancement et cette participation à la bonté divine. Sommet de la création, seule la nature intellectuelle parvient à la plus étroite communion avec le Principe [12]. Cette dynamique métaphysique de la « sortie » (exitus) et du « retour » (reditus) parcourt toute la pensée théologique médiévale, et c’est aussi ce qui a présidé à l’organisation des deux Sommes du Docteur angélique.
Mais cette réalité mystique trouve aussi des analogies dans les Saintes Écritures. La Pâque originelle juive (Pessa’h) commémorait la sortie d’Égypte et la liberté retrouvée des enfants d’Israël. Les Hébreux, réduits en esclavage depuis des siècles en Égypte, parviennent à s’émanciper et quittent l’Égypte, sous la conduite de Moïse et Aaron, vers le pays de Canaan. C’est alors qu’ils retrouvent la Terre d’Israël, qui leur avait été promise par Dieu. La Pâques chrétienne, en célébrant la Résurrection du Christ, célèbre aussi la libération de l’âme des forces malines comme les Hébreux de leurs oppresseurs [13]. Les exégètes ont rapidement dressé cette analogie spirituelle : les Hébreux ont quitté l’Égypte vers Israël, comme l’âme quitte le monde vers Dieu. Pâques est une libération mystique, elle est le retour à Dieu, après des siècles d’esclavage spirituel [14]. Le Lundi de Pâques, on chante à l’Introït ce passage de l’Exode (XIII, 5) et des Psaumes (CIV, 1) : Le Seigneur vous a introduits dans une terre où coulent le lait et le miel, alléluja ; afin que la loi du Seigneur soit toujours dans votre bouche, alléluja, alléluja [15] . Laissons saint Bernard conclure sur la nécessité de libérer l’âme de ce qui l’entrave dans son retour vers Dieu :
« Ne savez-vous pas que tant que vous demeurez dans ce corps, vous êtes exilée de la lumière ? Comment, n’étant pas encore toute belle, croyez-vous être capable de regarder la source de toute beauté ? Comment enfin demandez-vous de me voir dans ma clarté, vous qui ne vous connaissez pas encore vous-même ? Car ce corps de corruption ne peut lever les yeux, ni les fixer sur cette lumière éclatante, que les anges désirent sans cesse contempler [16]. »
[1] Chanté au Graduel : Haec dies, quam fecit Dominus : exsultemus, et laetemur in ea. (Ps 117, 24)
[2] Comme pour les autres solennités principales, la Vigile pascale doit être normalement jeûnée : « Il faut surtout, dans la fête de Pâques, que l’esprit de l’homme soit élevé par la dévotion vers la gloire de l’éternité, que le Christ a inaugurée à sa résurrection. C’est pourquoi l’Église a décidé qu’il fallait jeûner immédiatement avant la solennité pascale, et pour la même raison à la vigile des fêtes principales, afin de nous préparer à les célébrer dévotement. » Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia-IIae, Q. 147, Le jeûne, Art. 5, Le temps du jeûne.
[3] Après l’octave de Pâques, les disciples s’en retournèrent en Galilée. Un jour que sept d’entre eux pêchaient sur le lac de Génésareth, Jésus se manifesta encore à eux (mercredi de Pâques).
[4] Sermon pour Pâques (in die sancto Pashae), 14, PL 183, Col. 281B-D.
[5] Sermon VI de diversis, PL 215 Col.675D. Triplex autem Pascha sive Phase desidero vobiscum celebrare, corporale, spirituale, aeternale : corporale, ut fiat transitus ad locum, pro miserabili Jerusalem liberanda ; spirituale, ut fiat transitus de statu ad statum, pro universali Ecclesia reformanda ; aeternale, ut fiat transitus de vita in vitam, pro coelesti gloria obtinenda.
[6] Sermon VI de diversis, Col.675A. Pascha nostrum immolatus est Christus (I Cor. V). » Sane pascha Hebraice dicitur phase, quod est transitus, (Exod. XII), Graece vero πάσχειν, quod est pati : quia per passiones debemus transire ad gloriam.
[7] Ibid. Veritas ipsa dicebat : « Oportebat pati Christum, et sic intrare in gloriam suam (Luc. XXIV). » Quia si volumus conregnare, oportet et compati : licet « non sint condignae passiones hujus temporis ad futuram gloriam quae revelabitur in nobis (Rom. VIII). » Hoc pascha, quod est phase, id est transitus, desiderio desideravi manducare vobiscum.
[8] Saint Bernard, 1er sermon pour le dimanche de l’Octave de Pâques, De la foi victorieuse et des trois témoignages dans le ciel et sur la terre, 2.
[9] Saint Paul aux Corinthiens (I, 5, 7) : « Purifiez-vous du vieux levain, afin que vous soyez une pâte nouvelle, comme aussi vous êtes des azymes ; car notre Pâque, le Christ, a été immolé. Célébrons donc la fête, non avec du vieux levain ni avec un levain de malice et de perversité, mais avec les azymes de la pureté et de la vérité. » « La raison figurative de la Pâque se découvre aisément : l’immolation de l’agneau représentait l’immolation du Christ, selon la formule de S. Paul : “ Le Christ notre Pâque a été immolé ” (1 Co 5, 7). Le sang de l’agneau, qui préservait de l’extermination ceux qui en avaient marqué le linteau de leur porte, signifie la foi en la passion du Christ dans le cœur et la bouche des croyants, foi qui nous délivre du péché et de la mort, comme le dit S. Pierre dans sa première lettre (1, 18) : “ Vous avez été rachetés par le sang précieux de l’Agneau sans tache. ” » Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia-IIae, Q. 101, La nature des sacrements, Art. 5, « Quelle est la raison d’être des sacrements de la loi ancienne ? »
[10] Saint Bernard, Sermon pour Pâques, 9.
[11] Le temps pascal qui commence le samedi saint et se termine le samedi après la Pentecôte forme comme un seul jour de fête, où se célèbrent les mystères de la résurrection, de l’ascension du Sauveur et de la descente du Saint-Esprit sur l’Église.
[12] Saint Thomas d’Aquin, Somme contre les Gentils, III : Dieu comme fin ultime du monde (chap. 17-63), Dieu est fin de toute chose (chap. 17-18), La ressemblance avec Dieu comme fin de toute chose (chap. 19-24), La connaissance de Dieu comme fin ultime de l’homme (chap. 25-63).
[13] Catena aurea, Matthieu XXV, Saint Jérôme : « Suivant la tradition des Juifs, le Christ doit venir au milieu de la nuit comme au temps de la délivrance de la servitude d’Égypte, alors que la Pâque fut célébrée, que l’ange exterminateur fut envoyé, que le Seigneur passa au-dessus des tentes, et que le seuil de nos portes fut consacré par le sang de l’agneau. »
[14] L’Eucharistie, à nouveau célébrée depuis le Vendredi Saint, où la consécration n’a pas lieu, participe, en nous divinisant, de ce retour à Dieu. Saint Jérôme, commentant le chapitre XXVI de l’Évangile de Matthieu, nous dit ceci : « Après qu’il eut célébré la Pâque figurative et mangé la chair de l’agneau avec ses disciples, le Seigneur en vient au véritable mystère de la Pâque, et de même que Melchisédech, prêtre du Dieu tout-puissant, avait offert du pain et du vin, il nous donna, sous les mêmes apparences, la réalité de son corps et de son sang. »
[15] Introduxit vos Dominus in terram fluentem lac et mel, alleluja : et ut lex Domini semper sit in ore vestro, alleuja, alleuja.
[16] Saint Bernard, Sermon XXXVIII, « En quel sens l’Épouse est appelée la plus belle des femmes », 5.
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