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La presse française s’est réveillée tardivement. Il lui a fallu plusieurs mois avant de se rendre compte que l’écart populaire entre le président américain sortant Barack Obama et son challenger Mitt Romney n’était pas aussi large qu’elle l’estimait. Il était difficile, pour les journalistes français d’admettre que l’élection n’était pas gagnée d’avance pour l’actuel locataire de la Maison-Blanche, sur qui ils n’ont cessé de projeter ce qui leur semblait commun avec la gauche bobo européenne : la promotion de l’idéologie LGBT et du gender, le multiculturalisme, le "changement" béat, une vague volonté de défendre l’écologie et la distribution des richesses.
Deux aspects de la réalité leur a échappé. Tout d’abord, Barack Obama, quatre ans après, est loin d’avoir répondu aux immenses attentes de son élection. Pire, il a même fait le contraire, en renonçant d’assainir Wall Street et le capitalisme financier dérégulé, et en poursuivant une politique étrangère comparable à celle de son prédécesseur George W. Bush. Sur ce point, il eut certes une différence de forme, et ce fut suffisant pour tromper les bobos européens et le jury du Prix Nobel de la Paix d’Oslo.
En outre, Barack Obama est devenu impopulaire dans de nombreux secteurs de la population. Bien entendu, les républicains (au terme de quatre années de dénigrements, parfois grossiers et infâmes, il faut le reconnaître) sont mobilisés contre lui, mais une part croissante d’électeurs indépendants ont été échaudés par le bilan économique du président. Idem pour les Noirs et les jeunes, qui avaient massivement voté pour lui en 2008. Quant aux Latinos, ils n’oublient pas que Barack Obama a expulsé 1 million d’immigrés hispaniques en quatre ans (contre 1,5 million pendant les huit années de Bush), et qu’il a piloté la désastreuse opération Fast and Furious [1].
Des pans entiers de l’électorat démocrate d’hier sont donc tentés par l’abstention, voire par le vote républicain, notamment pour les indépendants. La presse américaine a pointé le danger depuis plusieurs semaines, et même le "amen corner" [2] du président a dû revoir ses espérances à la baisse. Conscient du danger, l’équipe de Barack Obama a mis le paquet pour sensibiliser ces anciens électeurs, en mobilisant la star du rap Samuel L. Jackson dans un clip efficace, ou en invoquant le souvenir de la brillante campagne de 2008 avec l’anecdote d’un "ready to go", lancé par une militante anonyme, et qui s’est transmis au pays entier. Enfin, les démocrates encouragent le vote anticipé, et Barack Obama donne l’exemple, en allant voter dès demain !
Face à la nervosité des démocrates, le candidat républicain, jusqu’ici brocardé par les grands médias, surtout français, a engrangé de bons points depuis le premier débat télévisé entre les challengers, qu’il a remporté haut à la main. Le milliardaire Mitt Romney n’est jamais autant à l’aise quand il s’agit de parler d’économie, tel un entrepreneur en son conseil d’administration. C’est d’ailleurs sur cet acquis qu’il a su bâtir son discours électoral.
Le troisième débat contre Barack Obama, consacré à la politique étrangère, était le dernier test final pour les deux adversaires. Le président sortant, agressif et irrité, fort de son expérience à la tête de l’Etat, cherchait à placer Mitt Romney sur la défensive, voire à le faire passer pour un imbécile dans cette déjà fameuse réplique :
« Vous avez évoqué par exemple évoqué la Navy, et le fait que nous avons moins de navires que nous n’en avions fait en 1916 [285 au lieu de 313]. Eh bien, gouverneur, nous avons également moins de chevaux et de baïonnettes, parce que la nature de notre armée a changé. Nous avons ces choses qui s’appellent des porte-avions, qui permettent aux avions de se poser. Nous avons ces navires qui vont sous l’eau, les sous-marins nucléaires. »
Pourtant, le public semble avoir bien perçu la prestation de Mitt Romney, qui est apparu serein et capable de tenir le rôle de Commander in Chief pour 60 % des électeurs, contre 66 % pour Obama.
A quoi ressemblerait la politique étrangère américaine si Mitt Romney était élu ? Le candidat républicain doit composer au sein de son parti entre un fort courant fondamentaliste chrétien, pour qui la défense d’Israël, même au prix d’une guerre contre l’Iran, est une obsession, et les réseaux néoconservateurs. Parmi eux, Bill Kristol, rédacteur en chef du Weekly Standard, qui prédit que Romney sera "probablement" le nouveau président, affiche dans son bureau un article français datant de la guerre d’Irak de 2003, intitulé : "Après l’Irak, le monde ?"
Mitt Romney a laissé filtrer lors du dernier débat quelques slogans pour rassasier son électorat : "la Russie est notre ennemi, elle nous met des bâtons dans les roues alors que l’Amérique doit diriger le monde. L’Iran est la première menace sur notre sécurité...". Il a également été prolixe sur le dossier syrien, dont il a une autre vision que le président sortant.
Alors que Barack Obama, suivi par les naïves diplomaties européennes, n’a eu de cesse de croire que les Printemps arabes démocratiques allaient faire fondre en leur sein l’islamisme, et soutient toujours l’opposition islamiste en Syrie, aux côtés des monarchies pétrolières du Golfe alliées de Washington, Mitt Romney a été sensibilisé très tôt à la question par des Libanais de son entourage, anti-islamistes mais surtout anti-Assad. Sa stratégie, a-t-il annoncé, est donc de soutenir la rébellion contre le régime de Damas en faisant le tri entre les "gentils" et les "méchants" combattants... Comme en Libye.
L’objectif est toutefois identique pour les deux rivaux : renverser Assad, pour casser l’alliance qui unit le Hezbollah, Damas et l’Iran, fâcheusement pro-russe et opposée aux Etats-Unis et à Israël.
En réalité, ni Barack Obama ni Mitt Romney n’apportent d’éléments neufs dans la vision du monde par les Etats-Unis. En dehors de l’extrême-gauche et du conservateur Ron Paul, il y a un consensus sur la défense des intérêts américains, qui passe par des interventions tous azimuts dans le monde. Le complexe militaro-industriel et les sociétés de services privées du secteur de la défense se sont davantage enrichis sous Obama que sous Bush. Le président sortant a poursuivi la guerre en Afghanistan, a soutenu la désastreuse intervention occidentale en Libye, et a donné des gages au lobby pro-israélien envers l’Iran. Il a également insidieusement fait progresser le projet hérité de Bush du bouclier antimissiles américain en Europe, destiné à effrayer les Russes et à vassaliser davantage les capitales de l’Union européenne.
Certes, Mitt Romney serait sans doute beaucoup moins mauvais sur le terrain de l’avortement et de la défense du mariage aux Etats-Unis, ce qui a incité le prédicateur évangélique ultraconnu Billy Graham, 93 ans, d’affirmer récemment qu’un chrétien évangélique pouvait voter pour un mormon. Mais cela n’ôte ni sa calamiteuse vision de la justice sociale, ni ses prises de position favorables à la recherche embryonnaire (élément soigneusement gommé par les catholiques républicains fanatiques).
Comme l’écrit le journaliste Patrice de Plunkett sur son blog : "Romney a une avance en fourberie : il est mormon. La multinationale mormone repose sur la fabrication d’Ecritures déclarées plus vraies que les vraies, alors que les gnostiques du IIe siècle eux-mêmes – « la Gnose au nom menteur », disait pourtant saint Irénée – n’avaient « jamais voulu réinventer les Ecritures, même dans leurs écrits apocryphes » ; ils se contentaient de les interpréter de travers."
[1] Le projet Fast and Furious, mené de 2009 à 2011, consistait à fournir aux narcotrafiquants mexicains des armes de guerre américaines, via le Département de la Justice, pour qu’ils s’entre-tuent, et que les armes, identifiées, mènent à leurs chefs. Résultat : les morts parmi les civils ont augmenté, et les narcos s’en sont pris à des douaniers américains.
[2] Expression américaine renvoyant aux assemblées baptistes où un coin de l’église crie « amen » quoi que le pasteur dise. Équivalent de « bénis-oui-oui » en français.
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