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Le moindre mal

15 avril 2013 Bougainville

L’article 1 du projet de loi du mariage nocif pour tous a donc été adopté au Sénat la nuit dernière, par 179 sièges contre 157 [1].
Le régime et ses alliés exultent, et font passer ce vote procédural pour une victoire définitive, dans l’espoir de démoraliser la foule fraîchement rentrée de ses manifestations. Même si cela n’entame évidemment rien à notre détermination, nous sommes en droit de nous interroger. Où sont donc passées les fameuses six voix d’écart qu’on nous promettait ? Où sont ces sénateurs, de droite comme de gauche, qui, par leur hauteur de vue, avaient annoncé ne pas voter pour ce projet de loi ? Nous les avons cherché, et nous avons trouvé des petits soldats dans la majorité de gauche, des abstinents dans les rangs des radicaux, et des traîtres au sein de l’UMP.

En effet, au lieu des six sénateurs de gauche susceptibles de basculer, ainsi que la propagande le promettait, ce furent cinq sénateurs de droite qui votèrent pour. De quoi dissiper quelques doutes, s’ils demeuraient, sur la fiabilité de ce mouvement.

L’UMP est-elle toujours un moindre mal ?

Dans mon entourage immédiat - pour résumer : catholique et provincial - la question du vote, les 18 ans venus, n’était pas très compliquée. On allait voter comme Papa et Maman, pour l’UMP ou pour Villiers. La politique semblait lointaine et un peu sale ; il valait mieux laisser les professionnels s’en occuper. L’élection de Nicolas Sarkozy en 2007 a contribué à conforter cette culture, en la faisant rêver de lendemains qui chantent. Six ans plus tard, cet état d’esprit, Dieu merci, est en train de s’effriter. La France « bien élevée » se rend progressivement compte qu’elle n’est pas représentée par un parti unique de droite usé et timide.

Car l’UMP n’agit dans ce débat qu’à la traîne de la société civile, et de manière opportuniste. Ce n’est pas trahir un secret que de rappeler que Jean-François Copé était jusqu’à une date récente plutôt favorable au mariage gay. Que Laurent Wauquiez se déclarait il n’y a pas si longtemps pour. Que Nadine Morano, venu défiler le 24 mars, était pour la GPA, et déclarait être prête à porter l’enfant de sa fille. Lors des débats à l’Assemblée, de nombreux députés UMP ont été fidèles à la caricature de Daumier des parlementaires puérils et insignifiants. Tandis que les « ténors », les Fillon, les Pécresse, les Baroin, n’ont pas donné de la voix, un Pierre Lellouche, qui promettait à ses électeurs du très chic centre parisien qu’il voterait contre, s’est abstenu lors du vote. Tout comme Bruno Le Maire, le paladin d’une droite « gentille », qui fit au moins preuve de sincérité, en écrivant à l’auteur de ces lignes : « J’ai toujours été pour l’égalité des droits... Je jouerai toujours cartes sur table et dans un mois, un an, ou dans quatre ans, vous verrez que contrairement à d’autres, je n’aurai pas changé d’avis. »

Il est fort probable que, malgré les faits d’armes de figures courageuses - rendons ici hommage à Hervé Mariton et Jean-Frédéric Poisson, pour l’Assemblée nationale, et à Charles Revet, pour le Sénat - l’UMP n’ira pas plus loin dans le combat, et que son engagement à revenir sur ce projet de loi en 2017 est une illusion. Tout comme celui de la droite espagnole d’abroger avortement et mariage gay. Il appartient dès lors à ses électeurs d’en tirer les conclusions qui s’imposent : lors des débats au Sénat, un des traîtres de l’UMP, le sénateur Christian Cointat, défendait sa position : « Je préfère voter le moindre mal, le mariage pour tous, à deux mauvaises solutions : ne rien faire ou le PACS ». Monsieur le sénateur sera donc fort aise de savoir que le choix du moindre mal peut se faire également aux dépens de son parti.

Je suis sévère, me direz-vous. Je suis justement d’autant plus sévère que j’ai une haute idée de la politique, du service que cela signifie, et de la capacité d’hommes et de femmes engagés à agir sur les événements. Mais cela nécessite qu’à l’arrière, ils soient soutenus, poussés, provoqués par un public averti et exigeant.

Le 13 janvier, j’étais sur le Champ de Mars. Volontaire en jaune, je suis allé exfiltrer le député Henri Guaino, qui s’était perdu dans la marée humaine. Tout le monde l’interpellait sans ménagement, lui, la personnalité publique, l’homme connu : « Guaino ! Fais quelque chose ! Bouge-toi ! Fais retirer cette loi ! » Il est ressorti comme prostré, et j’ose croire que ce bain de foule mouvementé fut un catalyseur de sa prise de position décomplexée en faveur du mariage homme-femme. Depuis, notre nouvel André Malraux ne semble plus vouloir quitter les tribunes...

L’union civile : solution, étape ou hypocrisie ?

L’homme politique doit être à la fois ferme dans ses convictions et ouvert au compromis, dans le souci d’atteindre l’intérêt général.

Or, il apparaît que, dans le débat actuel, le camp opposé au mariage gay n’a qu’une maigre chance de marquer des points : celle de proposer l’union civile alternative à ce projet de loi. En effet, le PACS a fait son chemin dans les mœurs et les esprits, désacralisant le mariage. Pourquoi dès lors ne pas « l’améliorer », tout en préservant la spécificité du mariage ?

Hypocrisie sans nom pour les partisans du mariage gay, qui crient aux citoyens de seconde zone, cette solution a pourtant été reprise en cœur par le gros des troupes de la « Manif Pour Tous ». Elle a l’avantage séduisant de satisfaire la revendication de reconnaissance sociale d’un amour homosexuel, et de « sauver » le mariage homme-femme. Cependant, certaines voix discordantes y voient au contraire une simple étape vers le mariage gay, comme le PACS peut l’être pour le projet de loi actuel.

Pour y réfléchir, sortons un peu de nos chères frontières, et voyons d’abord les exemples anglo-saxon et scandinave : les pays nordiques furent les premiers à créer des unions civiles pour les couples de même sexe dans les années 1990. Celles-ci furent remplacées en une décennie par le mariage civil, puis quelques années plus tard, par le mariage religieux, en Suède et au Danemark, où les Eglises luthériennes d’Etat furent sommées de se plier aux décisions parlementaires.
Aux Etats-Unis, des Etats libéraux ouvrirent une brèche au début des années 2000 avec des unions civiles, qui furent vite « améliorées » en mariages. Enfin, le Royaume-Uni créa en 2004 un compromis très British : le Partenariat civil. Ce dernier était un mariage sans le nom, qui offrait toutes les dispositions fiscales réservées à l’union d’un homme et d’une femme, et n’existait que pour les couples gays, à la différence du PACS français. Célébrés en grande pompe, y compris dans certains lieux de culte anglicans désobéissants à la discipline (de plus en plus fragile) de leur Eglise, ces Civil Partnerships semblaient suffire aux mouvements LGBT, alors que l’adoption, et l’accès aux mères porteuses étaient également acquis. C’était sans compter le gouvernement conservateur de David Cameron, qui proposa en 2011 de passer au mariage pur et simple. Ce fut chose faite, en une nuit de débats, le 5 février 2013.

A ce stade, il est difficile de ne pas voir l’union civile comme une étape vers le mariage gay. Toutefois, d’autres exemples plaident pour la vertu « satisfaisante » de l’union civile.

L’Allemagne a ainsi introduit en 2001 le Partenariat enregistré, nom peu poétique, que les Suisses allaient reprendre en 2005, et légaliser par référendum, à 58 % des voix [2]. Les autorités allemandes négocièrent avec l’Eglise catholique et l’Eglise protestante pour ne pas toucher au mot « mariage », et celles-ci s’engagèrent à ne pas résister. Cet accord, révélateur de la mentalité des deux clergés chrétiens allemands, eut au moins le mérite d’enraciner le compromis actuel. Douze ans plus tard, la revendication de mariage gay en Allemagne est politiquement minoritaire.

Autre exemple, celui de l’Australie. Chaque année, une frange du Parti travailliste, actuellement au pouvoir, propose la légalisation du mariage gay, en remplacement de l’union civile existante. Chaque année, le texte est massivement repoussé. Malgré les prouesses de communication des groupes LGBT locaux, auteurs de ce clip destiné à faire pleurer dans les chaumières, les Aussies demeurent pour le moment inflexibles.

Combat politique et combat spirituel

Face à ces problèmes politiques, il faut avoir l’humilité de revenir à la source, à l’enseignement de l’Église, pour nourrir son discernement. Que dit-elle ? Que si le moindre mal est l’essence du combat politique, celui du combat spirituel est d’aller au meilleur.

L’Église n’isole jamais les personnes dans leurs comportements. Elle s’est donc toujours montrée opposées aux unions civiles de type PACS, pour leurs conséquences sur le lien social, mais aussi parce qu’elles créent des sous-catégories d’individus. En ce sens, la critique de l’Église rejoint paradoxalement celle des pro-mariage gay, ces « libre-penseurs qui n’ont pas compris que l’Église est le dernier fort des pensées libres », écrivait Maurras. Dans son combat pour la défense du mariage homme-femme, le chrétien livre donc un double témoignage : lutter pour la famille unie et complémentaire, qui a fait la France, lui a donné cohérence et unité, un ethos, une transmission ; et rejeter la catégorisation des personnes.

Dans ce combat, loin des manœuvres politiciennes, le chrétien dispose d’un bien meilleur allié que Jean-François Copé.


[2Ce qui relativise la revendication pressante de la « Manif Pour Tous » d’un référendum sur la question, même si, compte tenu de la situation politique française actuelle, le résultat serait certainement différent.

15 avril 2013 Bougainville

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