L’infolettre du R&N revient bientôt dans vos électroboîtes.
Dans sa Note doctrinale concernant certaines questions sur l’engagement et le comportement des catholiques dans la vie politique [1], le Cardinal Ratzinger évoque l’action des chrétiens en politique qui constitue à ses yeux une constante de l’histoire :
« En deux mille ans d’histoire, l’engagement des chrétiens dans le monde s’est réalisé sous des formes diverses. L’une d’entre elles a été la participation à l’action politique. »
Dès les premiers siècles, en effet, il est constaté que les chrétiens « participent à la vie publique comme citoyens [2] ». Il évoque ensuite Saint Thomas More, « proclamé Patron des responsables de gouvernement et des hommes politiques [qui] a su témoigner jusqu’à la mort de la dignité inaliénable de la conscience. Bien que soumis à diverses formes de pressions psychologiques, il a refusé tout compromis et, sans renier sa constante fidélité à l’autorité et aux institutions légitimes qui l’avaient distingué, il a affirmé par sa vie et par sa mort que l’on ne peut séparer l’homme de Dieu, ni la politique de la morale. »
Ce constat d’une participation autrefois importante des chrétiens dans l’ordre temporel n’apparaît hélas plus vraiment d’actualité dans notre société moderne. Contrairement à certaines minorités agissantes et peut-être plus bruyantes, les catholiques occidentaux ne sont pas constitués en groupe de pression politique. On pourrait même dire qu’ils ont quasiment abandonné le terrain politique, préférant rester catholiques dans la sphère privée. Nous avons retrouvé pareil constat chez certains auteurs, comme Jean Ousset, qui, en 1959, dans son ouvrage Pour qu’il règne écrit :
« Et ce qu’on a pu appeler, au XIXe siècle, le repli de l’Église dans le sanctuaire n’est en réalité que la désertion de la grande masse des laïcs chrétiens dans le combat pour une cité catholique. »
Les catholiques ont sans doute trop bien intégré le concept de laïcité pour en arriver à fuir le domaine du politique. Par contre, le domaine économique n’a pas provoqué chez eux la même répulsion. Toutefois, il faut noter ici et là quelques exceptions, en témoignent l’émergence récente de La manif pour tous ou des personnes comme Jean-Frédéric Poisson et Karim Ouchikh, hommes politiques se prétendant ouvertement catholiques. Le renouveau chrétien dans les anciens pays soviétiques comme la Pologne, la Hongrie ou la Russie constituent aussi des exemples intéressants d’engagement chrétien dans la cité.
L’engagement renvoie à l’action de mettre en gage, de lier par une convention, un contrat c’est-à-dire l’idée de se lier moralement ou juridiquement à une action déterminée. De son côté, la cité correspond à l’ensemble de citoyens (civitas, en latin). Rappelons, dans une optique thomiste, qu’une éventuelle volonté d’agir au sein de la cité implique au préalable une bonne connaissance de la doctrine catholique car l’action est subordonnée à une bonne connaissance des principes.
Selon la philosophie aristotélicienne, l’homme est un animal social. Il ne vit pas seul, il appartient à une société c’est-à-dire à « un ensemble de personnes liées de façon organique par un principe d’unité qui dépasse chacune d’elle [3] ». Il ne peut s’en désintéresser car la société est pour lui une source d’avantages. C’est pourquoi, l’homme a un devoir d’agir pour son existence et sa prospérité. Dans une optique chrétienne, la nation est un ordre voulu par Dieu ; il existe donc un lien entre être chrétien et être de la cité. St Ambroise précise à ce sujet que « celui-là qui s’exile de sa patrie se sépare du Christ. » Le Christ est le roi des nations. Son règne s’étend aux institutions humaines et à la politique. Sa souveraineté s’exerce sur les individus et sur les Etats. Dans son Encyclique instituant la fête du Christ-Roi, Pie XI énonce que le Christ est la finalité de la cité. Appartenant à cette dernière et au Christ, il est normal que le chrétien ait un devoir d’y agir. « Montrer le bien ne suffit pas ; il faut le réaliser dans la pratique [4] », selon la formule de St Pie X. D’après les termes du Catéchisme de l’Église Catholique, « La vocation de l’humanité est de manifester l’image de dieu et d’être transformée à l’image du Fils unique du Père [5]. »
En vertu de la théorie des deux glaives, l’Église comme le Christ domine le monde. Elle est souveraine sur ce qui concerne directement ou indirectement le salut. Le politique ne touche qu’indirectement le salut des âmes. De ce fait, l’Église respecte l’autonomie de l’État sauf lorsque ce dernier nuit au salut des âmes. En tant que membre de l’Église, le chrétien a donc un devoir d’agir dans la société afin de participer au règne social du Christ en son sein. En tant que membre de la société, le chrétien a un devoir d’y participer en vue de participer à la réalisation du bien commun.
S’il est soumis à l’ordre spirituel, le catholique l’est aussi à l’ordre temporel comme le Christ l’a rappelé dans son célèbre aphorisme : « Il faut rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. » Dans la Somme théologique, St Thomas d’Aquin rappelle que « chacun est tenu de manifester publiquement sa foi, soit pour instruire et encourager les autres fidèles, soit pour repousser les attaques des adversaires. » Depuis longtemps, la doctrine catholique appelle les chrétiens à agir au sein de la société.
Bien que l’Église soit l’autorité suprême en matière de salut des âmes, il ne faut pas pour autant négliger l’importance du politique en cette matière. St Alphonse de Liguori a déclaré en son temps : « Si je parviens à gagner un roi, j’aurai plus fait, pour la cause de Dieu, que si j’avais prêché des centaines et des milliers de missions. Ce qu’un souverain, touché par la grâce de Dieu, peut faire, dans l’intérêt de l’Église et des âmes, mille missions ne le feront jamais. » D’après Pie XII, la forme donnée à la société conditionne le salut des âmes. Il existe donc un devoir pour tout chrétien de coopérer au rétablissement de l’ordre social en vue de créer des conditions sociales capables de rendre à tous possible et aisée une vie digne de l’homme et du chrétien. Cette loi d’universelle charité, venant d’un Dieu qui souhaite nous unir à sa vie divine, commande que nous fassions tout notre possible pour ordonner toute chose en ce sens, d’abord dans notre vie personnelle mais aussi dans le cadre de l’ordre social. C’est ce que Pie XI nomme le devoir de charité politique.
Si l’individu doit s’engager au sein de la cité, il en va de même pour la famille. Dans son Allocution à des pèlerins espagnols de 1958, Pie XII affirme que pour refaire le monde, le premier élément à fortifier est la famille car c’est la cellule fondamentale de la société. Si elle est d’une valeur inférieure à l’Église en ce qu’elle ne peut apporter le salut des âmes à la collectivité et à l’État en ce qu’elle est incapable d’assurer la paix, la sécurité et le développement matériel de la cité, elle n’en demeure pas moins un élément incontournable de la société car elle participe à la formation des individus à leur rôle social et religieux à venir. La famille permet l’apprentissage des vertus sociales (solidarité, désintéressement, gratuité, dialogue, respect, justice, amour), source et moteur de la société [6]. Selon Pie XII, l’État a donc un devoir de soutenir la famille en protégeant le mariage, en favorisant l’habitat, le travail, l’école et la moralité publique. De son côté la famille catholique doit vis-à-vis de l’État participer à la vie électorale afin de permettre l’émergence d’une élite politique catholique et défendre et promouvoir la famille en vue d’assurer la pérennité de cette cellule.
La finalité de l’engagement dans la cité est le bien commun. Mais qu’est-ce que le bien commun ? Se fondant sur Aristote, St Thomas d’Aquin énonce que l’individu fait partie de la cité et que cette dernière est ordonnée au bien commun. Le concile Vatican II apporte une définition plus complète de ce concept :
« L’ensemble des conditions sociales qui permettent tant aux groupes qu’à chacun de leurs membres d’atteindre leur perfection d’une façon plus totale et plus aisée. »
Pour faire simple, le bien commun c’est ce qui bénéficie à la fois au tout (la cité) et à la partie (l’individu, les groupes, les corps intermédiaires). Pour ce faire, il importe que la société ait toujours à cœur l’idéal de justice c’est-à-dire de donner à chacun ce qui lui revient et l’idéal de charité sociale : de ne pas laisser de côté les membres les plus faibles de la société. Le bien commun participe donc à l’épanouissement des personnes et des groupes tant sur le plan matériel, sur le plan moral que sur le plan spirituel.
Pour favoriser cet épanouissement, plusieurs conditions sont nécessaires. La première est l’éducation. L’éducation est primordiale pour favoriser l’épanouissement des enfants. C’est d’abord à la famille que revient cette tâche. La famille a le droit de choisir librement l’école de ses enfants mais elle n’en aura pas toujours les moyens. Elle pourra profiter de la solidarité d’autres familles dans le cadre de tarifs institués en fonction des revenus des parents mais aussi pourquoi pas de bourses prévues par le département, la région ou même l’État. La deuxième condition de cet épanouissement est l’existence d’un revenu décent pour tous. En principe, c’est le salaire qui procure à l’individu un revenu décent. Lorsque cela n’est pas le cas, des institutions supérieures privées comme des associations ou publiques comme l’État (RSA) ou les institutions sociales (sécurité sociale ou assurance chômage) peuvent prendre le relai. La troisième condition de cet épanouissement est la garantie d’assurer la reproduction de l’espèce humaine c’est-à-dire d’assurer un futur viable à nos enfants en préservant notre planète, en évitant de leur laisser une dette publique trop importante et en protégeant la vie dès sa conception.
Il va de soi que la finalité suprême du bien commun est l’élévation spirituelle des individus et des groupes et, le cas échéant, de la société qui les contient. Leur amélioration matérielle et morale n’a pour but que leur amélioration spirituelle. St Pie X résume cela d’un point de vue pratique : l’action catholique a pour but « de combattre par tous les moyens justes et légaux la civilisation antichrétienne ; réparer par tous les moyens les désordres si graves qui en dérivent ; replacer Jésus-Christ dans la famille, dans l’école, dans la société ; rétablir le principe de l’autorité humaine comme représentant celle de Dieu ; prendre souverainement à cœur les intérêts du peuple et particulièrement ceux de la classe ouvrière et agricole, non seulement en inculquant au cœur de tous le principe religieux, seule source vraie de consolation dans les angoisses de la vie, mais en s’efforçant de sécher leurs larmes, d’adoucir leurs peines, d’améliorer leur condition économique par de sages mesures ; s’employer, par conséquent, à rendre les lois publiques conformes à la justice, à corriger ou supprimer celles qui ne le sont pas ; défendre enfin et soutenir avec un esprit vraiment catholique les droits de Dieu en toutes choses et les droits non moins sacrés de l’Église [7] ».
Il ressort donc que tout le monde doit être acteur du bien commun : l’individu, la famille, l’entreprise, les corps intermédiaires, les départements, l’État. Par conséquent, réduire le bien commun au politique est une erreur. Le politique a un rôle primordial à jouer à travers l’action de l’État dans la réalisation du bien commun mais il n’est pas le seul. Le bien commun est une notion qui équilibre les relations entre le tout et ses parties, c’est-à-dire entre l’État et les individus. Elle laisse de la place aux parties (les individus) sans négliger le tout (la cité). Cette notion est donc aux antipodes de la pensée libérale d’essence individualiste et de la pensée communiste d’essence collectiviste.
En parlant d’engagement, la première chose qui vient à l’idée est l’engagement en politique stricto sensu, à savoir un rôle particulier joué dans la sphère publique, un parti politique par exemple au service d’idées précises. Au contraire, l’engagement est une notion plus large qui revêt une double dimension : personnelle et collective, à l’intérieur desquelles il peut prendre des formes diverses.
Dans le cadre de la dimension personnelle de l’engagement, « la participation se réalise d’abord dans la prise en charge des domaines dont on assume la responsabilité personnelle : par le soin apporté à l’éducation de sa famille, par la conscience dans son travail, l’homme participe au bien d’autrui et de la société [8]. »
On pourrait dire de façon plus prosaïque, que charité bien ordonnée commence par soi-même. Ainsi, nous sommes appelés en tant que chrétiens à mener en premier lieu notre propre combat : choisir un état de vie. Que ce soit le mariage, la vie monastique ou le sacerdoce, l’important pour le chrétien est de tenir son rôle et ses obligations tout au long de la vie. Même si cela ne paraît pas extraordinaire comparé à des personnes qui s’investissent jour et nuit pour les autres, l’accomplissement du devoir d’état participe au bien commun. D’ailleurs, à l’heure actuelle à contre-courant de notre société individualiste, se marier, fonder une famille ou consacrer sa vie à Dieu relèvent d’un combat véritablement métapolitique dans une logique gramscienne de combat culturel et des idées. D’un point de vue chrétien, par nos actes du quotidien, nous sommes aussi des témoignages vivants du Christ. Ainsi, si l’engagement est avant tout personnel, il n’est pas individualiste, mais constamment tourné vers une finalité qui nous dépasse. Le Cardinal Ratzinger, dans sa Note doctrinale concernant certaines questions sur l’engagement et le comportement des catholiques [9] dans la vie politique ne dit pas autre chose :
« En accomplissant leurs devoirs civils normaux, guidés par leur conscience chrétienne, selon les valeurs conformes à cette conscience, les fidèles réalisent aussi la tâche qui leur est propre d’animer chrétiennement l’ordre temporel, tout en en respectant la nature et la légitime autonomie, et en coopérant avec les autres citoyens, selon leur compétence spécifique et sous leur propre responsabilité. »
Au sujet de l’engagement collectif, le Catéchisme de l’Église Catholique aborde la participation à la vie sociale comme :
« l’engagement volontaire et généreux de la personne dans les échanges sociaux. Il est nécessaire que tous participent, chacun selon la place qu’il occupe et le rôle qu’il joue, à promouvoir le bien commun. Ce devoir est inhérent à la dignité de la personne humaine [10]. »
L’Église ne donne pas son avis sur les modalités de l’engagement, c’est-à-dire qu’elle n’impose pas au catholique telle ou telle option. Elle ne se prononce pas sur les choix politiques des chrétiens. Ainsi, celui qui deviendra le pape Benoit XVI réaffirme la liberté politique qui permet à tous les chrétiens de choisir librement les opinions politiques compatibles avec leur foi et la loi morale naturelle [11]. L’engagement collectif peut se réaliser de diverses manières : participation à la vie publique, investissement du terrain associatif, combat médiatique pour les idées ou encore implication dans la bataille culturelle.
[1] Cardinal Joseph Ratzinger, Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Note doctrinale concernant certaines questions sur l’engagement et le comportement des catholiques dans la vie politique, 24 novembre 2002.
[2] Lettre à Diognète, 5, 5.
[3] Catéchisme de l’Église Catholique, point 1880 (1992).
[4] St Pie X, Encyclique Il fermo proposito (1905).
[5] Catéchisme de l’Église Catholique, point 1877 (1992).
[6] St Jean-Paul II, Familiaris consortio (1981).
[7] St Pie X, Encyclique Il fermo proposito (1905)
[8] Catéchisme de l’Église Catholique, point 1914 (1992).
[9] Cardinal Joseph Ratzinger, Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Note doctrinale concernant certaines questions sur l’engagement et le comportement des catholiques dans la vie politique, 24 novembre 2002.
[10] Catéchisme de l’Église Catholique, point 1913 (1992).
[11] Cardinal Joseph Ratzinger, Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Note doctrinale concernant certaines questions sur l’engagement et le comportement des catholiques dans la vie politique, 24 novembre 2002.
Le R&N a besoin de vous !
ContribuerFaire un don
Dernières dépêches : [NOUVEAUTÉ] Sortie du jeu de société chrétien « Theopolis » • Retour de la communion sur les lèvres à Paris • Etats et GAFA : l’alliance impie est en marche • [CHRISTIANOPHOBIE] Retour sur le concert raté d’Anna von Hausswolff • [ÉGLISE] Les hussards de la modernité à l’assaut des derniers dogmes de l’Eglise • [IN MEMORIAM] Charles, entre idole des jeunes et divinité laïque • [CHRÉTIENTÉ] L’épée d’Haïfa et la chevalerie rêveuse • Le service public l’a décrété : le wokisme n’existe pas • [IN MEMORIAM] L’Heure des comptes viendra-t-elle bientôt ? • [IN MEMORIAM] 4 novembre 1793 : Louis de Salgues de Lescure
Le Rouge & le Noir est un site internet d’information, de réflexion et d’analyse. Son identité est fondamentalement catholique. Il n’est point la voix officielle de l’Église, ni même un représentant de l’Église ou de son clergé. Les auteurs n’engagent que leur propre conscience. En revanche, cette gazette-en-ligne se veut dans l’Église. Son universalité ne se dément point car elle admet en son sein les diverses « tendances » qui sont en communion avec l’évêque de Rome : depuis les modérés de La Croix jusqu’aux traditionalistes intransigeants.
© 2011-2025 Le Rouge & le Noir v. 3.0,
tous droits réservés.
Plan du site
• Se connecter •
Contact •
RSS 2.0