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Le développement de femmes pasteurs déchire le protestantisme parce qu’il n’est pas une évidence thélogique. Les catholiques doivent le comprendre pour mieux s’approprier la doctrine de l’Eglise en la matière.

Dans la nuit du 21 au 22 mai dernier, les évêques anglicans de l’Eglise d’Angleterre, réunis discrètement à York, ont majoritairement voté en faveur de l’accession des femmes à l’épiscopat. Il s’agit de l’ultime épisode de cette nouvelle série britannique qu’on pourrait intituler « Yes Bishop ! » ou « Mess in the Church  », et dans laquelle les inspecteurs Lewis et Barnaby auraient du mal à s’y retrouver.

A l’origine de ce processus, le début des consultations au sein du Synode général, l’assemblée mi- cléricale mi- laïque de l’Eglise anglicane d’Angleterre, à l’été 2010, qui poussa les délégués à s’aligner sur les provinces les plus progressistes de la Communion anglicane (Etats-Unis, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande), qui ordonnent déjà des femmes évêques.

Sur les 44 diocèses, 42 avaient donné leur accord. L’archevêque de Canterbury, Mgr Rowan Williams, sympathisant du lobby WATCH (Women and the Chruch), soutenait le mouvement, mais, échaudé par l’exode des anglo-catholiques vers l’Eglise catholique romaine, avait tenté de faire admettre un compromis : oui aux femmes évêques, et oui à une « provision pastorale » masculine pour les groupes les refusant, les anglo-catholiques et les anglicans évangéliques. Malgré le brillant discours du primat devant le Synode en février 2012 [1] , cet amendement fut rejeté par la majorité des délégués. Quelques mois plus tard, les prélats entérinent donc l’ordination d’évêchesses à l’horizon 2014. Les prochaines étapes auront lieu en juillet, lors du vote final du Synode général, et en novembre, quand le Parlement britannique se saisira de la question, Eglise d’Etat oblige.

L’épiscopat féminin est la conséquence de l’ordination de femmes pasteurs au sein de l’Eglise d’Angleterre, en 1994, qui avait décidé de se rallier à la pratique des provinces nord-américaines (où les premiers ministres femmes furent ordonnés dans les années 1970). Créature du pouvoir politique, dont il était le bras spirituel, l’anglicanisme était fragile face aux revendications féministes militantes, puis "anti-discriminations" qui émanaient de la société civile. C’est sur la base de ces arguments, idéologiques et non spirituels, qu’apparut le ministère féminin, et qu’il fut imposé à certaines Eglises protestantes.

Le précédent scandinave

Au Danemark, en Suède, en Norvège et en Finlande, les Eglises luthériennes étaient Eglises d’Etat [2] et rassemblaient la quasi-totalité des populations. Soumises au politique, elles accompagnèrent l’évolution de ces sociétés protestantes puritaines vers la confusion postmoderne qui les caractérisent aujourd’hui.

La loi danoise ouvrit en 1947 la voie aux femmes pasteurs malgré l’opposition de 500 membres du clergé. Mais l’essentiel de la bataille se joua en Suède, coeur battant de la Scandinavie, et bastion de la Haute-Eglise luthérienne traditionnelle : à l’origine, l’Eglise de Suède fournit les armes contre elles, en accordant en 1920 la « venia », l’autorisation pour les femmes diplômées de théologie de prêcher dans les églises, délivrée par l’évêque. Cette ambiguïté donna des idées aux politiciens sociaux-démocrates, instigateurs du féminisme radical, qui militèrent dès la fin des années 1940 en faveur des femmes pasteurs.

Malgré de fortes pressions de la part du Parlement, le Synode de l’Eglise de Suède rejeta l’idée en 1957. Il s’agissait bien d’une orientation fomentée par le pouvoir politique, et non par le milieu luthérien : au sein de l’Association des pasteurs du diocèse de Stockholm, sur 148 ministres du culte, 38 étaient pour. Quant aux jeunes filles et femmes étudiant la théologie dans les instituts de l’Eglise de Suède, seules 24 sur 79 souhaitaient devenir pasteurs, et les autres écrivirent une lettre à leurs évêques les suppliant de ne pas leur accorder l’accès au ministère pastoral. Plus surprenant, le quotidien socialiste Aftonposten publia un sondage mené à Stockholm : 77 % des hommes interrogés étaient favorables aux pasteurs féminins, alors que moins de 50 % des femmes partageaient la même opinion !

Les autorités sociales-démocrates finirent cependant par imposer leurs vues. En février 1958, le ministre de l’Eglise Ragnar Edenman présenta au Parlement un projet de loi permettant aux femmes de devenir pasteurs. Il le défendit en ces termes : « Nous avons une Eglise d’Etat. En ce sens, le pastorat est une fonction comme une autre et doit donc se soumettre aux mêmes règles que les autres fonctionnaires de l’Etat ».
La gauche dominant la scène politique suédoise, la loi fut votée et imposée à l’Eglise de Suède. Sa frange traditionnelle renonça à faire sécession, pensant pouvoir empêcher le processus au sein des paroisses. Cinquante ans plus tard, la Haute-Eglise suédoise a été balayée. En 2009, Eva Brunne, adhérente de longue date au Parti social-démocrate et lesbienne militante, fut ordonnée évêque de Stockholm.

Les autres pays scandinaves avaient progressivement emboîté le pas à l’Eglise de Suède, non sans résistances en Norvège [3]. Même la Finlande très conservatrice a nommé sa première évêchesse d’Helsinki, Irja Askola, en 2010. Aujourd’hui, les futurs pasteurs scandinaves sont obligés dans leurs séminaires de s’engager à travailler avec leurs confrères femmes.

Qu’est-ce qu’un ministre ?

L’Eglise catholique romaine, de son côté, n’a jamais imaginé de réformer le sacerdoce. Interrogé en octobre 2009 par Famille chrétienne, Mgr Castet, évêque de Luçon, affirmait que cette logique était intrinsèque au protestantisme, où "seul le sacrement du baptême existe, et où le sacerdoce ministériel n’existe pas. C’est une vision organisationnelle du pouvoir et des compétences. Les anglicans ont raison d’ordonner les femmes parce qu’ils comprennent le sacerdoce au sens de la Réforme !"

La doctrine du ministère chez les protestants n’est cependant pas aussi simple. Moine et prêtre, Martin Luther créa certes la notion de "sacerdoce universel" pour tous les baptisés, mais il souhaita conserver le sacerdoce particulier du prêtre, qu’il nomme Ministère des clefs [4]. Il désignait par là le pouvoir donné par le Christ à ses Apôtres d’enseigner, de célébrer l’Eucharistie et de confesser les péchés. De son côté, Jean Calvin tenait à l’autorité de l’interprétation de la Bible, conférée à l’Eglise et à ses ministres. Pour lui, ces derniers agissaient In persona Christi, comme chez les catholiques.

Pendant le Siècle des Lumières, le ministère pastoral perdit son essence : désormais, le pasteur est un enseignant, et l’ordination lui confère une fonction, non un statut ontologique. Or, si le ministère est simplement fonctionnel, pourquoi ne pas ordonner des femmes pasteurs ?

Les Eglises protestantes historiques ont donc pour la plupart tranché la question. Parmi elles, l’Eglise chrétienne des Disciples du Christ, une communauté réformée américaine, a élu une femme, Sharon Watkins, pour pasteur-président.

Pour les anglicans et les luthériens, l’ordination reste pourtant l’institution du pouvoir de célébrer l’Eucharistie : voilà pourquoi Rome y voit un recul pour l’oecuménisme. Mais tandis que les anglicans n’ont pas une doctrine claire de l’Eucharistie (qui va du mémorial symbolique à la Présence réelle), les luthériens sont victimes de l’erreur de Luther des "deux tables" : la table de la Parole, et celle de l’Eucharistie. Suivant cette doctrine, si je prêche, je peux logiquement célébrer la Sainte Cène. Voilà pourquoi les prédicatrices ont obtenu de pouvoir devenir pasteurs, et les laïcs de pouvoir célébrer l’Eucharistie, comme certains catholiques modernistes le souhaitent.

Du côté des Eglises évangéliques, en revanche, le ministère féminin reçoit un accueil très contrasté. Si certaines communautés l’acceptent, la grande majorité le refuse énergiquement, Bible à l’appui : pour elles, il est clair que le Christ n’a jamais établi de femmes apôtres. Les femmes dans l’Eglise ne sont pas interdites de prier en public ou de prophétiser (1 Corinthiens 11:5), de recevoir l’Esprit-Saint (1 Corinthiens, 12) ou de s’engager dans l’évangélisation (1 Pierre 3:15 : « soyez toujours prêts à rendre compte de l’espérance qui est en vous  »), mais d’avoir l’autorité spirituelle d’enseigner aux hommes.

Pour les chrétiens évangéliques, le modèle est celui de l’Eglise primitive, avec qui ils établissent un peu rapidement un lien de filiation direct, en oubliant souvent la chrétienté médiévale. Or, les Apôtres ne parlent pas de ministres femmes. Il s’agit donc d’une question de loyauté avec le projet de Dieu pour l’Eglise.

La sagesse de la doctrine catholique

Pour autant, les évangéliques omettent le caractère spécifique du ministère, à qui est imprimé la personne du Christ.

Dans la tradition bimillénaire chrétienne, en effet, le prêtre (catholique ou orthodoxe) est "un autre Christ". C’était l’intuition originelle de Martin Luther et Jean Calvin. Jésus était entouré de femmes. Ce sont elles qui sont les premiers témoins de sa résurrection. Il aurait pu leur conférer le pouvoir de consacrer le pain et le vin, mais sa volonté fut de convier douze hommes à la Cène. De plus, le Christ a choisi de s’incarner en homme : "Ceci est mon corps" n’a de sens que par rapport au corps de celui qui prononce cette parole. Ce n’est pas un hasard si les communautés chrétiennes (mais le protestantisme ultralibéral est-il encore chrétien ?) qui nomment des femmes pasteurs et évêques ne croient souvent pas en la Présence réelle du Christ dans l’Eucharistie.

Le christianisme est une religion de l’incarnation, Dieu s’étant incarné en homme, et non en femme. Il n’est lui-même ni homme ni femme, mais en tant qu’humain incarné, il est homme. L’Évangile et les Pères de l’Eglise sont clairs. Changer l’Évangile (sous prétexte qu’il est "démodé" ou "archaïque") ou la doctrine de l’Incarnation conduit donc à l’hérésie, à la négation de la personne du Christ, et à son éviction au profit d’une féminité exaltée, et érigée au rang divin, telle la Déesse Mère païenne.

Or, les arguments en faveur de l’ordination des femmes ne sont ni théologiques ni religieux : refus de la discrimination pour certains, retour aux temps anciens pour d’autres (via le mythe des "diaconesses"), ou aveu de la recherche d’un meilleur management ("les femmes représentent une énergie différente" me disait un pasteur luthérien français, à raison, mais au mauvais endroit : leur place est nécessaire dans l’Eglise, mais pas à l’autel).

Face à ces revendications produites par le Zeitgeist moderne, l’Eglise catholique et la grande tradition chrétienne n’ont pas à rougir de la place faite aux femmes. Elles n’ont pas de capacités inférieures que les hommes, en témoignent les saintes, les mystiques et les théologiennes. En octobre prochain, le pape Benoît XVI proclamera Hildegarde von Bingen quatrième femme docteur de l’Eglise, aux côtés de sainte Catherine de Sienne, sainte Thérèse d’Avila et sainte Thérèse de Lisieux.

Le christianisme est "la" religion féministe par excellence, comme le disait un journaliste polémiste actuellement sur la sellette. Entre hommes et femmes dans l’Eglise, il y a égalité de dignité et complémentarité de fonctions.

Plutôt que de s’acharner à vouloir attribuer aux femmes une vocation spécifique aux hommes, il faut leur rappeler leur vocation propre, vocation de médiation, vocation d’enseignement de théologiennes, vocation maternelle que l’homme ne pourra apporter. L’annonce de l’Évangile a besoin de la diversité et du génie de chaque sexe, tournés vers l’exemple saint de la Vierge Marie, symbole de foi et de pureté, par qui Dieu a choisi de venir habiter parmi nous, et nous sauver.


[2Les Eglises de Suède et de Norvège se sont séparées de l’Etat en 2000 et en 2012, mêmes si elles restent liées au Parlement, via des partis politiques au sein de leurs Synodes généraux. Le Danemark et la Finlande ont conservé le statut officiel des Eglises luthériennes.

[3Une minorité issue de la Haute-Eglise norvégienne fit un schisme et créa l’Eglise catholique nordique en 1999. Elle serait aujourd’hui tentée de se rallier à l’Eglise catholique romaine.

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