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Iran : le rêve d’une détente

L’humour juif est ravageur, c’est bien connu. Hier soir, un ami israélien commentait l’élection d’Hassan Rohani à la présidence de la République d’Iran, présenté par la presse occidentale comme « modéré » : « Voici la modération iranienne : Nous demandons à Israël d’avoir l’obligeance de disparaître de la carte quand cela lui plaira ».

Au-delà de la boutade, le scepticisme israélien face à cette élection diffère sensiblement de l’optimisme officiel qui prévaut dans les chancelleries occidentales. Hassan Rohani, issu du clergé chiite, est en effet un pur produit de la Révolution islamique de 1979, qui a occupé d’importantes fonctions au sein du régime, notamment la direction du Conseil national de sécurité de 1989 à 2005. C’est à ce titre qu’il a mené les négociations avec la communauté internationale sur le dossier du nucléaire, entre 2003 et 2005, date à laquelle l’Union européenne, pressée par les Etats-Unis, décrète un blocus économique pour contraindre l’Iran à abandonner la course à la bombe.

Par ailleurs, les élections présidentielles iraniennes, si elles sont un exercice très concret de participation citoyenne massive (près de 50 millions d’Iraniens se rendent aux urnes à cette occasion), sont totalement contrôlées par le Guide suprême, l’ayatollah Ali Khameneï, qui est le véritable chef du régime, et qui sélectionne au préalable les candidats. Ainsi, l’ancien président Hashémi Rafsandjani, homme d’affaires lui aussi décrit comme modéré par les Occidentaux, a été écarté du scrutin sur son ordre deux semaines avant l’élection.

Malgré la mainmise effective du Guide suprême sur les élections, il semble toutefois que le choix de Hassan Rohani soit une décision mûrement réfléchie, pour tourner la page des deux mandats de Mahmoud Ahmadinejad, de 2005 à 2013. Ce dernier, caricaturé à l’excès dans le monde occidental, était imaginé comme étant une marionnette aux mains de l’ayatollah Khameneï, lui-même étant un illuminé fanatique, résolu à embraser la terre à l’aide de la bombe nucléaire. Ce cliché, véhiculé par les Américains et les Israéliens, ne correspondait pas à la réalité. Ahmadinejad venait d’un courant révolutionnaire de 1979 rival de la ligne officielle édictée par Khomeyni, puis Khameneï : celui des étudiants islamo-nationalistes, qu’on pourraient classer à l’extrême-gauche par leur anti-capitalisme, leur appel direct au peuple et leurs relations délicates avec le clergé chiite.
Sur le plan diplomatique, Ahmadinejad a joué au trouble-fête international, ce qui déplaisait au Guide suprême, qui cherche avant tout à développer le potentiel de l’Iran à l’abri des menaces occidentales. Afin de le mettre en difficulté, Khameneï encouragea la contestation populaire des fraudes électorales par les foules jeunes et ubraines, avides de changement et de modernité, lors de l’été 2009, en soutenant en coulisses leur champion, Mir Hossein Moussavi, candidat « modéré » [1]... avant de le consigner à résidence et de siffler la fin de la récréation. Ainsi, en sauvant la mise d’Ahmadinejad, il démontrait sa maîtrise du destin des hommes au pouvoir.

Avec Hassan Rohani, élu par les supporters de Moussavi, le Guide suprême cherche donc à apaiser les relations de l’Iran avec le monde extérieur, et à donner l’illusion d’un changement intérieur, tout en gardant le contrôle sur le processus politique.

Toutefois, les Occidentaux qui semblent se féliciter de l’alternance, iront-ils dans le même sens que les Iraniens ? Hassan Rohani comme Ali Khameneï tiennent à aller jusqu’au bout du programme nucléaire de leur pays, une perspective que redoutent les Américains, les Israéliens, la Turquie et les monarchies sunnites du Golfe persique, tous unis dans une alliance informelle mise en place en 2005.
Outre priver l’Iran de la bombe atomique, qui lui conférerait un statut de « Prusse du Moyen-Orient », selon les propres mots de l’ancien ministre israélien des affaires étrangères Silvan Shalom, il s’agit pour cette union anti-iranienne de briser l’arc chiite qui unit le Hezbollah libanais, le régime baasiste de Damas (contrôlé par les Alaouites, secte proche du chiisme), l’Irak majoritairement chiite et l’Iran. La faille de cet arc est depuis 2011 la Syrie, où se déroule une féroce guerre civile entre rebelles, soutenus par la coalition anti-iranienne, et le régime, épaulé militairement par le Hezbollah et l’Iran.

Or, la guerre civile syrienne est arrivée à un tournant ces derniers mois. Alors qu’Internet rapporte les dernières atrocités commises par les rebelles [2] sur des prisonniers de l’armée régulière, ou sur un enfant ayant blasphémé à l’égard du Prophète Mahomet, ce qui trouble le public occidental, habitué à la présentation louangeuse des insurgés par les médias, les troupes syriennes, aidées par des conseillers russes et des supplétifs iraniens et libanais, reprennent du terrain. Ce qui a poussé les Israéliens à frapper par voie aérienne des entrepôts militaires syriens en mai dernier, et les Américains et Français à fournir des armes aux rebelles, prenant le prétexte de l’utilisation de gaz chimique par le régime.

Ce dernier élément est à souligner : alors que Barack Obama fait jusqu’à présent preuve d’une extrême prudence sur le dossier syrien, la France de François Hollande et Laurent Fabius est ouvertement belliqueuse. Ce dernier n’a pas hésité à réclamer l’inscription du Hezbollah sur la liste des organisations terroristes de l’Union européenne, une déclaration qui ravit dans les salons de Paris et qui réchauffe les cœurs en Israël [3], mais qui place la France (et surtout les soldats français des forces de maintien de la paix) dans une position très difficile au Liban, où le Hezbollah rallie à lui de gré ou de force 50 % de la population.

Alors que les militants bobos du Parti socialiste français vibrent avec leurs camarades de la mouvance Mélenchon et leurs keiffieh made in China pour la cause palestinienne (un soutien qui diminue cependant en vigueur dès que l’on grimpe les échelons du PS), le gouvernement de François Hollande est paradoxalement plus pro-israélien que ne l’était celui de Nicolas Sarkozy, pourtant adoubé par 95 % des Franco-Israéliens lors des élections de 2012. Manuel Valls se présente depuis longtemps comme un défenseur de l’Etat d’Israël, et le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, qui ne supportait pas Nicolas Sarkozy et ses velléités de rapprochement avec la Syrie via les ténébreux réseaux de Claude Guéant, parle ouvertement de François Hollande comme étant un partenaire beaucoup plus fiable dans la perspective d’un conflit avec l’Iran.

Pourtant, l’ancien royaume des Perses, malgré la Révolution de 1979 et le caractère islamique de son régime, recherche toujours les mêmes alliés géostratégiques face aux puissances anglo-saxonnes, Anglais hier et Américains aujourd’hui, et aux sunnites de la région : la Russie et la France. Fournisseur du programme nucléaire iranien au temps du Shah, protecteur de l’ayatollah Khomeneï en exil, renouant avec le régime de Téhéran dès la fin des années 1980, Paris jouit de relations anciennes avec l’Iran, qui pourrait constituer un atout considérable à l’avenir. A voir les choix politiques récents, le plus souvent inféodés aux décisions américaines, la confrontation semble avoir été préférée à cet atout.


[1Ancien ministre des affaires étrangères et Premier ministre : lui aussi un homme d’appareil, et non un chevalier blanc comme cela fut dit et écrit à l’époque.

[2Rebelles très majoritairement sunnites, donc anti-chiites et anti-alaouites, et noyautés par les groupes islamistes financés par les monarchies pétrolières du Golfe, le Qatar au premier rang.

[3De passage dans l’Etat hébreu au mois de mai, Nicolas Sarkozy ne s’y est pas trompé en réclamant la même chose. Il s’était toutefois bien gardé de le faire quand il était aux affaires.

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