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Honneur aux vaincus !

29 janvier 2012 Contributeurs extérieurs

Les victimes semblent victimes de leur succès. Pas un jour sans que l’on prenne leur défense, qu’une bonne âme leur vienne en aide, qu’une nouvelle espèce soit découverte. La quête de la victime devient la nouvelle quête du Graal, et cela n’est pas près de prendre fin. Car chacun d’entre nous a été, est ou sera une victime. Potentiellement. Si tout va bien. Si tout va mal plutôt. Du tabagisme passif, en passant par l’amiante, le chômage, l’insécurité routière ou conjugale quand un homme (se) conduit mal. Entre victime et bourreau, tout le monde a désormais choisi son camp. Rachida Dati et Oussama Ben Laden n’échappent pas à cette nouvelle règle d’airain. L’ancienne garde des sceaux déclarait, lors de sa prise de fonction, vouloir « consacrer toute son énergie pour la défense des victimes » et que « la justice soit enfin de leur côté ». L’ancien terroriste, lui, choisissait cette activité après que sa terre sainte eut été foulée par des orteils infidèles. En 1990, des soldats Américains arrivaient en Arabie Saoudite. Feu Ben Laden déclarait également et à plusieurs reprises vouloir venger les innocents de Hiroshima et Nagasaki, qu’il associait au sort des musulmans désormais la proie de l’Empire... Victimes sans frontières en quelque sorte !

Et je passe sur les damnés de la terre, les clients de Bernard Madoff, les détenteurs d’emprunts russes... La liste serait interminable. La marée des doléances charrie toujours plus de causes à défendre. Quelques personnes cependant bravent le courant. Robert Badinter, qui ne sort jamais sans son auréole, constate que le populisme consiste à être automatiquement du côté des victimes et à sous entendre que l’adversaire est du côté des criminels. Les faits ne lui donne pas tort. Vingt et une dispositions législatives ont été votées en faveur des victimes depuis 2002. La thématique de la récidive illustre également cette démence contemporaine qui s’illusionne dans ce que Jean Baudrillard appelait la transparence du mal. L’on confond volontiers diagnostique et pronostique. Le diagnostique peut être erroné mais il n’y a en revanche jamais d’erreur sur le pronostique. Celui-ci est, par définition, une évaluation de l’incertitude. D’où les récidives et la violence. Or c’est bien la place de l’incertitude donc du mal, la part maudite dirait Bataille qui est niée aujourd’hui. L’époque voudrait que la politique puisse éradiquer la violence quand son rôle est plutôt de la civiliser. Dans tous les cas de figure, les victimes n’y sont pour rien. Innocente victime est devenu un pléonasme, l’évidence même...

Comment en est-on arrivé là ? Pendant longtemps, la victime était désignée comme coupable et mieux valait ne pas se retrouver dans le camp des victimes ! Par quel miracle ce qui était un oxymoron [1] s’est-il métamorphosé en pléonasme ? Il s’est passé quelque chose. Il a dû se passer quelque chose. Oui mais quoi ? Livres après livres, René Girard nous donne les clés de ce mystère. De Mensonge romantique et vérité romanesque à Achever Clausewitz, l’académicien dévoile « ces choses cachées depuis la fondation du monde » pour reprendre une expression de Saint Matthieu qui est aussi le titre d’un de ses entretiens. Le moment clé, l’instant où l’innocence de la victime, de toute les victimes, est révélée correspond à la venue du Christ. La victime n’est que le bouc émissaire que le groupe s’est choisi pour mettre fin à la violence. (je vais un peu vite mais lisez Girard, il explique ça très bien). « Savoir qu’on a un bouc émissaire, c’est le perdre. » Le bouc concentre sur lui toute la violence et son sacrifice y met fin (à la violence, et au bouc aussi d’ailleurs). La Bonne Nouvelle c’est cela, c’est cet homme qui est mort pour avoir mis à jour la violence des hommes, et pour sauver tous les futurs boucs émissaires. Ce redoutable mais salvateur mécanisme n’est désormais plus possible. Redoutable car il y a mort d’un innocent que tout le monde croit coupable. Salvateur car cette mort restaure la paix des ménages. Dès lors le statut de victime change et devient même désirable. Car se dire victime, c’est se dire bouc émissaire. Donc innocent. Ce savoir, cette perte d’illusion, cette vérité messianique expliqueraient l’attention toujours plus grande portée aux victimes.

En a-t-on fini avec la violence pour autant ? Non évidemment. Ironie de l’histoire, la violence se fait désormais au nom des victimes. Pour ne prendre qu’un seul exemple qui paraît anodin, les fumeurs sont pourchassés à coup de lois scélérates au nom des victimes du tabagisme passif. Pureté des victimes, dégoût des coupables. Oubli de la part maudite. L’empire du Bien conjure le mal en dénonçant ses meurtriers. La concurrence victimaire actuelle montre à la fois la réussite du christianisme et son dévoiement puisqu’il s’agit plutôt d’une rivalité voire d’une guerre entre les victimes. Je suis plus victime que toi ! Plus innocent que toi. Plus pur. Triomphe d’un monde binaire divisé entre le bien et le mal là où le christianisme parlait de péché originel, de chute de tous les hommes. Ce monde est plein d’idées chrétiennes devenues folles constatait Chesterton. Dirait-il autre chose aujourd’hui ?

Harpagon


[1(une victime innocente ! et puis quoi encore ??)

29 janvier 2012 Contributeurs extérieurs

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