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« Neuf mois dans la peau d’un professeur de l’enseignement catholique », c’est la trame proposée par ce petit ouvrage de Pierre de Laubier, paru au début de l’année 2015. L’auteur n’est pas un enseignant formé par l’Éducation nationale. Sa vocation est née sur le tard et, après une carrière dans le secteur privé, son intérêt particulier pour l’enseignement l’a conduit à occuper, le temps d’une année scolaire, un poste de professeur de français dans l’établissement parisien Saint-Vincent-de-Paul. L’école privée… de liberté est le fruit de cette expérience. L’auteur propose au lecteur de le suivre dans son immersion, son voyage troublant dans le monde de l’enseignement privé sous contrat.
On pourrait s’attendre à trouver dans un tel livre un exposé clair et organisé des conditions d’accès à l’enseignement privé, de l’exercice quotidien au sein de l’établissement ciblé, et des tares qui s’en dégagent. On ne le trouvera pas. Non pas parce que l’auteur n’apporte pas de l’ordre à son propos, mais bien parce que toute l’étendue du propos ne prend véritablement sens que dans le suivi progressif, mois par mois, parfois même jour pour jour, d’un itinéraire particulier.
Dès le recrutement, on sait qu’on est plongé dans l’absurdité administrative la plus brutale, et progressivement se dessinent les contours de la forêt vierge bureaucratique. Ce milieu formidable et angoissant où la langue parlée est comme étrangère, les règles du sens commun et de la logique décomposées et réassemblées à l’envi. On apprend ainsi que l’on peut enseigner pendant une moitié d’année dans un établissement scolaire en n’ayant passé que la moitié du concours d’entrée. Qu’une fois la seconde partie du concours passée, on peut très bien être vidé de son poste, quand bien même on aurait apporté toutes les preuves de ses capacités à l’enseignement durant la période d’exercice. On apprend que les enseignants sont notés sans être contrôlés, que les enseignants du privé sous contrat doivent passer une épreuve intitulée « agir en bon fonctionnaire de l’État ».
On assiste, en regardant par-dessus l’épaule de l’auteur, à une année complète de péripéties dignes du meilleur roman picaresque. Au fil des courts chapitres apparaissent ainsi les grandes lignes d’une thèse mûrie et richement illustrée : L’enseignement catholique sous contrat n’a de libre plus que le nom.
Pierre de Laubier met en avant les deux principales raisons qui expliquent le succès des écoles catholiques sous contrat : il s’agit d’abord d’échapper à l’effondrement scolaire dans l’enseignement public, puis de rechercher une certaine plus-value religieuse — bien que cette seconde aspiration soit toute relative.
Toute relative, et tant mieux, car de fait, l’enseignement religieux que les parents sont en droit d’entendre, la cohérence entre les valeurs dispensées et la religion, voir même – allons jusque là – une certaine rectitude morale ne semble pas devoir être au programme de bon nombre d’établissements catholiques. L’expérience qu’en livre l’auteur est édifiante. Le catéchisme est réduit à une sorte de cours de morale, plus inspiré par les valeurs de la république que par les Écritures. Nelson Mandela et Simone Veil sont bien plus à l’ordre du jour que Notre-Seigneur Jésus-Christ et les saints de l’Église catholique. L’auteur insiste sur l’image que reflètent les établissements catholiques et la réalité qu’on y rencontre régulièrement, et il en vient à la conclusion suivante : « L’adjectif “catholique”, accolé au mot “école”, fait spontanément venir à l’esprit des images d’ordre, de discipline, de propreté, de morale, de bleu marine, tout cela parfois jusqu’à la caricature. Images issues d’un lointain passé qui séduisent les uns, rebutent les autres, mais qui, la plupart du temps, ne reflètent aucune réalité et s’apparentent même parfois à de la publicité mensongère. » [1]
Quant à ce qui est d’échapper à la qualité désastreuse de l’enseignement public, le constat n’est guère plus réjouissant. Les programmes sont dans les clous, la qualité même des enseignants ne diffère en rien de l’enseignement public. D’autres logiques viennent même aggraver, dans une certaine mesure, la situation. En effet, il y a pour les établissements privés la permanente tentation d’accroître le nombre d’élèves pour élargir leur budget. La sélection à l’entrée est donc mise de côté, et ce sont justement tous les élèves qui ont échoué dans le système classique qui viennent remplir certaines salles de classe du privé. La marge de progression des classes en est fatalement réduite.
Ce constat laisse en quelque sorte apparaître l’enseignement sous contrat comme le second couteau de l’éducation nationale. Un creuset qui recueillerait à la fois les sceptiques et les déçus de l’enseignement public. Il ne faut cependant pas considérer que cela vaut absolument. Il y a des établissements qui tiennent bien mieux leur rang que la moyenne. C’est cependant le volontarisme seul qui permet aux chefs d’établissement de se soustraire aux lourdes structures imposées par le fameux contrat passé avec l’État, et d’offrir de meilleures chances à leurs élèves.
Comment, au juste, devient-on enseignant dans le privé sous contrat ? De la même manière que dans le public, la plupart du temps. En passant le CAFEP (Certificat d’Aptitudes aux Fonctions de l’Enseignement Privé), identique en tous points au CAPES du public. Quant aux statuts, ils sont là encore voisins : fonction publique, où tout comme – rappelons-le, il faut « agir en bon fonctionnaire de l’État ». Ce n’est pas sans poser problème lorsque l’on commence à parler de liberté d’enseignement. Car vis-à-vis de qui cette liberté doit-elle s’exercer ? Un vain peuple penserait qu’elle se construit vis-à-vis de l’État. Qu’un directeur d’établissement scolaire soit l’employeur de ses enseignants serait donc la première marque de liberté. L’option, il est vrai, amène bien des tentations ; moins de responsabilités pour l’établissement, plus de sécurité pour les enseignants, tout le monde semble gagnant. Mais c’est bien de ce statut que découlent toutes les autres embûches.
Si l’État emploie et salarie des enseignants pour le compte d’un établissement privé, il faut des garanties. Ou plutôt un garant. Et ce garant, c’est la direction diocésaine. C’est elle qui est chargée d’attribuer aux enseignants un poste. C’est aussi elle qui juge l’aptitude de ces mêmes enseignants à exercer dans un établissement expressément catholique. Elle représente en quelque sorte la délégation que fait l’État aux diocèses de son autorité à juger les qualités d’un enseignant. Il semble que par « école libre », on n’entende pas « établissements libres », ou « enseignement libre ». La seule liberté réside dans cette délégation de l’État au diocèse. Il ne s’agit en fait que d’un transfert d’autorité, dans lequel le directeur d’établissement ressort bredouille.
Cette structure porte avec elle des contraintes considérables qui tendent à expliquer pourquoi l’enseignement catholique ne tient plus ses promesses. D’abord, l’absence d’influence sur les programmes – puisqu’un fonctionnaire de l’État enseigne le programme de l’État – empêche les établissements de mettre en place les méthodes et les contenus qui leur semblent les plus adaptés à leurs élèves. Rappelons que ces élèves ne sont pas forcément les mêmes selon les établissements. Pour ce qui est de la « catholicité » de l’enseignement, la direction diocésaine veille au grain, à sa manière. L’instance de sélection des enseignants, notamment, semble surtout veiller à faire le moins de vagues possibles. Voilà la sentence lapidaire de l’auteur : « Pour ma part je pense, et je ne suis pas le seul à le penser, que les candidats “trop catholiques” sont mis sur liste noire. » [2]
Pierre de Laubier ne fait pas que dresser un constat de la situation de l’enseignement sous contrat, il tente également de remonter aux causes plus larges du dépérissement de l’instruction, qu’elle soit privée ou publique. Le collège unique arrive en bonne place dans la série des réformes qui ont accentué le poids bureaucratique sur les épaules des élèves. Progressivement, les aspirations, les besoins et les capacités particulières sont pressées dans le moule commun du « lycée caserne », qui n’est plus un véritable lycée, car on n’y apprend plus grand-chose, et qui n’a gardé de la caserne que la restriction de toute forme de développement individuel, hors du schéma égalitaire. Le réel doit systématiquement se plier au projet pédagogique.
Ces errements s’étendent en réalité de manière beaucoup plus prégnante dans l’enseignement à proprement parler. Les directives qui pourvoient à créer pour les élèves de bonnes formes d’enseignement, c’est-à-dire la bonne manière d’inculquer les savoirs, sont un bon exemple : « Je ne résiste pas au plaisir de m’attarder sur cette notion d’“enseigner autrement”. Je ne suis pas contre les jolis mots par principe, pas même ce mot “autrement”. Pourquoi en effet ne pas réserver quelques heures à des activités moins académiques ? […] Mais aussi pourquoi ? Enseigner autrement… que quoi ? Si la manière d’enseigner habituelle est bonne, pourquoi faire autrement ? Et si ce que l’on fait autrement est mieux, pourquoi ne pas le faire tout le temps ? On touche là à un sujet sur lequel il y aurait bien des choses à dire : le pédagogisme. » [3] Le problème reste constant : l’administration impose des essais pédagogiques, des expérimentations, mais sur le terrain, dans les classes, ces essais ne sont pas suivis, ils ne forment aucune cohérence dans le programme d’enseignement et ne sont inscrits dans aucun projet global étudié. Bref, comme la plupart des domaines, les enseignants bricolent avec des mesures bricolées. Là encore, le travail coordinateur du chef d’établissement, tant nécessaire, fait cruellement défaut. Qu’un établissement ait sa manière d’enseigner, qui se solde par un résultat ou non, et que les parents pourraient justement apprécier, cette projection reste pour l’école sous contrat, dans sa généralité, une représentation bien lointaine.
L’intérêt certainement la plus percutante de cet essai-témoignage est qu’il jette un pont entre le vécu quotidien de l’enseignant et les faillites structurelles de l’enseignement. Une lucidité qui n’est certainement pas étrangère au fait qu’elle vienne d’un « non-initié », d’un observateur qui n’est entré dans l’éducation que tardivement. On ne reste, à vrai dire, jamais cantonné dans l’anecdotique, et chaque bizarrerie de l’enseignement quotidien, de l’administration ou de la direction interne, finit par prendre sens dans le mécanisme général. La conclusion n’en est que plus convaincante : celle que l’évolution de l’enseignement catholique vers la privation de liberté n’est pas circonstancielle, mais structurelle. « Vu de loin, comme ce système est beau ! C’est beau comme le plan d’une gare. De sorte que bien des esprits pourtant pleins de bonne volonté sont devenus incapables d’en concevoir la moindre réforme autrement que générale, universelle, uniforme, globale. En réalité, il est vain de tenter de réformer ce système. Il est trop bien gardé par toute sorte de syndicats, de sociétés ostensibles ou discrètes, d’associations d’anciens élèves. Mais, surtout, il n’a pas de raison d’être. Le monopole de l’enseignement et de l’université que l’État s’est arrogé est une usurpation, et le ministère de “l’éducation nationale” est une institution inutile dans son principe et nuisible en pratique. » [4]
Une question fondamentale finit donc par s’imposer : Est-ce vraiment le rôle de l’État que de dispenser, sinon l’éducation, du moins l’instruction aux enfants ? Et si c’était le cas, les familles n’auraient-elles pas le droit de choisir, et d’échapper à cette servitude volontaire qui s’est imposée à bien des établissements privés sous contrat ?
[1] LAUBIER Pierre de, L’école privée… de liberté, Pierre de Laubier, 2015, p. 109
[2] Ibid., p.96
[3] Ibid., p. 73
[4] Ibid., p. 151
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