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Réflexions juridiques sur la croisade laïque contre les crèches

L’affaire est sur toutes les lèvres : le tribunal administratif de Nantes décidait, il y a quelques jours, d’interdire la présence d’une crèche de la Nativité au sein du Conseil général de la Vendée. Dès 2012, la fédération vendéenne de la Libre pensée avait déposé un recours en ce sens. Le Conseil général de la Vendée annonce sa volonté de faire appel, arguant du caractère culturel de la crèche installée en ses locaux.

Neutralité du service public : en matière cultuelle ou culturelle ?

Laissons de côté les réflexions purement politiques pour nous intéresser au droit.
Depuis 1905 il est interdit d’ « élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit ». [1]
Du culte à la culture, quelques lettres forment un pas que l’on franchit aisément. Quinze siècles d’identité chrétienne ne se balaient pas d’un revers de main ; un trait de plume n’efface pas les devoirs datant du Pacte du Reims.
Revenons aux institutions publiques. Ces dernières – un Conseil général par exemple – sont liées par un devoir de neutralité, notamment en matière religieuse. Selon une jurisprudence constante du Conseil d’Etat [2] , les services publics doivent offrir toutes les garanties de cette neutralité, de sorte qu’aucun usager ne puisse douter de cette neutralité. La personne publique est ainsi vouée au silence spirituel.
Quid lorsque la spirituel se mêle à l’identité et à la culture ? La confusion est grande, d’autant que le Ministère de l’Intérieur et des cultes, répondant le 15 mars 2007 à une revendication laïcarde de Jean-Luc Mélenchon, estimait que « le principe de laïcité n’impose pas aux collectivités territoriales de méconnaître les traditions issues du fait religieux qui, sans constituer l’exercice d’un culte, s’y rattachent néanmoins de façon plus ou moins directe. »

Le précédent vendéen : le double cœur

Si la frontière entre le culturel et le cultuel est ténue, il y a matière à contentieux. Ainsi en va-t-il lorsqu’un symbole d’origine religieuse est utilisé par un organisme de droit public.
Il y a quinze ans, le Conseil général de la Vendée, dirigé par Philippe de Villiers, adoptait un logotype frappé du « double cœur vendéen ». Il s’agissait d’une version stylisée des cœurs entrelacés de Jésus et Marie , couronnés et surmontés de la Croix [3].
Une association laïciste – « Une Vendée pour tous les vendéens » [sic]- s’en était émue et avait porté l’affaire devant le juge administratif. Leur argument ? « La couronne et la croix sont des signes ostentatoires. » [4]
Le juge administratif décida que tel nétait pas le cas, le logotype n’étant en fait que « la transposition métaphorique de certains traits de l’histoire vendéenne ». [5]
Victoire en demi-teinte pour la Vendée : si l’emblème fut toléré, c’est bien parce que le juge administratif avait porté un regard purement profane sur le double cœur, omettant la symbolique religieuse, pourtant fondamentale. En effet, la Cour administrative d’appel ne manquait pas de préciser que ce logotype était purement culturel et historique, et non dessiné dans un but de promotion religieuse. [6]
Une telle jurisprudence peut-elle s’appliquer pour une crèche, dont la vocation est bien de manifester un message universel, à savoir la naissance du Sauveur ? Il paraît malaisé de répondre par la positive.

L’affaire des crucifix italiens

Une situation similaire agitait l’Italie il y a une dizaine d’années : d’aucuns contestaient la présence, généralisée et traditionnellement admise, de crucifix dans les salles de classe publiques de la péninsule. La plainte d’une requérante monta jusqu’à la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH). Cette dernière décida dans un arrêt du 3 novembre 2009 que l’exposition du crucifix restraignait « le droit des parents d’éduquer leurs enfants selon leurs convictions ainsi que le droit des enfants scolarisés de croire ou de ne pas croire ». [7]
Deux ans plus tard, devant l’ampleur de la polémique, la Grande Chambre de la CEDH décida que « le crucifix était avant tout un symbole religieux », mais également un élément traditionnel et culturel dans les salles de classe publiques italiennes. Or, «  la décision de perpétuer ou non une tradition relève en principe de la marge d’appréciation de l’État défendeur  ». [8]

Une France qui se renie

In fine, la Cour de Strasbourg bottait en touche, en rappelant que le maintien de cette tradition relevait de la compétence de l’Etat-membre concerné. Cela est parfait pour les catholiques italiens, mais leurs coreligionnaires français n’en sont pas plus avancés.
En France, la personne publique a précisément rompu avec la tradition chrétienne : la République française peut, dans le cadre juridique actuel, tout à fait effacer les traces de notre identité. La protection de ces traditions est trop floue dans notre droit public.
Dans un paradigme administratif positiviste et dénué de toute référence au divin, le pays légal s’oppose une fois de plus au pays réel, celui des petits maires de province et des crèches pour orphelins de la DDASS. [9]
La machine administrative nie au Politique le droit de concourir à l’enracinement (par la culture et l’affirmation de nos racines chrétiennes, matérialisées par les crèches de Noël) et de participer d’une affirmation de la transcendance (un élu ne peut, aujourd’hui, proclamer la royauté sociale de Notre Seigneur Jésus-Christ).
Cette croisade laïque contre les crèches illustre à nouveau, si cela était encore à démontrer, le degré d’inanité d’un système juridique fondé sur la négation de la transcendance divine et de la réalité organique de la nation, laquelle est d’abord faite d’un peuple et de ses traditions immémoriales.


[1Article 1er de la loi du 9 décembre 1905, dite de séparation des Eglises et de l’Etat

[2Voir à ce propos deux arrêts rendus par le Conseil d’Etat : CE, 8 décembre 1948, Dlle. Pasteau ; ― CE, 3 mai 1950, Dlle. Jamet

[3entrelacés car fidèles l’un à l’autre, utrique fidelis

[4Lire l’article de l’Express du 4 mars 1999, « Croisade laïque contre la croix vendéenne » : http://www.lexpress.fr/informations/croisade-laique-contre-la-croix-vendeenne_632862.html#5Bpal5WkzDjePJim.99

[5Cour administrative d’appel de Nantes, 11 mars 1999

[6Selon la Cour administrative d’appel de Nantes, le logotype n’avait pas été réalisé « dans un but de manifestation religieuse, ni n’a eu pour objet de promouvoir une religion » mais avait « pour unique fonction d’identifier, par des repères historiques et un graphisme stylisé, l’action du Département de la Vendée ».

[7CEDH, Lautsi c. Italie , 3 novembre 2009, Requête n° 30814/06, (4) , «  La présence du crucifix peut aisément être interprétée par des élèves de tous âges comme un signe religieux et ils se sentiront éduqués dans un environnement scolaire marqué par une religion donnée. La Cour ne voit pas comment l’exposition, dans des salles de classe des écoles publiques, d’un symbole qu’il est raisonnable d’associer au catholicisme (la religion majoritaire en Italie) pourrait servir le pluralisme éducatif qui est essentiel à la préservation d’une « société démocratique » telle que la conçoit la Convention [en son article 9] » (§56 à 58)

[8Cour européenne des droits de l’Homme, Grande chambre, 18 mars 2001, Lautsi c. Italie

[9Lorsqu’il était président du Conseil général de la Vendée, Philippe de Villiers avait installé une crèche dans les locaux de l’institution, à la demande du personnel, afin d’offrir un peu de chaleurs aux orphelins de la DDASS (Direction départementales des affaires sanitaires et sociales).

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