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En ce froid matin de février 1794, les Bleus traquent Charette, roi de la Vendée. Sur leur passage, les Colonnes infernales brulent tout, selon les ordres de la Convention. Malheur à qui tomberait en leurs mains ! Insurgé ou patriote, le Vendéen est un Brigand, et à ce titre il sera passé par le fil de l’épée. Le gros de l’armée catholique et royale ayant été sabré à Savenay à la veille de Noël, ce n’est pas une guerre que livre la République en pays insurgé ; c’est une extermination méthodique.
Sur leur chemin, un village : Les Lucs-sur-Boulogne. Il est composé de deux paroisses, le Grand-Luc et le Petit-Luc. Devant l’avancée des bourreaux en uniforme, les villageois se réfugient dans la paroisse du Petit-Luc. Ils y subiront un martyr. L’abbé Voyneau, curé du Petit-Luc, est taillé en pièce. Ses paroissiens sont massacrés : les uns devant la chapelle, les autres à l’intérieur même du lieu sacré. Les cartouches venant à s’épuiser, on finit la besogne au canon. D’après le martyrologe tenu par l’abbé Barbedette, curé du Grand-Luc, pas moins de 564 personnes firent les frais de cette boucherie, qui fut un Oradour-sur-Glane avant l’heure.
Paroisse martyre, les Lucs sont devenus le phare du souvenir.
C’est ici que, le 19 avril dernier, le Conseil général de Vendée a décidé de lancer les commémorations du 220e anniversaire du soulèvement vendéen. Pour cette occasion, Bruno Retailleau, sénateur et président du Conseil général, recevait Lech Walesa. Faut-il présenter ce dernier ? Ouvrier métallurgiste du chantier naval de Gdansk, il contribua, par son action à la tête du syndicat Solidarnosc, à faire tomber le monstre communiste. Devenu ensuite président de la République polonaise, il est aujourd’hui un symbole de paix et de foi, reconnu par tous, hormis ceux que ses convictions conservatrices ont récemment choqué. Mais qu’importent ces controverses !
Seul compte le message que ce dernier, fervent catholique était venu délivrer en Vendée, au moment d’inaugurer un nouveau jardin au sein du Mémorial de Vendée. Un message d’espérance face à l’adversité.
Cette visite en Vendée n’est pas sans rappeler la venue d’Alexandre Soljenitsyne (paix à son âme) sur cette "terre de géants et de genêts en fleur", voilà vingt ans.
Alexandre Soljenitsyne et Philippe de Villiers, en 1993
Walesa, Soljenitsyne, deux hommes aux parcours si différents, à la destinée peu commune, issus de nations qui se sont tant de fois combattu, se sont tous deux illustré dans la lutte contre le communisme. Ils ont pu participer, de manières diverses, à la chute du Monstre, et ont pu ensuite constater combien il était difficile de récolter des fruits de paix et de justice sur des terres rendues infertiles par plus d’un demi-siècle de boslchévisme.
Si ces deux hommes, à vingt ans d’écart, se sont rendu en Vendée, ce n’est pas un hasard. Témoins de la barbarie rouge, ils ont vu leurs nations déchirées par les conséquences de la politique communiste et de la Terreur d’Etat. Mais ils connaissent également les causes de cette horreur.
Or, ces causes s’enracinent précisément dans notre Histoire nationale, celle de la Révolution française. A l’instar d’historiens comme Stéphane Courtois, Soljenitsyne a fort bien démontré, il y a vingt ans, le rôle clef de la Révolution française, matrice de la Révolution russe de 1917. Triste privilège pour notre pays... L’auteur de L’Archipel du Goulag en avait d’ailleurs profité pour égratigner, fort justement, le mythe puéril de la devise républicaine, addition de vertus mutuellement exclusives.
Pis, la politique d’extermination méthodique d’une population en tant que telle (les Vendéens, bleus comme blancs) par la Convention fut une inépuisable source d’inspiration pour les bolshéviks. Qui se rappelle, aujourd’hui, que dans les plans d’élimination des koulaks, le nom de code secret donné par Lénine à la Volga était "la Loire" ? Qui se souvient du même Lénine exigeant "sa Vendée", c’est-à-dire l’anéantissement de ses Blancs à lui ? Heureusement, Soljenitsyne fut là pour nous le rappeler en 1993, lors de l’inauguration de ce Mémorial des guerres de Vendée.
Aujourd’hui, en 2013, c’est précisément sur les pas d’Alexandre Soljenitsyne que Lech Walesa a fait l’honneur de sa visite aux Vendéens. Parachevant l’oeuvre du dissident russe, le fondateur de Solidarnosc a inauguré un "jardin du pardon" aux Lucs-sur-Boulogne, commemmorant le pardon accordé aux Bleus par les Blancs après la Bataille de Fontenay-le-Comte.
Lutte, Foi, Mémoire et Pardon : des mots qui résonnent encore aujourd’hui, de l’Oural au Bas-Poitou, en passant par le port de Gdansk...
A toutes fins utiles, nous proposons à nos excellents lecteurs ce formidable discours d’Alexandre Soljenitsyne, prononcé aux Lucs-sur-Boulogne le 25 septembre 1993, que nous avons évoqué plus haut :
Il y a deux tiers de siècle, l’enfant que j’étais lisait déjà avec admiration dans les livres les récits évoquant le soulèvement de la Vendée, si courageux, si désespéré. Mais jamais je n’aurais pu imaginer, fût-ce en rêve, que, sur mes vieux jours, j’aurais l’honneur inaugurer le monument en l’honneur des héros des victimes de ce soulèvement.
Vingt décennies se sont écoulées depuis : des décennies diverses selon les divers pays. Et non seulement en France, mais aussi ailleurs, le soulèvement vendéen et sa répression sanglante ont reçu des éclairages constamment renouvelés. Car les événements historiques ne sont jamais compris pleinement dans l’incandescence des passions qui les accompagnent, mais à bonne distance, une fois refroidis par le temps.
Longtemps, on a refusé d’entendre et d’accepter ce qui avait été crié par la bouche de ceux qui périssaient, de ceux que l’on brûlait vifs, des paysans d’une contrée laborieuse pour lesquels la Révolution semblait avoir été faite et que cette même révolution opprima et humilia jusqu’à la dernière extrêmité.
Eh bien oui, ces paysans se révoltèrent contre la Révolution. C’est que toute révolution déchaîne chez les hommes, les instincts de la plus élémentaire barbarie, les forces opaques de l’envie, de la rapacité et de la haine, cela, les contemporains l’avaient trop bien perçu. Ils payèrent un lourd tribut à la psychose générale lorsque fait de se comporter en homme politiquement modéré – ou même seulement de le paraître – passait déjà pour un crime.
C’est le XXe siècle qui a considérablement terni, aux yeux de l’humanité, l’auréole romantique qui entourait la révolution au XVIIIe. De demi¬-siècles en siècles, les hommes ont fini par se convaincre, à partir de leur propre malheur, de que les révolutions détruisent le caractère organique de la société, qu’elles ruinent le cours naturel de la vie, qu’elles annihilent les meilleurs éléments de la population, en donnant libre champ aux pires. Aucune révolution ne peut enrichir un pays, tout juste quelques débrouillards sans scrupules sont causes de mort innombrables, d’une paupérisation étendue et, dans les cas les plus graves, d’une dégradation durable de la population.
Le mot révolution lui-même, du latin revolvere, signifie rouler en arrière, revenir, éprouver à nouveau, rallumer. Dans le meilleur des cas, mettre sens dessus dessous. Bref, une kyrielle de significations peu enviables. De nos jours, si de par le monde on accole au mot révolution l’épithète de « grande », on ne le fait plus qu’avec circonspection et, bien souvent, avec beaucoup d’amertume.
Désormais, nous comprenons toujours mieux que l’effet social que nous désirons si ardemment peut être obtenu par le biais d’un développement évolutif normal, avec infiniment moins de pertes, sans sauvagerie généralisée. II faut savoir améliorer avec patience ce que nous offre chaque aujourd’hui. II serait bien vain d’espérer que la révolution puisse régénérer la nature humaine. C’est ce que votre révolution, et plus particulièrement la nôtre, la révolution russe, avaient tellement espéré.
La Révolution française s’est déroulée au nom d’un slogan intrinsèquement contradictoire et irréalisable : liberté, égalité, fraternité. Mais dans la vie sociale, liberté et égalité tendent à s’exclure mutuellement, sont antagoniques l’une de l’autre ! La liberté détruit l’égalité sociale – c’est même là un des rôles de la liberté -, tandis que l’égalité restreint la liberté, car, autrement, on ne saurait y atteindre. Quant à la fraternité, elle n’est pas de leur famille. Ce n’est qu’un aventureux ajout au slogan et ce ne sont pas des dispositions sociales qui peuvent faire la véritable fraternité. Elle est d’ordre spirituel.
Au surplus, à ce slogan ternaire, on ajoutait sur le ton de la menace : « ou la mort », ce qui en détruisait toute la signification. Jamais, à aucun pays, je ne pourrais souhaiter de grande révolution. Si la révolution du XVIIIe siècle n’a pas entraîné la ruine de la France, c’est uniquement parce qu’eut lieu Thermidor.
La révolution russe, elle, n’a pas connu de Thermidor qui ait su l’arrêter. Elle a entraîné notre peuple jusqu’au bout, jusqu’au gouffre, jusqu’à l’abîme de la perdition. Je regrette qu’il n’y ait pas ici d’orateurs qui puissent ajouter ce que l’expérience leur a appris, au fin fond de la Chine, du Cambodge, du Vietnam, nous dire quel prix ils ont payé, eux, pour la révolution. L’expérience de la Révolution française aurait dû suffire pour que nos organisateurs rationalistes du bonheur du peuple en tirent les leçons. Mais non ! En Russie, tout s’est déroulé d’une façon pire encore et à une échelle incomparable.
De nombreux procédés cruels de la Révolution française ont été docilement appliqués sur le corps de la Russie par les communistes léniniens et par les socialistes internationalistes. Seul leur degré d’organisation et leur caractère systématique ont largement dépassé ceux des jacobins.
Nous n’avons pas eu de Thermidor, mais – et nous pouvons en être fiers, en notre âme et conscience – nous avons eu notre Vendée. Et même plus d’une. Ce sont les grands soulèvements paysans, en 1920¬-21. J’évoquerai seulement un épisode bien connu : ces foules de paysans, armés de bâtons et de fourches, qui ont marché sur Tanbov, au son des cloches des églises avoisinantes, pour être fauchés par des mitrailleuses.
Le soulèvement de Tanbov s’est maintenu pendant onze mois, bien que les communistes, en le réprimant, aient employé des chars d’assaut, des trains blindés, des avions, aient pris en otages les familles des révoltés et aient été à deux doigts d’utiliser des gaz toxiques. Nous avons connu aussi une résistance farouche au bolchévisme chez les Cosaques de l’Oural, du Don, étouffés dans les torrents de sang. Un véritable génocide.
En inaugurant aujourd’hui le mémorial de votre héroïque Vendée, ma vue se dédouble. Je vois en pensée les monuments qui vont être érigés un jour en Russie, témoins de notre résistance russe aux déferlements de la horde communiste. Nous avons traversé ensemble avec vous le XXe siècle. De part en part un siècle de terreur, effroyable couronnement de ce progrès auquel on avait tant rêvé au XVIIIe siècle. Aujourd’hui, je le pense, les Français seront de plus en plus nombreux à mieux comprendre, à mieux estimer, à garder avec fierté dans leur mémoire la résistance et le sacrifice de la Vendée.
Alexandre Soljenitsyne
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