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Silere non possum

Le livre Des profondeurs de nos cœurs a suscité, avant même sa parution, une bien curieuse polémique. Certains se plaisent à voir en Benoît XVI un frondeur désireux d’en découdre avec son successeur. D’autres pensent qu’une telle publication n’est pas opportune, car le pape émérite romprait avec le devoir de réserve qu’il s’était astreint en quittant le Siège de Pierre. D’autres enfin dénoncent ce qui romprait l’unité de l’Église, où des voix discordantes s’en prennent au Pontife Romain. Ces trois opinions, résumées ainsi par commodité, trouvent leur racine dans un mal désormais universel : l’opinion contradictoire, quelle qu’elle soit, équivaudrait à une preuve d’hostilité, voire une agression. Nous sommes devenus incapables d’entendre une pensée qui diffère de la nôtre, et cela, de manière collective. Mon propos n’est pas de faire une analyse approfondie de ce problème, car j’en serais bien incapable. Certains points cependant peuvent être mis en évidence.

Tout d’abord, nous faisons souvent la confusion, de nos jours, entre ce qu’une personne produit, dit ou fait, et la personne elle-même. S’il est vrai que nos actes, dans une certaine mesure, nous définissent, il ne faut pas oublier que nous ne sommes pas réductibles à un propos ou à un comportement. Les accusations sorties tout droit de la cage aux phobes ou autres cris d’orfraie devant chaque propos jugé offensant témoignent de cette incapacité à comprendre que l’on puisse désapprouver une production artistique, un comportement moral ou une idée sans pour autant éprouver une quelconque haine à l’égard de qui en est l’auteur.

Ensuite, et cela touche de plus près notre propos, au nom de quoi une opinion contradictoire serait-elle une agression ? Le débat public contemporain témoigne d’une allergie collective à la pensée d’autrui, une incapacité totale à accepter des arguments contraires, et donc la tendance plus ou moins générale à jeter l’anathème sur toute pensée contraire à la nôtre que nous jugeons donc hostile. Ce problème n’est pas seulement celui des journalistes ou des militants politiques, car ils ne constituent peut-être que la partie émergée de l’iceberg. Il suffit d’entendre les débats politiques, les conversations autour des élections municipales ou même des sujets fort innocents pour s’apercevoir que cette incapacité à écouter l’opinion contraire est quasi universelle. Les manifestations hostiles aux rassemblements d’Alliance Vita, le 14 janvier dernier à Rennes, pour se convaincre de l’étrange vision de la liberté d’expression par ces groupes LGBT radicaux témoignent de cet état sinistre du débat public dans notre pays. Entre catholiques également nous savons fort bien jouer ce petit jeu, avec peut-être d’autant plus de malice que nous prétendons le faire « dans la charité ». En faisant un rapide examen de conscience, je défie quiconque de prétendre qu’il n’ait jamais eu ce « réflexe ». Et je l’en félicite si cela se démontre. Ce comportement pose un grave problème, car il interdit un échange sain sur toute forme de sujet, et anesthésie toute réflexion. Sur la question épineuse du célibat des prêtres, il me semble pour le moins curieux de rejeter d’un revers de main une contribution sans doute parmi les plus fines, pour un vague motif de forme. La contribution du pape Benoît, même si elle se revêt d’une certaine autorité, n’est pas à prendre tant comme une attaque que comme un argumentaire destiné à rappeler au monde la grandeur du célibat sacerdotal. Qui y trouve une attaque ou une provocation ne comprend pas comment a toujours fonctionné le débat théologique dans la sainte Église. Ayons plutôt la simplicité d’étudier ce qui a été dit, et de partir du texte, et non pas des préjugés journalistiques, pour juger cette intervention.

Ce que cette frilosité à la pensée d’autrui semble révéler, ce n’est pas tant une grande fermeté de conviction qu’une forme d’insécurité, voire peut-être même d’une idéologie qui préfère camper sur ses position que de risquer la confrontation. L’histoire intellectuelle de l’Église nous démontre que c’est précisément au XIIIe siècle, au moment des grandes disputes scholastiques, que la théologie, armée par la raison et solidement ancrée sur la Parole de Dieu, sut produire l’excellent saint Thomas d’Aquin. Au vu de l’état actuel de la vie de la pensée, nous pouvons à bon droit craindre le pire pour les années à venir, lorsque les derniers géants du siècle dernier seront morts.

Enfin, beaucoup sont allés un peu vite en besogne en estimant que ce livre serait une attaque contre le Pape François. Comme si le Pontife Romain avait exprimé son désir de remettre en cause le célibat sacerdotal. Quelques petites phrases dont raffolent des journalistes avides de nouveautés ne laissent en rien présager d’une quelconque velléité de renoncer à cette discipline ecclésiastique dont Benoît XVI nous montre que même si elle ne remonte dans sa forme actuelle qu’à la réforme grégorienne, son principe et la volonté de l’appliquer remonte à l’époque apostolique elle-même.

Sachons donc accorder au génial théologien Ratzinger une bienveillance à la hauteur de son argumentaire, plutôt que de nous baser sur notre allergie contemporaine à l’opinion contradictoire pour formuler un quelconque jugement.

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