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Pour en finir avec la messe-ballons


L’élection de notre Pape François a donné au monde entier l’occasion de redécouvrir la splendeur des rites de l’Église Catholique, ce qui a provoqué bien évidemment plusieurs réactions assez banales dignes d’une conversation de comptoir. Et l’on a vu tel plumitif ânonner des « quand l’Église abandonnera-t-elle ses fastes ? » et des « cérémonies d’un autre âge » tandis que telle importante invitée y allait de son « prier pour les pauvres depuis une basilique en or, franchement… ». C’est sûr qu’en ce moment où même les ministres exhibent leurs vieilles bicyclettes et leurs 4L aux yeux envieux du peuple, un calice en or fait un peu tache. Il s’est tout de même trouvé deux ou trois journalistes pour avancer un judicieux bien que maladroit « on sait que si l’Eglise est aussi télégénique, c’est grâce à cette pompe caractéristique … » Mon ami, tu y es presque. Cette pompe, ça s’appelle la li-tur-gie. Liturgie. Répète après moi. Et maintenant je vais t’expliquer ce que c’est et tu vas comprendre pourquoi l’Église ne cèdera jamais au honteux relativisme qui l’a assaillie ces dernières décennies.

La liturgie a été conçue de tout temps pour les pauvres et les petits, car elle était le seul moyen pour eux de toucher le ciel du doigt : on a donc construit, admirablement, en quelques siècles à peine, une célébration un tant soit peu uniformisée des Saints Mystères. La liturgie nous fait rentrer dans quelque chose qui nous dépasse, un vaste mouvement cosmique qui rend gloire à Dieu. Si elle s’abandonne complètement, malgré sa facture bien trop humaine, elle parviendra à nous faire goûter les célestes sommets où le Ciel et la Terre se rejoignent. Tout dans les églises contribue à nous faire voir le Ciel : les médiévaux ont construit leurs cathédrales selon l’idée commune que les gens se faisaient du paradis, et ont offert des splendeurs sans pareil à l’Europe tout entière. Des moines sans formation musicale ont composé des hymnes divines qui ont tenu par la main pendant des siècles nos compositeurs de musique classique. Des artisans ont mis leurs mains au service de Dieu pour parer ses ministres des plus beaux ornements, afin que, lors du Saint Sacrifice, ils nous fassent entrevoir la beauté parfaite qui nous attend.

Qui êtes-vous, ennemis invisibles de l’Eglise, pour avoir saccagé ce trésor millénaire ? Qui êtes-vous, barbares inconséquents, pour vous être crânement assis sur l’héritage que tant de gens ont mis tant d’années à vous construire ? Je me le demande tous les jours.
Si nos églises sont vides, il n’y a pas à chercher loin. Si les gens ne viennent plus à la messe, il faut se poser les bonnes questions. Qu’avons-nous fait à notre rite ? Quel cerveau malade a imaginé qu’au sortir de Vatican II, et de ce formidable appel universel à la sainteté qu’il a poussé au milieu du siècle précédent, le monde allait de nouveau venir à l’Église si on la privait de son passé ?

Car cela n’a pas manqué, et l’on a vu des troupes hideuses envahir nos églises. Le concile souhaitait ouvrir davantage l’usage des langues vernaculaires pour que la liturgie favorise un plus grand amour de la Parole ? Qu’à cela ne tienne, on s’est empressé de tout dire en français, et pour faire bonne mesure, on a truffé nos célébrations d’improvisations pathétiques, forcé les prêtres à inventer des prières eucharistiques, à bafouiller des platitudes en rajout à des oraisons si finement ciselées, et pour bien achever les choses, on a trouvé qu’il serait réellement intéressant de transformer et réarranger les traductions pour qu’elles soient plus conformes à ce que nous souhaitions.

Tout prétexte étant bon pour mettre le bazar, on a monté en épingle une pauvre expression de "participation active", et on lui a fait dire des horreurs. Terminée la messe recueillie, fidèles pénétrés du sens de l’indicible sacrifice qui se déroulait devant leurs yeux, il a fallu monter sur les planches, agiter des foulards, partager l’Évangile en petits groupes pour une synthèse finale de l’animateur liturgique (id est le prêtre), faire des rondes autour de l’autel, et pour finir se fourrer dans le chœur pour le Notre Père, parce qu’en tenant la main des uns et des autres autour du célébrant c’est quand même mieux. Peu importait si c’était moche, vulgaire, hérétique parfois, on eût dit que deux mille ans de Tradition avaient été effacés de la mémoire des gens.

S’insinua également une hideuse idéologie dans la liturgie : le Christ s’étant fait pauvre, il fallait lui offrir ce que nous avions de plus pauvre. Puissante théologie, qui fit des merveilles. Déboulèrent alors des calices en terre cuite, aux informes dessins de poissons bleus, les calices en bois, qui n’auraient pas déparé dans une auberge, les autels qui ressemblaient à des meubles de salle de bains (lesquels parent toujours nos églises, puisque personne ne s’y intéresse plus), les ornements liturgiques en tergal flottant, ou même des messes célébrées en civil. Tout ceci en rejet des ors et des « pompes » qui depuis toujours attiraient le regard vers une beauté que nous ne voyions pas.

Enfin on crut bon, pour couronner le tout, de confier la liturgie, si magnifiquement organisée depuis des siècles, à l’arbitraire d’une multitude d’EAP, Équipes d’Animation Pastorales, qui s’empressèrent de faire passer leur mauvais goût avant tout et programmèrent l’Eucharistie comme on programme un spectacle de cirque. On renvoya séance tenante les chorales, qui, manifestant un archaïsme profond et réactionnaire, refusaient de comprendre qu’un cantique sur l’air de "Quand trois poules vont au champ" c’était tout de même mieux parce que c’était plus simple pour que les gens reviennent à la messe. On créa des unités de "laïcs engagés" pour remplacer les prêtres qui se raréfiaient, qui pour fleurir une minuscule église, qui pour inventer des rituels "d’eucharistie d’au-revoir", nom savant de la Messe Requiem, qui pour décorer l’église des affreux dessins des enfants du catéchisme. Il va de soi que ces postes prestigieux furent envahis de mamies en manque d’affection, qui, trop ravies de détenir une partie du "pouvoir" d’un prêtre sans les contraintes qui s’y appliquaient, en profitèrent pour se faire admirer en posant la quête au bas de l’autel en plastique, à grands renforts de gestes faussement solennels.

Les gens, souhaitant soudain qu’on fasse plus attention à eux, se prirent à imaginer que la messe était un dialogue et qu’il convenait mieux que le prêtre, pour manifester cela plus clairement, se tourne systématiquement vers le peuple. Pour faire bonne mesure, on retira tout ce qui pouvait bloquer la vue et empêcher une si heureuse autocélébration, et l’on enleva la croix de l’autel. Il n’était pas juste, en effet, que les fidèles soient privés des coups d’œil bienveillants du Père Machin cherchant à savoir si untel était bien là aujourd’hui. Ainsi, revêtu de son informe poncho en lieu et place de chasuble, le prêtre pouvait enfin dialoguer. Il en est Un qui, par son silence profond et divin, s’est sans doute fait oublier au milieu de ces verbiages sans fin que l’on a connus dans nos paroisses. Qu’à cela ne tienne, les fidèles se disaient satisfaits et favorables, d’autant plus qu’ils comprenaient mieux ce qui se disait.

Alors que le Concile n’avait fait que redire et rénover la beauté du rite, pour le rendre plus directement visible aux yeux des hommes, on s’est amusé à le transformer en ritournelle, en spectacle, en prétexte à se masser le nombril, à chanter des platitudes, mettre des refrains dans le Gloria, se faire des bisous au geste de paix, bref, transformer la messe en biennale. Et les résultats ne se sont pas fait attendre. Les gens, ne voyant plus Dieu dans ce qu’on leur donnait, ont cru qu’Il n’existait plus.

Alors, par pitié, va-t-on enfin se ressaisir ?

Ascalon

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