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Tout commença par quelques tribunes dans des journaux et sites en vue. Elles suscitèrent au départ railleries et haussements d’épaules. Puis se constituèrent, en particulier sur les campus universitaires, des communautés désirant de partager des expériences et des parcours communs. On en vint à la revendication militante, à l’irruption sur la scène publique et, à terme, au débat parlementaire.
« Polyamour », c’était la formule bien lisse qu’un cabinet de marketing avait préparée en vue de la rédaction du projet de loi légalisant le mariage à plusieurs. « Polygamie », c’était trop religieux, et surtout trop patriarcal ; quant au « trouple », ce terme circulait dans les milieux urbains de la capitale, en guise de boutade complice. Il fallait une expression plus neutre, et en même temps plus solennelle, plus noble : républicaine, finalement.
C’était un obscur point dans un programme présidentiel, ajouté dans la précipitation sur le coin d’une bonne table de Corrèze, qui avait le mérite de faire moderne tout en ne coûtant pas un sou. L’idée avait été imposée par une pseudo-élite, à la fois sûre d’elle-même et insatiable. Certains de ses membres avaient déjà annoncé la couleur, quelques années plus tôt, tel le juriste médiatique Daniel Borrillo, lors d’une conférence sur « l’égalité des droits » à Sciences Po, en décembre 2012 : « Le mariage doit devenir un contrat, sans restriction du nombre de parties ».
« La France est en retard », commença-t-on à dire. Les Pays-Bas, pionniers dans de nombreux domaines, avaient été les premiers à sauter le pas, en légalisant le mariage à trois. Le Brésil s’y était essayé dans certains de ses Etats. Le Canada et le Royaume-Uni avaient suivi, arguant des exigences liés au multiculturalisme : puisque les communautés immigrées avaient le droit de garder leurs coutumes, il fallait que celles-ci et les autres citoyens qui le demandaient aient accès à la polygamie. Au Canada, il y avait pourtant un obstacle avec l’arrêt Hyde vs. Hyde de 1866, qui établissait pour le pays une définition claire du mariage. Cette affaire d’un mormon polygame avait fait dire à Lord Penzance, plus haute autorité juridique de l’époque : « Je ne reconnais comme mariage que ce qui est défini par la Chrétienté, à savoir l’union volontaire pour la vie d’un homme et d’une femme ». Mais la Cour suprême fédérale ayant déjà changé cette définition pour permettre la légalisation du mariage gay, compte tenu des exigences démocratiques et égalitaires de la Constitution, le précédent fit force de loi.
Les différents ministres du gouvernement français furent interrogés sur ce dossier : « Il faut être pragmatique, déclara l’un d’eux. Hier, la demande sociale concernait le mariage et l’adoption pour les homos. Aujourd’hui, la demande sociale est de légaliser le mariage à plusieurs, il est donc du devoir de l’Etat d’y répondre. » Une autre, promue lors du précédent mandat et plus connue sous le nom de « Miss PMA », répondit lors de la visite d’un collège : « Pour moi, tous les modèles se valent, et doivent être équitablement traités par la loi. C’est l’évolution de la société ! »
Les auditions parlementaires avaient été expédiées à la va-vite. Une brochette de philosophes et sociologues de salon avait dit tout le mal qu’ils pensaient que la « famille bourgeoise hétéronormée », et tout le bien constaté dans les pratiques de civilisations antérieures et étrangères. Un professeur de la Sorbonne, François de Lunéville, avait pourtant pointé dans un exposé brillant que le mariage à deux était une construction humaine, qui s’inscrivait dans une logique de progrès : longtemps, la polygamie avait prévalu partout. Certains patriarches hébreux avaient eu plusieurs femmes, rappelait-il, pour relativiser les « tabous judéo-chrétiens ». Si le mariage à deux s’était imposé au fil du temps, et contre les passions et les turpitudes sexuelles de l’humanité, c’est parce qu’on avait jugé bon et sain que les générations se perpétuent dans ce cadre.
En face de lui, un vieux parlementaire moustachu et ventripotent fit part de sa désapprobation : « Votre conception de l’Histoire, c’est la vôtre. Nous avons la nôtre, et c’est celle-là qui prime : l’Histoire s’écrit par les vainqueurs… »
Le texte arriva dans une Assemblée nationale particulièrement agitée, et le propre de l’agitation est qu’elle ne mène à rien. L’opposition, molle et prostrée, n’avait dans son sac qu’un subterfuge : élargir le PACS, non-abrogé malgré la légalisation du mariage pour tous en 2013, en une « communauté de vie ».
Les débats parlementaires furent donc pompeux et puérils. Un député des Yvelines fit remarquer avec malice que « la polygamie est largement pratiquée par les membres de cette Assemblée, sans qu’aucun n’ait jugé bon de la légaliser jusqu’à présent ». De l’autre côté de l’hémicycle, un député de Nantes affirma que le « polyamour » était une réalité depuis que le divorce existe : seulement, les gens ne s’unissent pas en même temps. « Pourquoi donc attendre ? »
Alors que les « ténors » - détestable expression journalistique désignant les personnalités en vue du moment – de l’opposition étaient aux abonnés absents, quelques chevau-légers isolés se démenaient pour argumenter contre le projet de loi. Un député breton tenta l’humour, en citant Alphonse Allais : « Un amant, c’est de l’amour. Deux amants, c’est du tempérament. Trois amants, c’est du commerce ». Un autre, député du Vaucluse et professeur à l’ENS à ses heures, évoqua Napoléon : « L’amour est une sottise faite à deux ! » Parmi les francs-tireurs de l’opposition, un député tout juste élu évoqua une anecdote qu’il avait vécue dans sa jeunesse, à Jérusalem. Un ouvrier palestinien lui avait confié, à l’ombre d’un olivier : « Dans l’Islam, nous avons le droit à quatre femmes ! Mais je n’ai qu’un cœur… Je dois donc ne choisir qu’une seule épouse pour ma vie ». L’argument fit mouche sur YouTube, mais la majorité resta silencieuse. Ayant tiré les leçons de la démographie, les députés qui soutenaient le projet de loi le faisaient autant, sinon plus, pour les électeurs musulmans de leur parti que pour la petite caste échangiste et libertaire parisienne.
L’émotionnel triompha sur la raison. Une députée de Paris monta à la tribune : « Je vis avec ma femme et sa sœur. Nous sommes heureuses toutes les trois, nous voulons être reconnues. La République ne peut pas rester sourde à notre souffrance ! » Tonnerres d’applaudissements. Une ministre osa lancer en direction de Jean-Frédéric Truite, député de Rambouillet : « Comment les catholiques de votre circonscription peuvent-ils vénérer trois personnes qui s’aiment, la Trinité, et rejeter le polyamour ? Le Christ avait bien deux pères et une mère ! » L’intéressé fit la moue, et rappela benoîtement que la même ministre avait jadis dénoncé l’odieux amalgame entre le mariage gay et le mariage à plusieurs, alors que les arguments avancés étaient sensiblement identiques. « C’est un honte de reprendre des propos que j’ai tenu il y a plusieurs années ! », vociféra-t-elle.
Trois cent heures de débats parasités par la guérilla parlementaire plus tard, les échanges touchaient à leur fin. Un député de Martinique, qui chantait tous les dimanches matins à la chorale de sa paroisse, et siégeant à l’extrême-gauche de l’hémicycle, eut l’honneur de les clôturer, en délivrant un réquisitoire poignant contre le texte : « Pourquoi s’acharner à détruire la famille, cellule de base de la société ? Pourquoi continuer à poursuivre des chimères, alors que l’urgence est ailleurs ? Pourquoi infliger à la France une telle mesure, qui remet en cause les bases de notre civilisation ? Les habitants des Antilles savent bien ce que le mariage à plusieurs rappelle : les maîtres blancs qui allaient se servir parmi leurs esclaves pour satisfaire leurs appétits ! »
Lors du vote solennel, le député-maire Solstice Monparent demanda la parole en premier. Ce vieux briscard ne voulait pas qu’on lui vole davantage la vedette. Quelques années plus tôt, il avait marié dans l’illégalité un couple composé d’une femme et deux hommes. Il s’était attiré l’opprobre des uns, les félicitations des autres, et surtout la publicité. « Ce jour n’est pas un jour historique, commença-t-il avec emphase. D’une part, il ne fait que rattraper le retard de la France sur les autres pays, et d’autre part, il a permis le spectacle d’un sectarisme conservateur qu’on croyait ne plus avoir à subir ! Ce sont les mêmes arguments ressassés depuis le vote des femmes, l’IVG, la peine de mort, le PACS, le mariage pour tous… Honte à vous, Messieurs de l’opposition ! »
Nicolas Desbois, jeune requin aux mains sales, passé des rangs de l’UNEF aux bancs des députés, prit la parole au nom de son groupe : « Le PACS fut la victoire de la Liberté. Le mariage pour tous fut celle de l’Egalité. Aujourd’hui, c’est le triomphe de la Fraternité : de la fraternité sexuelle, qui permet à tous les individus, quels que soient leurs orientations de s’épanouir pleinement, de jouir de leurs corps, et de leurs droits républicains. »
La loi ne fut jamais votée. Les députés ne s’en rendaient pas compte, mais cela faisait longtemps qu’ils légiféraient dans le vide. Déconnectés, ils l’étaient pour ignorer les tréfonds de l’âme du peuple français. Ce dernier avait changé. De même qu’on ne voit pas un arbre qui pousse, ou un paysage se modifier, les élites et leurs annexes partisanes n’avaient pas soupçonné qu’un jour, un « stop » puisse jaillir de la conscience populaire.
Ce sursaut avait été initié, quelques années auparavant, par une ivresse collective qui s’était muée, peu à peu, en force de conviction. Une génération généreuse et ardente s’était progressivement disciplinée et organisée, porteuse d’un message qui la dépassait. Minorité active, elle avait gagné les cœurs et les esprits, et avait réanimé la Belle au bois dormant qui somnolait.
La France se réveilla, et fut refleurie.
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