L’infolettre du R&N revient bientôt dans vos électroboîtes.

Lorsque Traditionis Custodes affirme s’appuyer sur l’esprit de réforme liturgique de Pie XII

Si je rencontrais un prêtre et le peuple de Dieu, je saluerais le prêtre avant de saluer le peuple de Dieu.

Traditionis Custodes continue de défrayer la chronique et nombre de bons papiers constituent comme un bel et rassurant écho à la bulle Quo primum tempore du pape saint Pie V, structurante plus que créatrice du rite tridentin. À moins d’avoir manqué de vigilance, je n’ai cependant pas l’impression que quiconque se soit étonné de voir Pie XII cité dans deux paragraphes de la lettre d’accompagnement du motu proprio adressé aux évêques ? Il ne manque quasiment qu’un « In illo tempore  » dans ces écrits de l’actuelle Rome pour asséner avec aplomb des arguments qui feraient passer le nouvel ordo missae pour l’aboutissement naturel de la pensée et de l’action de Pie XII... Et pourtant, si techniquement Jean XXIII fut le dernier pape à avoir utilisé exclusivement le rite tridentin, Pie XII le « Pasteur angélique » reste aux yeux et surtout aux cœurs et aux esprits des « tradis » comme la quasi-dernière figure tutélaire de cette liturgie multiséculaire. N’y a-t-il pas matière à une réaction, curieusement absente ?

Reprenons ce que le Pape François écrivit à l’été 2021 : « Le Concile Vatican II lui-même éclaire le sens du choix de revoir la concession permise par mes prédécesseurs. Parmi les vœux que les évêques ont indiqué avec le plus d’insistance, émerge celui de la participation pleine, consciente et active de tout le Peuple de Dieu à la liturgie, dans la ligne de ce qui a déjà été affirmé par Pie XII dans l’encyclique Mediator Dei sur la renouveau de la liturgie. ».

J’ai donc lu à mon tour Mediator Dei, encyclique « sur la liturgie et le culte eucharistique » publiée le 20 novembre 1947. Son auteur y relève certes une « participation aux sacrements plus large et plus fréquente ». Si cette participation s’inscrit bien dans l’épure du réveil des études liturgiques démarré depuis la fin du XIXe siècle, elle s’orne de plusieurs garde-fous. Il importe de les rappeler pour mieux cerner la lettre rigoureuse et surtout l’esprit méthodique de Mediator Dei, et ainsi donc de tempérer les éventuelles ardeurs ou interprétations de ceux qui ont rédigé pour le Pape François le motu proprio et sa lettre d’accompagnement : « Vous voyez, déjà du temps de Pie XII ! ». Quels sont ces garde-fous ? Dans une perspective de sanctification, ils relèvent de la juste place et du besoin de s’instruire des fidèles, du peuple de Dieu.

La juste place, qui est une participation et non un pouvoir sacerdotal. « Le peuple chrétien a le devoir de participer, à sa juste place, aux rites liturgiques », et un peu plus loin « Ce sacerdoce n’émane pas non plus de la communauté chrétienne et il n’est pas une délégation du peuple. […] Le prêtre est l’envoyé du divin Rédempteur, et parce que Jésus-Christ est la tête de ce corps dont les chrétiens sont les membres, il représente Dieu auprès du peuple dont il a la charge. ». La suite est sans appel : « Quand le prêtre d’approche de l’autel, c’est donc en tant que ministre du Christ, inférieur au Christ, mais supérieur au peuple. Le peuple, au contraire, ne jouant nullement le rôle du divin Rédempteur, et n’étant pas conciliateur entre lui-même et Dieu, ne peut en aucune manière jouir du droit sacerdotal. ». Pour un peu, la participation pleine, consciente et active de tout le Peuple de Dieu à la liturgie a failli être totale sous la plume -ou le clavier- des rédacteurs.…

Le besoin de s’instruire

« Le Siège apostolique [doit apporter] un soin diligent pour que le peuple [ …] fût éduqué à un sens liturgique à la fois juste et actif ». Pie XII propose un exemple très riche à propos de l’offertoire : « C’est pourquoi il convient que le peuple chrétien cherche avec amour en quel sens il est dit dans le canon du sacrifice eucharistique qu’il offre lui aussi. ». Le lecteur se passionnera pour le magnifique exposé sur le sacrifice de la Messe dont le Christ est le Souverain prêtre, et sur l’articulation de la participation des fidèles en tant qu’ils offrent le sacrifice eucharistique avec le prêtre, et en tant qu’ils doivent s’offrir eux-mêmes comme victimes. Notre propos n’est toutefois pas de rentrer dans ce débat, mais de « challenger » ce que l’on a voulu faire dire à Pie XII au regard de ce qu’il écrivit, précisément. La participation à laquelle le peuple est invitée se résume désormais souvent à une procession multicolore, musicale, périphérique du pain et du vin au travers de divers autres offrandes, alors que l’appel profond de notre participation s’inscrit en fait dans un tout autre ordre !

Très objectivement, où se situe l’herméneutique de la continuité entre les écrits pontificaux de 1947 et ceux de 2021 ? Il serait loisible de citer les mises en garde de Pie XII sur l’usage des langues vernaculaires ou encore changement de sens de l’autel, et de les opposer aux choix du Concile. Plutôt que de polémiquer, ne s’agirait-il pas plutôt pour toute personne de bonne volonté qui a des envies de lire lors de la Liturgie de la parole, de créer des intentions de prière universelle, de distribuer la communion, de témoigner, d’aller et venir dans le chœur, d’intervenir lors de diverses excentricités, etc. … eh bien de prier le Bon Dieu, de lire le Missel Romain dont le Pape fait la promotion, de participer aux Vêpres notamment du dimanche, ou encore de pratiquer d’autres actes de piété ? Et surtout de relire ces propos du saint Curé d’Ars, qui ont la charité de ne pas remettre à une autre place l’assistance, les fidèles, le peuple de Dieu, la communauté paroissiale ou que sais-je, mais de l’inviter à se mettre à la suite du Bon Pasteur : « Qu’est-ce que le prêtre ? Un homme qui tient la place de Dieu. Un homme qui est revêtu de tous les pouvoirs de Dieu […]. Voyez la puissance du prêtre. La langue d’un prêtre d’un morceau de pain fait un Dieu. C’est plus que de créer le monde. Si je rencontrais un prêtre et un ange, je saluerais le prêtre avant de saluer l’ange. ». Lorsque je relis ces formules lapidaires et si puissantes, je -sujet du peuple de Dieu- ne regarde plus un prêtre de la même façon.

Le second passage de la documentation Traditionis Custodes faisant référence à Pie XII indique que « le travail d’adaptation du Missel Romain avait déjà été commencé par [lui] ». Il se trouve que je suis la messe dans un missel édité en 1947, tandis que mon épouse utilise un missel publié par les moines du Barroux. Les notices explicatives, sans aucun doute ordonnées à l’édification du peuple chrétien, se révèlent bien souvent riches d’informations. Comparant l’ordinaire de la Messe, je ne trouve guère que l’autorisation donnée aux fidèles par Pie XII de réciter le Pater en entier avec le prêtre… Gros enjeu d’une participation pleine, consciente et active de tout le Peuple de Dieu à la liturgie.

Bref, il est étonnant de constater l’aplomb avec lequel le lecteur de Traditionis Custodes est invité à faire le grand écart spirituel avec Pie XII… Au cœur de Mediator Dei, goûtons tout de même ce condensé magnifique : « Si variées que puissent être les formes et les particularités de la participation du peuple au sacrifice eucharistique et aux autres actions liturgiques, on doit toujours faire les plus grands efforts pour que les âmes des assistants s’unissent au divin Rédempteur par des liens les plus étroits possibles, pour que leur vie s’enrichisse d’une sainteté toujours plus grande et que croisse chaque jour davantage la gloire du Père céleste. ».

Prolongez la discussion

Le R&N a besoin de vous !
ContribuerFaire un don

Le R&N

Le Rouge & le Noir est un site internet d’information, de réflexion et d’analyse. Son identité est fondamentalement catholique. Il n’est point la voix officielle de l’Église, ni même un représentant de l’Église ou de son clergé. Les auteurs n’engagent que leur propre conscience. En revanche, cette gazette-en-ligne se veut dans l’Église. Son universalité ne se dément point car elle admet en son sein les diverses « tendances » qui sont en communion avec l’évêque de Rome : depuis les modérés de La Croix jusqu’aux traditionalistes intransigeants.

© 2011-2024 Le Rouge & le Noir v. 3.0, tous droits réservés.
Plan du siteContactRSS 2.0