Les emballements de la toile

Je n’ai pas cliqué sur le bouton « j’aime » de la page Facebook de soutien au bijoutier de Nice (). Je suis par ailleurs gêné par son succès : créée le 11 septembre, elle compte plus de 852 000 soutiens à l’heure où j’écris (ou 872 448 si le « k » facebook vaut 1024 comme en informatique). C’est beaucoup. C’est peut-être trop. Mais je ne juge pas ceux qui cliquent, ni pourquoi ils cliquent.

Il ne s’agit bien sûr pas de ma part d’un soutien implicite de quelque nature aux braqueurs de toutes obédiences. La société ne peut pas accepter ces agissements et doit les empêcher, et, quand elle n’y parvient pas, les punir, et ensuite empêcher qu’ils se reproduisent.

Mais à l’origine du pacte social, comme l’une de ses fondations les plus essentielles, il y a le remplacement de la vengeance privée par une justice commune. Certes une justice « des hommes », imparfaite, qui n’a rien à voir avec la justice de Dieu. Le bijoutier, qui n’était plus menacé, n’a pas voulu de cette justice commune, il s’est fait juge et bourreau lui-même, il a condamné à une peine de mort « privée » pour un vol avec violence. Je ne le juge pas, mais les faits sont ce qu’ils sont : Dans la colère, une personne aimée de Dieu a tué une autre personne aimée de Dieu. J’espère que la justice des hommes saura lui donner un procès équitable.

La chaîne police-justice-prison ne fonctionne pas ou si mal ou plus du tout suivant les opinions. Personne – sauf peut-être les malfrats - n’est heureux de cette faillite, et ce constat n’est pas conjoncturel. Cette situation n’est pas plus imputable à un gouvernement plutôt qu’à un autre : c’est une tendance de fonds durable. Toutes les parties prenantes trouvent un bouc émissaire facile pour faire porter la responsabilité de tout ou partie du désastre sur le voisin, et je pense que bon nombre de ces acteurs sont sincères. Cela ne veut pas dire qu’ils aient tous, toujours raison.

Le message comme quoi cette chaîne police-justice-prison ne fonctionne pas doit trouver d’autres formes, d’autres occurrences. L’exaspération légitime des citoyens ne doit pas se cristalliser sur un fait divers « douteux », même si c’est la meilleure caisse de résonance aujourd’hui … Ces enjeux méritent mieux que ça.

Je pense que bon nombre de citoyens se plaignent, à raison, du délitement actuel du pacte social, et moi aussi. C’est un des sens que je donne personnellement aux quelques veilles de la modeste sentinelle que je suis sur la Place Vendôme : Il faut que nous apprenions à mieux vivre ensemble. Mais ce pacte social, si défaillant qu’il soit aujourd’hui, est-ce en voulant légitimer la vengeance privée qu’il sera rétabli ? Je n’y crois pas un seul instant. Est-ce que j’ai mieux à proposer ? Pas vraiment, les solutions « des hommes » auxquelles je pense sont d’un bateau : plus d’engagement personnel politique et citoyen de chacun, une refondation de nos institutions à bout de souffle, et aussi la responsabilisation des hommes et des femmes qui sont les rouages de cette fonction essentielle du pacte social. Face à l’inertie de tous ceux et toutes celles qui s’accommodent tant bien que mal d’une situation certes déplorable mais où leur confort immédiat ne semble pas trop menacé, c’est déjà trop ambitieux. Ou pas.

Remseeks

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