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Les catholiques face au vote Macron

Si l’abstention (mais alors une abstention réfléchie, c’est-à-dire conséquence d’une réelle insatisfaction devant les deux candidats et les deux programmes en présence, et non un simple je-m’en-foutisme ou désintérêt de la politique) est une option possible, les appels à voter en faveur d’Emmanuel Macron pour « faire barrage au Front National » que lancent certains catholiques sont quant à eux difficilement audibles et bien peu cohérents.

Les qualificatifs régulièrement employés par la gauche et la droite castor pour disqualifier le Front National et Marine Le Pen (« xénophobie », « parti de la haine », « parti fascisant », « parti qui charrie la haine de l’autre », « raciste »…) et leur emploi pavlovien ne méritent que peu d’intérêt. Il convient en revanche de s’attarder sur trois points qui semblent mériter une réponse : premièrement la tentative de disqualification de Marine Le Pen par la diabolisation par association ; deuxièmement la question des positions sociétales respectives d’Emmanuel Macron et de Marine Le Pen ; troisièmement la question économique qui est souvent l’argument réel de nombre de catholiques : « préférons au moins le programme économique le moins risqué ».

La question de l’entourage des candidats et la « dédiabolisation » du Front National

Si l’argument générique selon lequel le Front National n’aurait pas changé et serait toujours aussi infréquentable qu’autrefois convainc de moins en moins les Français et les catholiques, on en observe cependant une variante assez vivace : le Front National ne serait aucunement dédiabolisé, il suffit pour s’en convaincre de voir combien sont toujours aussi infréquentables et extrêmes certains proches de Marine Le Pen et certains militants de ce parti. La cause est entendue. Le débat terminé. Et l’interlocuteur de s’empresser alors de vous exhorter à voter Macron pour « faire barrage » au Front National.

Il y a en réalité ici un grave problème qui dénote soit un manque de cohérence intellectuelle soit une franche mauvaise foi. Car s’il faut juger Marine Le Pen non sur son programme mais sur ses fréquentations et ses soutiens, alors il convient d’être cohérent et de le faire aussi pour Monsieur Macron. Que l’interlocuteur analyse alors avec autant de diligence (et de dégoût) l’entourage de celui-ci : qu’il s’agisse du soutien de l’UOIF qu’il refuse de condamner ou de Mohamed Saou ; de la présence de Cohn-Bendit (y compris en meeting, et même sur scène comme à Nantes) dont la polémique sur le Grand Bazar devrait pourtant en refroidir plus d’un, ou encore de Pierre Bergé dont les positions sur la GPA (« Louer son ventre pour faire un enfant ou louer ses bras pour travailler à l’usine, quelle différence ? »), la cause LGBT ou encore les fêtes chrétiennes (« Je suis pour la suppression intégrale de toutes les fêtes chrétiennes ») n’est franchement pas compatible avec les « valeurs catholiques ».

Les positions sociétales des deux candidats

Plutôt que de chercher à analyser les propositions et idées de l’entourage des deux candidats, examinons donc en détails les positions sociétales exprimées par les deux candidats eux-mêmes, tant dans leurs programmes respectifs que dans leurs prises de paroles publiques ces derniers mois (on pourra, pour les sources détaillées, se reporter aux études réalisées par Alliance Vita ou La Manif Pour Tous).

  • L’avortement : si aucun des deux candidats ne souhaite remettre en cause la loi Veil, on peut noter cependant que Marine Le Pen est opposée à la loi sur le « délit d’entrave numérique » tandis qu’Emmanuel Macron affirme que « contre toutes les attaques qu’il subit, nous défendrons le droit à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) ».
  • Loi Taubira : Marine Le Pen y est opposée et (c’est un point de son programme) s’est engagée à l’abroger. On peut noter que Marion Maréchal-Le Pen « se portera garante » de cette abrogation. Emmanuel Macron affirme de son coté que le mariage pour tous « est un acquis fondamental du quinquennat en cours ».
  • PMA : Marine Le Pen est opposée à toute nouvelle extension (elle n’est actuellement possible en France que pour raison médicale) tandis qu’Emmanuel Macron souhaite l’ouverture de l’accès à la PMA aux couples de femmes et aux femmes célibataires.
  • GPA : Marine Le Pen y est entièrement opposée. Emmanuel Macron y est lui aussi opposé mais est cependant favorable à la reconnaissance de GPA faites à l’étranger.
  • Genre : Marine Le Pen est opposée à toute forme d’enseignement du genre dans les établissements scolaires. Emmanuel Macron s’est engagé à défendre les droits des LGBT ainsi qu’à lutter contre les LGBTphobies, y compris à l’école.
  • Politique de la famille : Marine Le Pen souhaite supprimer le prélèvement à la source. Emmanuel Macron propose une option d’individualisation de l’impôt sur le revenu pour les couples.
  • Euthanasie : Marine Le Pen y est opposée. Emmanuel Macron n’a pas annoncé de mesures en ce sens non plus, mais a plusieurs fois émis des déclarations ambiguës à ce sujet (« moi je souhaite choisir ma fin de vie »).

Une telle analyse montre bien que contrairement à ce qui a pu être affirmé ici ou là, les positions de Marine Le Pen et d’Emmanuel Macron sur les sujets sociétaux ne sont aucunement « proches ». S’il y a peu de différence entre leurs positions respectives sur l’avortement, leurs divergences tant sur la Loi Taubira et ses conséquences que sur leur vision (y compris fiscale) de la famille sont nettes.

La question économique : le choix de l’argent avant les valeurs ?

Si le programme économique de Marine Le Pen est généralement qualifié de dangereux pour notre pays, le programme d’Emmanuel Macron n’est en réalité guère plus réjouissant : simple programme de continuité du passé, il ne propose aucune refondation réelle de l’économie ni de solution convaincante pour sortir la Zone Euro de la crise qu’elle traverse (la situation de la Grèce n’est guère réjouissante et celles de l’Italie et de l’Espagne continuent d’inquiéter, faisant craindre une possible nouvelle crise de la Zone Euro).

Il est un point sur lequel il faut appuyer, car il est bien souvent un non-dit : combien font en réalité le choix personnel de l’argent et de leur situation plutôt que celui des valeurs ? Combien parmi les catholiques aisés, y compris parmi les pratiquants, ont choisi de voter Macron pour protéger leurs économies, leur portefeuille d’actions, le montant de leur bonus, de leur intéressement/participation et autres avantages financiers divers et variés ?

Il y a quelque chose de profondément répugnant à voir des catholiques qui reconnaissent les graves problèmes que traverse la France en termes d’immigration, d’islamisme, de terrorisme, d’offensive « progressiste » (pour reprendre un terme que Macron emploie régulièrement) choisir par confort de voter Macron plutôt que Le Pen parce que « tu comprends, économiquement son programme ce n’est vraiment pas ça ».

Il y a en réalité un cynisme et un égoïsme effarants dans cette position là. Car ces catholiques aisés qui font, même si nombre d’entre eux ne le reconnaîtront pas à haute voix, le choix de Macron plutôt que Le Pen pour des raisons économiques savent bien qu’ils n’en subiront pas directement les conséquences. Leur situation aisée les mets à l’abri de la précarité de la mondialisation ; l’emplacement de leurs lieux de travail et de leurs domiciles ne les met que rarement face à l’immigration et à l’islamisation. Quand aux valeurs, y compris celles qui seront enseignées dans les écoles publiques, les établissements privés dans lesquels ils placent leurs enfants leurs évitent d’en faire directement les frais. Pourquoi alors, après tout, ne pas s’arranger un peu avec la morale et ses valeurs et préférer son compte en banque au risque de changer les choses ?

En dehors des « progrès » sociétaux, Macron est le candidat de l’immobilisme. Il ne promet rien parce ce « rien » est son projet. Il est la promesse de maintenir encore le système à l’identique quelques mois, quelques trimestres, quelques années de plus. Alors certains catholiques se rallient à lui, pour tenter de prolonger encore un peu un système dont ils reconnaissent pourtant qu’il doit changer. Ils souhaitent ne rien faire, en espérant pouvoir profiter encore quelques années de ce confort bourgeois, de leur bonne situation... L’argent vaut bien finalement cette démission de la conscience et ces petits accommodements. Oh, vous pouvez bien affirmer que ce n’est pas le cas, nombre d’entre vous savez fort bien ce qu’il en est au fond : le PEA et le PEE plutôt que l’avenir de la France et de nos enfants.

Le silence (d’une partie) de l’Église

Un dernier aspect comique (ou affligeant, c’est selon) est l’apparition dans certains médias (Le Monde, l’Obs…) mais aussi de blogs catholiques d’articles dénonçant le silence de la CEF. Car si certains évêques et prêtres n’ont pu s’empêcher de donner dans les médias des consignes de vote (l’Église castor), l’absence de consigne d’une majorité d’entre eux, CEF en tête, n’est pas du goût d’une grande partie de la classe médiatique. Nous sommes pourtant plus habitués à lire dans ces journaux des papiers reprochant à l’Église de se mêler de politique (comme lors de la loi Taubira).

C’est tout d’abord objectivement faux : la CEF n’est pas silencieuse. Elle a en effet publié le soir du premier tour un communiqué rappelant un certain nombre de valeurs, sans pourtant prendre ouvertement parti pour ou contre un candidat. Ce que lui reprochent en réalité les différents articles qui fleurissent ces derniers jours, c’est de n’avoir pas pris ouvertement parti pour un candidat (Macron) et appelé à faire barrage au Front National comme elle l’avait fait en 2002.

C’est ne pas comprendre que la situation de l’Église en 2017 est fort différente de la situation de 2002. Sans revenir sur la légitimité (ou l’absence de légitimité) de l’appel de 2002, il faut bien remarquer (et même les ecclésiastiques les plus à gauche n’ont pu manquer de l’observer) que les choses ont fortement changé : le mariage homosexuel ne faisait pas partie des engagements de campagne de Chirac, et le candidat Macron, ne comptant pas revenir sur cette loi, veut élargir l’accès à la PMA et est ambigu sur la GPA ainsi que sur l’euthanasie, points sur lesquels Marine le Pen tient une position opposée. Le programme de Macron ne compte pas non plus de mesures sociales phares sur lesquels l’Église pourrait s’appuyer. L’Église ne pourrait pas lancer un tel appel sans se ridiculiser et perdre en crédibilité.

La situation vis-à-vis de l’immigration et de l’islam a par ailleurs profondément changé entre 2002 et 2017. S’il était possible en 2002 de nier la présence de forts courants migratoires et l’implantation de l’islam en France, cela n’est désormais plus possible. La crise migratoire que traverse l’Europe, la montée de l’islamisme et le terrorisme islamique qui ont touché la France mais aussi l’Église (Saint-Étienne du Rouvray) montrent clairement que la répétition de la position de 2002 serait tout bonnement intenable.

Il faudrait enfin faire remarquer qu’une telle prise de position de la CEF serait immanquablement dénoncée par des prêtres et des évêques, et que devant le chiffre élevé des catholiques s’apprêtant à voter FN un tel appel ne serait que peu suivi d’effet, si ce n’est celui d’accroître, pour des motifs politiques, les divisions au sein de l’Église.

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