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Pour s’en être mordu les doigts par la suite, certains n’ont pas eu tort de rappeler, dans le sillage des attentats du 13 novembre, que les références satanistes du groupe qui chantait ce soir-là au Bataclan, sans être forcément suspectes d’être la cause du massacre, étaient loin d’être anodines. Quelques mois plus tôt, les Éditions du Cerf publiaient un livre d’entretien avec le père Ange Rodriguez, o.p., intitulé Expert en diablerie. Le père Ange Rodriguez, né en Espagne, à la suite de différentes charges au service de l’Église de France, a été proposé en 2003 par sa communauté pour prendre le rôle d’exorciste laissé vacant dans le diocèse de Lyon. Il a exercé ce ministère pendant dix ans, et se confie dans ce livre sur cette réalité désormais méconnue qu’est le travail d’un exorciste et sur la présence du démon dans le monde.
C’est ce qu’il dit de ce dernier point qui est, à tous les égards, la pierre d’angle de cet ouvrage. À travers ses expériences, le père Ange Rodriguez a pu observer à quel point le démon est présent parmi nous ; la seule différence d’avec les siècles qui ont précédé, c’est que contrairement à nos ancêtres, nous ne voulons plus nous en rendre compte. Contrairement à ce que peut laisser entendre une certaine version romancée de la Genèse, le démon, arrêté par un ordre de l’archange Michel dans son ascension vers le trône céleste, et foudroyé par l’amour divin, n’est pas parti construire un « enfer » dans lequel il attendrait pour toute l’éternité que les âmes des damnés tombent en son pouvoir. L’enfer, dans la théologie chrétienne, c’est l’éloignement de Dieu qui est Vie, et c’est le démon qui, depuis l’aurore des siècles, habite cette absence de vie.
Ainsi, c’est chacune de nos fautes, chacun de nos péchés, qui ravit le démon, parce que, n’étant jamais tentés au-delà de nos forces, selon la volonté de Notre Seigneur, chaque fois que nous cédons à la tentation, nous refusons Dieu dans notre vie et donnons de l’emprise sur nous au démon. C’est ce fait, qui pourrait surprendre dans un livre consacré à l’exorcisme, qui traverse l’ouvrage de part en part : de la même manière que le péché originel est venu de la tentation du serpent, tous nos péchés nous ont été inspirés par le démon, qui nous regarde depuis que nous existons et ne cesse de chercher à nous faire tomber.
Une fois que l’on a accepté cet état de fait, ce qui manque bien sûr cruellement à un âge où tout est médiocrement résumé à une vague moraline abstraite de tout amour de Dieu, il n’est pas difficile de comprendre les nombreuses mises en garde que fait le Père Ange Rodriguez au sujet des références de la société moderne au diable. Le diable, comme il est démontré plus haut sans aucune équivoque, vit autour de nous : comme les anges, dont il n’est que la version caricaturale, il est un être spirituel qui n’ignore rien de ce qui est en nous. Aussi, pour s’en protéger, le croyant doit-il avoir soin de « fermer sa porte ». Car si le Seigneur ne nous laisse pas être soumis au-dessus de notre résistance au diable (le moindre des anges détruirait le monde), donner sur soi une emprise au Malin est toujours suivi d’effet. Ce contre quoi met plus précisément en garde le Père Ange Rodriguez, c’est le phénomène de l’adoption du diable dans son univers mental et affectif, devenu courant parmi la jeunesse.
Dans une société qui nie le diable en même temps que toute réalité spirituelle, afficher des pentagrammes inversés, les cornes du bouc, ou encore des représentations qui blasphèment la figure du Christ ou de ses prêtres (car le blasphème des choses saintes est l’apanage du diable depuis le commencement) revient avant tout à une forme de provocation (au demeurant bien désuète et inutile) ou d’affirmation de sa personnalité (dans un genre « ésotérique » ou « mystérieux »). Et pourtant, dans la réalité spirituelle du monde en proie aux attaques démoniaques, s’affubler de telles images ou s’en entourer n’est rien moins qu’une invitation claire faite au Malin à venir s’installer dans notre vie. Le grand drame de cet âge est de chercher « les fleurs du mal », de la beauté dans ce qui est sombre et dangereux, et cet engouement est responsable de bien des tragédies personnelles.
Dans le même sens, le Père Ange Rodriguez démontre largement que les résultats de ce que l’on appelle « occultisme » ne peuvent en aucun cas surprendre le chrétien averti : les pouvoirs surnaturels conférés à des mortels qui les monnaient (notamment la voyance) ne peuvent venir que d’un démon. Certains cherchent peut-être sincèrement une réponse qui leur semble urgente en invoquant Dieu ou des anges ; cependant, Dieu n’ayant pas voulu que les hommes puissent voir au-delà du temps ou communiquer avec les esprits, l’auteur est catégorique : une telle demande, ignorée par les anges, fait la joie du démon qui s’empresse d’y répondre. Convaincu d’avoir réussi à obtenir d’un ange protecteur l’accomplissement de ses souhaits, l’occultiste commence alors à se fier à cette force surnaturelle. Une telle situation n’est pas sans rappeler les nombreux exemples de ce que la tradition ascétique orientale nomme πλανοι, l’illusion spirituelle, dans laquelle un homme croit parler avec les anges, quand ce sont des démons « déguisés en anges de lumière » qui l’assaillent. Et c’est ainsi que commence, comme dans le cas cité précédemment, la possession.
C’est peut-être sur ce point que le témoignage du Père Ange Rodriguez a quelque chose d’étonnant. Il est bien sûr salutaire de rappeler que la seule conséquence qui doit nous importer dans la possession est la perspective de la damnation éternelle (celui qui est dans les mains du démon dans cette vie ne pourra que le suivre dans l’autre vie), mais l’auteur met une étrange énergie à réfuter l’idée des effets visibles traditionnellement attribués à la possession démoniaque. Il prétend que la transe, notamment, relève la plupart du temps de l’auto-persuasion. La chose est clairement surprenante, car elle va à l’encontre de bien des témoignages d’autres prêtres exorcistes ; elle va même à l’encontre de ce que l’Évangile dépeint dans les nombreux miracles du Christ contre les démons. Pour quelle raison l’auteur semble-t-il aussi résolument opposé à cette idée ? L’auteur, du moins, ne fait pas partie des exorcistes qui se sont fait jour dans les décennies qui ont suivi le concile de Vatican II, arguant qu’une personne convaincue d’être possédée relevait forcément de la psychiatrie, et qui, chargés par leur évêque de libérer les fidèles de leurs bourreaux, n’en ont néanmoins jamais accompli un seul exorcisme. Le Père Ange n’est pas de ceux-là, et a accompli son ministère sans aucun préjugé dérivé du rationalisme moderne, aussi nous contenterons-nous de laisser cette question ouverte à une discussion d’esprits mieux renseignés sur la chose.
Enfin, le Père Ange détaille en longueur les procédés qu’il a mis en oeuvre dans la lutte contre les démons pendant son ministère ; et il prend bien soin de répéter qu’en même temps que lui-même récite les prières de l’église sur le possédé, il y a systématiquement, dans une pièce voisine, une assistante de son cabinet d’exorcisme qui prie pendant toute la durée de l’exorcisme. C’est l’un des grands points à retenir de cet ouvrage, même s’il est malheureux qu’il soit nécessaire de le rappeler : le Christ lui-même a dit que certains démons ne se combattent « qu’avec le jeûne et la prière ». Sans la prière, il n’y a aucun moyen de lutter contre le démon, car seul Dieu a autorité sur les démons, et il est illusoire pour l’homme de croire qu’il peut s’en défendre seul. Sans romantisme obscur ou héroïsme mal placés, le fidèle peut se confier à Dieu à chaque instant et Le laisser agir en lui : la présence de Dieu dans l’être de l’homme est le meilleur des repoussoirs contre l’ange déchu.
L’ouvrage a donc le mérite de replacer l’exorcisme hors de la portée des fantasmes malsains calqués sur cette réalité par l’esprit moderne. Tout n’y est que rappel de la réalité surnaturelle des phénomènes qui sont traités, et tout est ramené à une problématique proprement chrétienne, qui constitue en fin de compte le centre de notre expérience humaine en Christ : loin des délires agités par certaines communautés américaines, l’homme n’est pas un soldat qui combat pour le Christ. S’il faut faire une métaphore militaire, c’est bien plus au champ de bataille que l’homme ressemble, pris dans une bataille éternelle entre le Christ qui veut combler Ses créatures, et le démon qui veut les torturer car elles lui rappellent l’amour divin. Cette entreprise de démystification de la question du diable, représenté aujourd’hui avec une complaisance morbide comme une entité surpuissante et invincible aux mortels mal avisés, est donc la bienvenue.
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