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La première chose qui retient l’attention à la lecture de cet ouvrage de Salazar, c’est la sincérité et l’apparente volonté de transparence. En une cinquantaine de pages, Salazar explique les motivations, les procédés et les résultats de la révolution portugaise qui doit établir un « Etat nouveau ». Les propos sont très souvent nuancés, mesurés et intelligents. Malgré la forme de cet ouvrage, il n’est en rien un pamphlet ou un manifeste. Il s’agit tout au plus d’un compte rendu, d’un rapport établi a posteriori. Bien évidemment, Salazar justifie son œuvre politique, économique et sociale et présente le tableau du Portugal selon son jugement, son opinion ; mais le ton n’est pas celui d’une vérité générale, d’une invective ou d’une affirmation brutale et déraisonnée. Il conçoit que son œuvre est inachevée sans tomber dans l’attitude communiste (et aujourd’hui européiste) « le communisme actuel ne fonctionne pas, il faut plus de communisme ». L’exemple le plus frappant est celui de la mise en place de l’Etat « corporatif » qu’il décrit clairement comme inachevée voire embryonnaire. Ce bilan est établi près de dix ans après son arrivée au pouvoir. Du recul est donc pris et la mesure dont il fait preuve montre une véritable intelligence, voire une grande honnêteté intellectuelle. Tout cela permet d’engager sérieusement l’analyse de sa pensée à laquelle nous vous invitons, chers lecteurs.
Les termes sont tout d’abord très clairs. On comprend une ambition révolutionnaire et non une attitude nostalgique ou conservatrice, pas même réactionnaire selon ses mots. Il s’agit, comme l’écrivait Jacques Ploncard d’Assac en décrivant le corporatisme, d’une alliance de la tradition avec le progrès, d’un projet d’avenir et non de la restauration d’un temps révolu. Par ailleurs, à travers le refus marqué de l’intervention aveugle et idéologique de l’Etat et l’importance que Salazar accorde aux libertés, le lecteur perçoit un rejet évident de l’étatisme. Cela est consolidé par la place majeure qu’occupe la famille dans sa politique et l’esprit qui en découle dans le domaine économique, à savoir, une société organique proche de la pensée maurrassienne parfois mais surtout du christianisme social. Le rôle de l’armée et des professions qui organisent en corps le travail va dans ce sens. L’une des premières surprises autour de cette idée concerne le silence au sujet de l’Eglise catholique au Portugal, fait sûrement déjà acquis et implicitement défendu à travers la dimension spirituelle : Dieu reste au sommet des valeurs.
Cette description de la révolution présente un paradoxe notable. D’une part Salazar évoque comme solution préalable la nécessité d’une « dictature nationale ». D’autre part, il défend une mise en œuvre progressive et prudente de sa politique, une « marche lente et sûre » vers l’Etat « corporatif ». Le souci des réalités l’emporterait donc.
La pensée du Président Salazar est dense et riche, le R&N se permet donc, sous ma plume, de vous livrer quelques axes et citations et qui peuvent éclairer vos réflexions et vos recherches.
Dans le domaine économique et financier tout d’abord, Salazar marque à plusieurs reprises son refus du socialisme et de l’étatisme tout en condamnant le libéralisme. Ainsi, avant l’arrivée au pouvoir de Salazar, l’Etat portugais « dévorait les richesses de la Nation » selon lui. Il en tire les conclusions suivantes plus loin, à savoir que l’Etat doit rester à sa place : « l’Etat nouveau portugais collabore avec les particuliers à la reconstruction économique du pays. Mais on doit avant tout souligner qu’il considère comme erronée la tendance moderne qui est d’élargir sans limites l’intervention de l’Etat (…). Quand l’Etat se substitue aux particuliers, il étouffe la force créatrice de toute initiative privée et de là ne peuvent résulter que des inconvénients ». Cependant, Salazar établit un lien indissociable entre le champ économique et philosophique en ce qui concerne le libéralisme : « le libéralisme dans le sens absolu du mot n’existe pas et n’a jamais existé ; au point de vue philosophique, c’est un contre-sens et dans l’ordre politique, un mensonge ».
Cette dernière phrase nous permet d’aborder la question sociale, morale et culturelle. Salazar conçoit la société portugaise de l’Etat nouveau, hiérarchisée comme telle : Dieu, la Patrie, l’Autorité, la Famille, le Travail.
Salazar se décrit lui-même comme un « antiparlementaire, antidémocrate et antilibéral ». Il précise cependant son opposition farouche au communisme et au national-socialisme allemand : « peut-être est-il regrettable (…) que ce nationalisme (national-socialisme, ndlr) soit empreint de caractéristiques raciales si bien marquées que s’est imposée, au point de vue juridique, la distinction entre le citoyen et le sujet – et cela au risque de périlleuses conséquences ». Notons par ailleurs que cette critique peut se rapprocher de celle formulée par Burke et Bentham à l’égard de la distinction entre le Homme et le citoyen établie dans la Déclaration de 1789.
La société portugaise voulue par Salazar est donc clairement chrétienne, catholique. « On avait nié Dieu, la certitude, la vérité, la justice, la morale au nom du scepticisme, du pragmatisme, de l’épicurisme, de mille systèmes confus dont le vide avait été rempli avec difficulté. Mais la négation, l’indifférence, le doute ne peuvent pas être source d’action et la vie est action ». La Foi est source de vertu pour Salazar et permet d’établir les structures et le sens de la société.
La question du travail et de l’activité économique tient une place essentielle dans l’analyse de Salazar. Une organisation corporative signifie une « économie autodirigée ». Il défend par ailleurs la concurrence et critique les monopoles en reprenant les mots de Raymond Poincaré : « le socialisme commence où est le monopole ». Enfin, le Président Salazar est assez nuancé, voire réaliste pourrait-on dire, sur la question de l’argent. Selon lui, la finance, « même quand elle spécule, dans certaines limites, a une utilité sociale ». La ploutocratie se distingue alors du grand commerce, de l’industrie et de la finance en ce qu’elle serait « une espèces hybride, intermédiaire entre l’économie et la finance » et ne « s’intéressant qu’à l’opération financière de la production », à la « multiplication des capitaux ».
Au travers de ces extrait, il apparaît clairement que la pensée du Président Salazar revête des aspects très réalistes tout en restant fidèle à une doctrine qui veut construire une société organique, de corps et hiérarchisée. L’Etat corporatif ou le corporatisme s’oppose donc à l’Etat tout puissant socialiste.
Nous pouvons ainsi rappeler les ouvrages de Jacques Ploncard d’Assac, qui travailla auprès de Salazar et qui cite (in 1789 ou l’imposture, opuscule publié par la société de philosophie politique et imprimé au Portugal) les propos de Charles Maurras : « le tort ou le malheur de l’école libérale conservatrice, issue de Le Play, dans les années qui vont de 1875 à 1900, est d’avoir enveloppé l’Etat dans le discrédit qu’a cent fois mérité l’étatisme » (in Dictionnaire politique et critique, IV, p. 293).
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