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Le séminariste est un prolétaire ecclésiastique, écrivions-nous il y a quelques mois. Les clercs ne le tiennent ni pour un laïc, ni pour un clerc. À leurs yeux, il n’a aucun statut : ni celui des clercs, ni celui des laïcs. À leurs yeux, aucun droit ne s’applique à lui et ne le défend. Il n’a le droit que de se soumettre, et de se taire.
Quoique symptomatique, nous n’évoquerons pas ici la chape de plomb épiscopal sur les abus sexuels massifs dont des séminaristes ont pu être victimes ici ou là, en particulier aux États-Unis et en Amérique latine. Nous nous attacherons à dégager ce qu’en toute justice leurs supérieurs peuvent exiger d’eux en matière de liturgie – sans oublier un seul instant que la justice est le marchepied nécessaire de la charité, puisqu’on ne peut être charitable (donner un surcroît) sans avoir au préalable été juste (avoir déjà donné ce qui était dû). Pour le dire d’un mot, je ne dois pas oublier que ce qui t’est dû n’est pas mien, mais déjà tien, même si c’est encore entre mes mains.Du moins, quand on attache encore de l’importance à ce que le Christ enseigne par la voix de Son Vicaire - ici, Benoît XVI, dans Caritas in Veritate.
La charité est en effet communément employée comme une arme dialectique : pour mieux faire taire la justice, on exige de quelqu’un que l’on lèse déjà, un surcroît de générosité. La mesure d’aimer, c’est d’aimer sans mesure, n’est-ce pas ? Si tu n’es pas capable de ce surcroît, c’est que tu n’aimes pas vraiment, et que tu es un beau salaud. Tais-toi et vas-t-en, tu reviendras quand tu seras converti, quand tu auras compris, en attendant, obéis ! Je ne te le répéterai pas, premier et dernier avertissement avant le renvoi dans la vie civile : c’est déjà un avertissement de trop, je n’aurais jamais dû avoir besoin de te dire semblables évidences. L’urbanité sacerdotale, qui fut et pourrait être encore une vertu, est ainsi souvent réduite à l’art de forcer la main. Notons toutefois que ce défaut a gagné nombre d’institutions catholiques, bien au-delà des paroisses : le mauvais exemple est terriblement contagieux.
Pour en revenir à notre sujet : nous enfoncerons méthodiquement des portes qui devraient être largement ouvertes.
1. Il est juste de commander ce que l’Église prescrit, et de laisser au libre choix ce qu’elle juge - et donc définit comme - libre.
Exemple : la réception de la Sainte Communion debout, ou à genoux, sur la langue, ou dans la main.
Mais comme nous l’écrivions : « Pensez-vous qu’un directeur de séminaire hésiterait à légiférer à rebours en matière si grande et personnelle ? Certain supérieur interdisant à ses séminaristes de recevoir la Communion à genoux, après cet abus de droit – prétendant enseigner le respect et l’ouverture en pratiquant l’arbitraire, attitude princière qui est en elle-même exemplaire d’un certain état d’esprit – a cru bon de leur reprocher de ne pas être “assez malléables au Souffle de l’Esprit”. On est loin d’une éducation qui vise à l’épanouissement d’une vraie liberté : charismatique car animée par la grâce de Dieu, créative car s’enracinant dans un don unique de Dieu, responsable car ne s’engageant à titre personnel qu’en matière laissée à libre appréciation. »
On est loin d’une éducation véritable, qui avertirait légitimement des seuls véritables dangers : ostentation ou jugements téméraires sur son prochain — et qui laisserait libre ce qui doit l’être. On en est loin, précisément, parce que les pères d’un séminaire ont trop souvent l’habitude de juger sur ce qui ne devrait pas être jugé, et quand il n’est pas demandé de juger. Et qu’appeler à éviter les jugements téméraires, serait en quelque sorte renier leur méthode.
Corollaire : il est injuste d’imposer ce que l’Église défend, ou d’interdire ce qu’elle laisse libre. Et cela déforme gravement au lieu de former et structurer : cela revient à ligoter une jeune pousse à un tuteur tordu. Grand merci, père-évêque ! La confiance se fonde pourtant sur l’assurance qu’il n’en sera pas abusé !
2. Il est par conséquent nécessaire que le supérieur qui prétend donner une consigne liturgique suive lui-même intégralement les demandes de l’Église.
Exemples : il n’y a pas si longtemps, et aujourd’hui encore ici ou là, il était imposé aux séminaristes de servir la messe en civil, et les concélébrants eux-mêmes ne portent pas toujours la chasuble que l’Église leur prescrit à chacun (en l’absence d’une juste cause, à savoir le manque d’ornements – difficile à imaginer dans un séminaire, surtout quand, pour y remédier, les concélébrants ont la possibilité - et même le devoir - de revêtir une chasuble blanche). Nous n’insisterons pas sur la dalmatique des diacres, sur la chape requise pour l’exposition du Saint-Sacrement, ni sur le primat du chant grégorien dans la liturgie latine.
3. Il est impératif que le supérieur fasse envers ses confrères prêtres preuve de la même rigueur qu’avec ses séminaristes, sauf à donner l’exemple de la force avec les faibles, et de la faiblesse avec ses égaux.
Exemples : que le supérieur obtienne donc par exemple de ses propres confrères qu’ils portent la chasuble pour concélébrer, et qu’il n’emmène pas ses séminaristes dans tel ou tel lieu spirituel où les rubriques ne sont pas respectées, où les paroles du Gloria et du Credo sont travesties… sauf à avoir déjà lui-même totalement renoncé à imposer des prescriptions, non seulement abusives mais même simplement excessives, à ses séminaristes.
4. S’il est raisonnable d’attendre d’un servant d’autel – séminariste ou non – qu’il suive les rubriques prescrites par l’Église, et éventuellement les gestes surajoutés par le célébrant, il n’y a aucune raison pour un supérieur d’imposer à un séminariste dans l’assistance plus que ce qui serait imposé par un pasteur à ses fidèles, sauf à jouer au petit chef avec des baptisés libres qu’il voudrait à sa botte.
5. Il est malvenu de décourager les fidèles dont la piété s’exprime par des gestes surérogatoires : qu’il s’agisse de signes de croix (par exemple à la formule d’absolution qui suit le Confiteor, comme le faisait naguère un Cardinal-Archevêque de Paris, que l’on ne saurait sans ridicule taxer de traditionalisme, mais pourquoi pas au Gloria, Credo, Sanctus ?), ou encore de ces agenouillements qui reviennent un peu partout dans nos paroisses : au Confiteor, pendant le Canon, à l’Agnus, après la Communion, ou à la bénédiction finale, etc.
Ceci vaut à nouveau bien évidemment pour les séminaristes quand ils sont dans l’assemblée : d’une part, en droit, ce sont des laïcs ; d’autre part, de fait, leurs supérieurs doivent leur donner l’exemple de la bienveillance, de la compréhension et de la sollicitude pastorales, et non s’imaginer leur apprendre le respect et l’ouverture en leur donnant l’exemple de l’arbitraire.
Résumons-nous...
Un supérieur de séminaire ne devrait pas tricher sur deux tableaux : prétexter la fidélité à la liturgie pour exiger une obéissance rigoureuse, et invoquer l’apprentissage de l’ouverture pastorale pour imposer des choix personnels.
C’est précisément l’inverse : les séminaristes ont le droit à une liturgie conforme à ce que demande l’Église - et donc, commande l’Église, dans les deux formes du rite romain, pour bien les connaître toutes deux - ils ont le droit de n’être pas jugés en traître sur les chants qu’ils choisissent dans le répertoire mis à leur disposition, et ils ont droit enfin, dans l’assemblée, comme n’importe quel fidèle, d’exprimer leur participation active par les gestes discrets que leur piété personnelle leur suggère.
Sauf à chercher à enseigner l’obéissance filiale, le respect et l’ouverture par l’arbitraire : attitude princière, révélatrice d’un certain état d’esprit, écrivions-nous.
Clérical, sans rien de sacerdotal : l’exacte définition - et illustration ! - du cléricalisme.
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