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R&N : Xavier Lemoine, bonjour. Pouvez-vous évoquer en quelques lignes votre parcours personnel puis militant ?
Xavier Lemoine : Pur produit de l’échec du système scolaire républicain, j’ai été trainé de force à l’école jusqu’à l’âge de seize ans. La Marine marchande m’a permis de faire le tour du monde puis de reprendre des études et de devenir officier. Au bout de dix ans de Marine marchande, je m’étais ouvert à d’autres centres d’intérêt, notamment la doctrine sociale de l’Eglise à travers l’enseignement de Jean-Paul II et son encyclique Laborem exercens. J’ai continué à approfondir ces questions et, après la Marine, j’ai poursuivi mes études à l’Ircom (Angers) qui avait la bonne idée d’asseoir son enseignement fondamental sur cette doctrine. Responsable de la communication de la ville de Montfermeil en 1987, j’en suis par la suite devenu maire, fonction que j’occupe depuis 2002. Mon parcours politique n’est pas à proprement parler « partisan » : j’ai débuté avec Philippe de Villiers et son mouvement « Combat Pour les Valeurs », puis le Mouvement pour la France (MPF). Dépourvu d’attache partisane, j’ai finalement pris ma carte à l’UMP en 2005, à l’occasion des émeutes. Je suis aujourd’hui au PCD, mais je revendique une liberté que je cultive tant dans la réflexion, l’action que dans les fréquentations. Ainsi, je n’ai de compte à rendre qu’à ma conscience, et non à un parti politique. A ceux que tenterait l’engagement partisan, je ne saurai que trop recommander la lecture de la philosophe Simone Weil, auteur d’une Note sur la suppression générale des partis politiques.
R&N : Un premier mot sur Montfermeil : la réalité de la ville correspond-elle à l’image que l’on peut s’en faire de l’extérieur ?
Xavier Lemoine : Entre l’évocation de Montfermeil et la réalité de la ville, il existe un décalage très grand. Les choses sont en train d’être rattrapées, et les retards comblés. Il est vrai que cette ville, des années 80 jusqu’aux émeutes de 2005, a concentré sur son territoire un certain nombre de sujets à retentissement national. Aujourd’hui il s’agit d’une ville apaisée, qui a beaucoup évolué.
R&N : Avant votre arrivée, pouvait-on parler de « banlieue rouge » ?
Xavier Lemoine :
Effectivement, la Seine-Saint-Denis a fait partie de ce que l’on appelait la « banlieue rouge ». Lorsque je suis arrivé en 1987, il y avait eu une vague bleue trois ans auparavant, faisant ainsi basculer à droite d’anciennes villes communistes comme Aulnay-sous-Bois et Montfermeil. L’héritage de la gestion communiste du département se traduit aujourd’hui essentiellement par des pesanteurs historiques : la désindustrialisation de la Seine Saint-Denis, par exemple. Il y a également eu des politiques de peuplement et de logement social propres au département. On se retrouve ainsi avec un territoire totalement atypique, sur les plans démographique, sociologique, ethnique, religieux et culturel.
R&N : Et, dans ce département atypique, y a-t-il une gestion spécifique à Montfermeil ?
Xavier Lemoine : Paradoxalement, j’ai la chance de devoir animer l’une des villes les plus pauvres d’Ile-de-France. Par conséquent, nous n’agissons pas en injectant de l’argent mais en développement l’investissement personnel des habitants et des salariés de la ville. L’engagement humain est une vraie richesse car, si l’argent apporte une facilité matérielle, ce n’est pas lui qui donne une âme aux projets. Concrètement : notre budget culturel est dérisoire et nous ne disposons pas de salle de spectacles. Néanmoins, nous organisons des manifestations culturelles exigeantes : un son et lumières existe depuis vingt ans, et notre défilé de mode est reconnu au niveau régional. La gestion financière est stricte : tout euro dépensé doit être pensé avant.
Cette gestion financière nous permet de dégager une marge de manœuvre suffisante pour développer un territoire enclavé. Nous pouvons ainsi développer l’attractivité de la ville par la diversité des services et la qualité de l’espace public, de l’urbanisme, de l’architecture. A titre d’exemple, je vérifie moi-même tous les permis de construire, veillant à ce que la ville soit embellie et respectée.
R&N : La presse a beaucoup évoqué un établissement privé à Montfermeil, baptisé le Cours Alexandre Dumas. Quelle est la genèse de cet établissement ?
Xavier Lemoine : Il y a quinze ans, les classes moyennes françaises s’inquiétaient de la scolarisation de leurs enfants. Aujourd’hui, cette inquiétude est partagée par toutes les populations, y compris étrangères, d’origine étrangère ou populaires. Il ne s’agit pas ici de juger les personnes qui, dans le département, s’investissent dans le domaine de l’éducation. En revanche, nous devons constater que beaucoup de familles du département ont une véritable exigence éducative et sont très sensibles à des questions comme le mariage pour tous ou la théorie du genre, entre autres choses.
En outre, parmi les enfants, nous avons affaire à la fois à ceux que j’appellerais les « bouffons », ainsi qu’aux « agités ». Le « bouffon », en Seine-Saint-Denis, c’est le premier de classe. Par sa réussite scolaire, il est considéré par ses camarades comme ayant prêté allégeance au pays d’accueil et sera chahuté. L’« agité », lui, est en décrochage scolaire. Pourtant, il est souvent vif, pétillant, intelligent, et a besoin d’une autre pédagogie, d’une autre attention. Des solutions doivent être trouvées pour ces enfants.
Dans ce contexte, le cours Alexandre Dumas permet de présenter une offre complémentaire à celle de l’Education nationale : petits effectifs, liberté de pédagogie, présence continue et disponibilité de l’équipe enseignante. La formation est adaptée aux élèves. C’est un succès : à la première rentrée, ils étaient une quinzaine puis, l’année suivante, 85, puis 110, et 150 à la quatrième rentrée.
R&N : Mais qui est derrière cette école atypique ?
Xavier Lemoine : Cet établissement est né grâce à la Fondation Espérance Banlieue. L’école est juridiquement autonome par rapport à la mairie, même si elle est accueillie sur des terrains de la mairie que je loue. Chacun est à sa place. Les rôles sont évidemment distingués, mais il existe une convergence de vues.
R&N : Vous évoquez les inquiétudes des parents à propos de l’école. Peut-on encore croire à l’enseignement public ?
Xavier Lemoine : Il s’agit avant tout d’un problème de structures, et non de personnes. Dans un cadre contraignant, il existe des hommes et des femmes qui tâchent de donner le meilleur d’euxmêmes, au profit des enfants. Mais c’est le cadre lui-même, la structure, qui porte en son sein des effets délétères. Quant aux causes profondes, vous les connaissez : il s’agit bien entendu du pédagogisme, de l’orientation du contenu des programmes, qui sont eux-mêmes des phénomènes puisant leurs sources bien ailleurs. Sur ces sujets, les motivations politiques sont évidentes.
R&N : Que proposer aux populations immigrées d’origine extra-européenne ? A quelles condition l’assimilation est-elle possible ?
Xavier Lemoine : Le fait est que les distances se trouvent aujourd’hui abolies ou diminuées par les transports et les nouvelles technologies. Il n’est plus aussi évident qu’avant d’exiger d’un étranger qu’il se dépouille entièrement de son identité particulière et étrangère. C’est ainsi. Mais faut-il, à l’inverse, considérer que tout se vaut et que les identités particulières et les racines étrangères ne doivent pas se conformer à l’identité françaises ? La réponse est non. Il faut être ferme sur ce point, et il est évident que les personnes étrangères ou d’origine étrangère doivent se conformer à des « points non négociables » de notre civilisation : l’Histoire de France, ses racines chrétiennes, la distinction entre le temporel et le spirituel, l’égale dignité entre l’homme et la femme, la liberté de conscience. Il faut être intransigeant sur ces points non négociables.
R&N : Peut-on administrer concrètement une collectivité tout en respectant la Doctrine sociale de l’Eglise ?
Xavier Lemoine : La réponse est à deux niveaux. Peut-on absolument, en tous points, gérer une municipalité en se conformant exactement à la Doctrine de l’Eglise ? Cela paraît compliqué, voire franchement impossible, eu égard aux contraintes pesant sur les élus et ne dépendant pas de leur volonté.
Mais, si la question est de savoir si l’on peut, en tant qu’élu, aborder l’ensemble des problématiques à la lumière de l’enseignement de l’Eglise, alors la réponse est oui. Chaque problème peut et doit être appréhendé à travers la doctrine sociale de l’Eglise, en recherchant la Vérité et le Bien commun.
R&N : Plus précisément, comment un élu catholique peut-il assumer sa foi et en faire un moteur de son action politique ? Est-ce votre cas ?
Xavier Lemoine : Je n’utiliserai pas le terme de « moteur » mais plutôt de guide. Oui, il est évident que ma foi est un guide en politique, et je n’ai aucune difficulté à l’assumer. Je n’ai pas à le cacher. La foi irrigue mon action politique, elle nourrit également ma pensée grâce à l’abondante littérature que nous lègue l’Eglise, à travers les Encycliques des papes, notamment. Toutefois, je ne suis pas prosélyte, en ce sens où, si ma foi me guide, il ne s’agit pas d’imposer ma vérité aux administrés, mais plutôt la rechercher et la proposer.
R&N : Quel est le poids des associations – communautaires ou LGBT par exemple – face aux élus ?
Xavier Lemoine : Le poids des associations diffère grandement selon la taille des villes. Dans une ville d’importance, il est évident que certaines associations, qu’elles soient communautaristes ou LGBT, auront la capacité nécessaire pour peser dans le jeu politique et dans les décisions. En revanche, dans des villes plus modestes, ce jeu est moindre et moins politique. Néanmoins, il convient de toujours rester vigilant et, en tant que maire, je vérifie systématiquement l’objet, les statuts et les activités des associations qui sollicitent des subventions auprès de la municipalité.
R&N : En début d’entretien, vous évoquiez votre indépendance. Par ailleurs, vous êtes un élu local. Face au jeu mortifère des partis, l’espoir réside-t-il au fond dans l’enracinement en politique ou dans l’engagement local ? Si oui, est-ce l’endroit où doivent s’investir les jeunes de la fameuse "génération Manif Pour Tous" ?
Xavier Lemoine : La politique ne se résume pas à un engagement partisan ou électoral. Un bon chef d’entreprise, un bon instituteur, une bonne mère de famille, tous, dans l’excellence de leur devoir d’état, font de la politique. Certes, le pouvoir est bien dans le politique, mais personne ne doit pour autant se croire exempté de l’excellence de son devoir d’état. Cette excellence, cette résistance, nécessite une formation personnelle permanente. Bien sur, l’engagement politique local est important, notamment parce qu’il est concret, mais cela ne doit pas non plus faire déserter les bonnes volontés des fonctions nationales.
L’important est d’être exigeant quant aux éléments clef de la formation puis, une fois formé, de choisir son engagement en toute liberté. Rappelons d’ailleurs que la politique est avant tout l’art du possible et que, si la politique était parfaite, nous serions déjà au paradis, mais cela est pour plus tard...
R&N : Un message pour la jeunesse catholique tentée par un certain fatalisme ou par l’inaction ?
Xavier Lemoine : « Ne dites pas les temps sont mauvais. C’est vous qui faites les temps ». Cette formule de S. Augustin m’a beaucoup marqué. Ces mots nous invitent à être le plus actif possible. Cela vaut pour l’engagement des jeunes en politique. Certes, le pouvoir corrompt mais, comme le rappelait récemment le Pape François, il faut tenir bon et, en cas de chute, se remettre sur sur ses pieds, demander pardon et avancer à nouveau. Péguy allait dans le même sens lorsqu’il parlait de ceux qui, à force de vouloir garder les mains propres, n’en avaient plus. Quant à S. Thomas, il affirmait en son temps que la politique était « la forme la plus haute de charité ».
Alors, oui, la politique est un monde rude, mais qui a dit que notre vie sur cette terre serait des plus faciles ?
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