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R&N : Pourquoi vous êtes-vous particulièrement intéressée à l’œuvre de Jean Raspail ? Celle-ci a-t-elle déjà fait l’objet d’études ?
Marie de Dieuleveult : En première année de master de Lettres Modernes, j’avais commencé à travailler un sujet de mémoire qui ne m’intéressait absolument pas. Un professeur spécialisé dans les littératures d’arrière-garde venait d’arriver à la faculté de Nantes. J’ai sauté sur l’occasion pour lui proposer de travailler sur l’œuvre de Jean Raspail. D’une part parce qu’adolescente j’avais dévoré ses romans, et d’autre part parce que cela m’intéressait de travailler sur l’œuvre d’un romancier encore vivant – avec l’avantage considérable de pouvoir le rencontrer- et de me pencher sur une œuvre encore vierge de toute critique universitaire.
R&N : Raspail a-t-il un style particulier d’écriture ? Peut-on le situer dans un courant littéraire ?
Marie de Dieuleveult : L’écriture de Jean Raspail est alerte, précise et libre. C’est une plume de conteur plus que de poète. Il a un don pour rendre le lecteur complice de son écriture – et c’est ce qui fait qu’il a une communauté si fidèle.
Il fait figure d’infréquentable dans le monde littéraire de son époque tant son œuvre a été politisée. Il est difficile de le relier à un véritable courant mais il noue de solides amitiés littéraires qui l’inscrivent dans la nébuleuse de la droite littéraire française. A la suite de Paul Morand et de Jacques Chardonne, après 45, ceux qu’on appellera les Hussards refusent de faire école mais ils créent une famille de pensée, une famille artistique dans laquelle on peut inclure Jean Raspail. On peut lui trouver de nombreux points communs avec Michel Morht, Henri Vincenot, et bien sûr avec Jacques Perret qui fut un maitre pour lui.
R&N : Jean Raspail est-il un auteur de récits de voyages ou est-il un romancier à proprement parler ?
Marie de Dieuleveult : Jean Raspail est évidemment un romancier à part entière. Mais en effet, les récits de voyage nourrissent toute son œuvre romanesque et l’on peut dire également que ses récits de voyage sont nourris par son regard sensible de romancier – ce ne sont pas des guides Michelin ! C’est en voyageant qu’il a commencé à écrire et voilà un conseil qu’il donnait aux romanciers en herbe : partez loin de chez vous !
R&N : Avec Le Camp des Saints, certains ont vu chez lui une dimension politique. Ce livre n’a-t-il pas eu tendance à occulter le reste de son œuvre ?
Marie de Dieuleveult : Le Camp des Saints est en effet l’arbre qui cache la forêt. On a donné une dimension raciste à ce roman alors que c’est avant tout le roman de la décrépitude de l’Occident. Qu’on soit d’accord ou non avec la thèse du Camp des Saints, on réduit Jean Raspail à ce seul roman alors que son œuvre est bien plus riche et vaste. Le temps passe et les polémiques s’apaisent car on peut aujourd’hui s’accorder sur le point que ce roman était visionnaire. Avec le temps, il faut souhaiter que l’on retienne d’autres romans. Qui se souvient des hommes ou La miséricorde, par exemple.
R&N : Quels rapports entretient-il avec la religion ?
Marie de Dieuleveult : Les rapports entre l’œuvre de Jean Raspail et la foi catholique sont très complexes. C’est une question essentielle et passionnante. Une très large part de son lectorat est catholique. S’il se dit catholique romain, il n’est pourtant pas, quoiqu’on en dise et jusqu’à la publication de La Miséricorde, un écrivain catholique. Il a, certes, un attachement profond et rigoureux pour les rites de l’Eglise mais cela sonne faux car sa raison et son cœur n’adhèrent pas. Il érige notamment le doute religieux en posture dans plusieurs de ses personnages. Mais Jean Raspail a un sens aigu du sacré. Il est l’écrivain du sacré dans un monde qui en a perdu le sens. Il le recherche partout et finit sa quête dans son dernier roman, La Miséricorde qui l’inscrit dans le sillage de Bernanos et de Léon Bloy. Ce roman éclaire toute l’œuvre de Jean Raspail. Longtemps, il avait cherché dans les voyages, dans l’orgueil ou dans le rêve un ailleurs qui ne le satisfaisait pas. Jean Raspail avait « refermé la porte sur le mystère de Dieu ». Il l’ouvre en grand avec La Miséricorde. Avec ce roman, il devient un écrivain catholique. Il est beau de trouver des traces de l’histoire du curé de Bief dans plusieurs autres de ses romans, preuve que cette histoire a habité Jean Raspail tout au long de sa carrière et que le doute n’avait jamais été définitif. L’espérance s’y trouve enfin dans la miséricorde infinie de Dieu. Ce roman inachevé est l’antidote au désespoir du Camp des Saints.
R&N : Quels sont les thèmes qui irriguent toute l’œuvre de Raspail ?
Marie de Dieuleveult : Le thème central de l’œuvre de Jean Raspail est la cause perdue. C’est ce qui l’unifie mais la liste se décline à l’infini et dans des sujets aussi variés que les peuples perdus, la royauté, la messe d’avant concile Vatican II, la décrépitude de l’Occident, le sort des antipapes ou enfin l’âme du pire pécheur comme celle du curé de Bief La Miséricorde.
Ce thème central trouve ses racines dans les voyages du jeune Jean Raspail, attentif au sort des populations perdues. Il en conçoit un dégout définitif pour l’uniformité qui, au XXe siècle, avale tout dans un immense magma gris.
R&N : Qu’est-ce qui vous a le plus touché dans l’œuvre de Jean Raspail ?
Marie de Dieuleveult : J’ai été très touchée par la lecture de La Miséricorde, le roman de l’Espérance enfin trouvée. Ce roman, qui apparaît d’abord comme un mystère tant tout ce qui faisait qu’on lisait du Jean Raspail a disparu, se révèle comme le point d’orgue de toute une œuvre. Jusqu’à la publication de ce roman, le système raspailien est bancal. La reconnaissance de la miséricorde infinie de Dieu équilibre et apaise tout en vérité. Il est réellement émouvant de comprendre que l’histoire du curé de Bief racontée dans La Miséricorde a hanté Jean Raspail tout au long de sa carrière.
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