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Le problème des juridictions françaises, c’est qu’elles sont longues à statuer. Quand un avocat publiciste vous dit que la procédure sera rapide, comptez un an. Mais quand une liberté fondamentale est en cause, la durée de la procédure tourne au déni de justice.
Prenons un exemple. Toute ressemblance avec des faits réels serait bien entendu purement fortuite.
Le 20 février 2013, le collectif de la manif’ pour personne a fait connaître son intention de manifester sur les Champs-Elysées le 24 mars 2013. Le collectif attend au moins 1 million de personnes. Laissant traîner la procédure, la Préfecture de Police annonce finalement le 14 mars 2013 qu’un arrêté préfectoral sera pris afin d’interdire la tenue d’une manifestation sur la Place de l’Etoile, les Champs Elysées et la Place de la Concorde. L’arrêté préfectoral est finalement pris le 18 mars 2013.
Les motifs de l’arrêté préfectoral sont les suivants. En premier lieu, la proximité géographique d’institutions sensibles exclurait la tenue de toute manifestation revendicative en ces endroits, dans le cadre du niveau rouge du Plan Vigirate. De plus, l’ouverture des commerces sur les Champs Elysées, la forte fréquentation de cette avenue le dimanche et la configuration des rues adjacentes rendraient inenvisageables l’encadrement et la sécurisation d’un tel rassemblement dans le secteur.
Le collectif de la manif pour personne a donc décide de déposer un référé liberté auprès du juge des référés de Paris.
L’article L. 521-2 du Code de Justice Administrative dispose que « saisi d’une demande en ce sens, justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public aurait porté dans l’exercice de l’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ».
De plus, le Conseil d’Etat a considéré dans une ordonnance du 28 février 2003, Commune de Pertuis, que l’urgence pouvait être établie par la nécessité de l’intervention d’une mesure de sauvegarde dans les quarante-huit heures. Par ailleurs, le Conseil d’Etat a affirmé à plusieurs reprises que la liberté de réunion est une liberté fondamentale, notamment par l’ordonnance Front National du 19 août 2008 ou l’ordonnance Ecole Normale Supérieure du 7 mars 2011. Il est parfaitement envisageable d’étendre la liberté de réunion à celle de manifester sur la voie publique.
Enfin, l’article L. 211-1 du Code de la Sécurité Intérieure dispose que « sont soumis à l’obligation d’une déclaration préalable (...) d’une façon générale, toutes manifestations sur la voie publique ». L’article L. 211-4 du Code de la Sécurité Intérieure précise que « si l’autorité investie des pouvoirs de police estime que la manifestation projetée est de nature à troubler l’ordre public, elle l’interdit par un arrêté qu’elle notifie immédiatement aux signataires de la déclaration au domicile élu ».
Dans un arrêt Benjamin du 19 mai 1933, le Conseil d’Etat a considéré que les mesures exigées par le maintien de l’ordre « doi[vent] concilier l’exercice de ses pouvoirs avec le respect de la liberté de réunion ». Le juge doit donc rechercher si la mesure de police administrative est adaptée aux faits qui l’ont motivé et aux finalités poursuivies par son auteur.
L’arrêté préfectoral interdit à plus d’un million de personnes de manifester sur les Champs Elysées. Elle porte donc une atteinte grave à la liberté fondamentale de réunion.
L’arrêté préfectoral est motivé par la présence de touristes sur les Champs Elysées ainsi que la proximité géographique avec des institutions sensibles. Or Paris étant une ville touristique ainsi que la capitale de la France, le motif invoqué par la Préfecture de Police pour interdire la manifestation sur les Champs Elysées est susceptible d’être invoqué pour toutes les grandes artères parisiennes susceptibles d’accueillir plus d’un million de manifestants. Par conséquent, l’arrêté préfectoral interdisant la manifestation sur les Champs Elysées n’est manifestement pas adapté aux faits qui l’ont motivé.
De surcroît, l’arrêté préfectoral attaqué interdit l’accès à la Place de l’Etoile, aux Champs Elysées et à la Place de la Concorde, six jours avant la tenue d’une manifestation prévue depuis plus d’un mois, alors que plus d’un million de personnes sont attendues. Aucune raison ne permet de penser que ces personnes vont renoncer à monter à Paris. Or, la Préfecture de Police n’a proposé aucune alternative acceptable pour le nombre de personnes attendues. Plus d’un million de personnes vont donc chercher à manifester dans les rues de Paris, ailleurs qu’aux Champs Elysées. Il y a donc un risque grave de trouble à l’ordre public, manifestement contraire au but poursuivi par l’arrêté préfectoral.
L’arrêté préfectoral porte donc une atteinte grave à la liberté fondamentale de réunion, manifestement inadapté aux faits qui l’ont motivé et contraire au but poursuivi.
Le référé-liberté a été déposé le 18 mars 2013. Plus d’un million de personnes sont attendues pour manifester sur les Champs-Elysées le 24 mars 2013. L’arrêté préfectoral attaqué s’oppose à ce projet, et menace de sanctions ceux qui manifesteraient.
Par conséquent, une mesure de sauvegarde est nécessaire dans les 6 jours afin de sauvegarder la liberté de réunion. Il y a donc urgence.
Par ces motifs, le collectif de la manif pour personne demandait l’annulation de l’arrêté préfectoral.
L’histoire ne dit malheureusement pas ce que fit le juge des référés.
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