La France « adjugée »

Le 30 mai se tenait la prestigieuse vente des vins de l’Élysée. À vente exceptionnelle, lieu surprenant, la vente s’est tenue dans le hall d’entrée de Drouot. Le projet est parvenu jusqu’aux oreilles des manifestants contre le « mariage homosexuel » et un petit rassemblement est né de façon tout à fait spontanée.

18h15 : De nombreuses caméras françaises et étrangères sont déjà présentes. Les interviews se font à l’extérieur, sous la pluie et le regard des CRS qui échangent avec la sécurité de Drouot.

18h40 : Un groupe de trois jeunes femmes arrivent. Nous nous reconnaissons d’un clin d’œil puisque nous avons déjà manifesté ensemble régulièrement. Aucun signe distinctif n’est visible, si ce n’est un vernis à ongle rose et bleu.

19h20 : Drouot ouvre ses portes avec vingt minutes de retard. Mon sac est vérifié plusieurs fois, contrairement à celui d’autres. La sécurité de Drouot me laisse alors entrer mais j’entends de loin « vous trois, vous n’entrez pas ». Je me retourne et reconnais les trois manifestantes. Comme elles, je demande donc pourquoi, étant donné que l’entrée à ces ventes aux enchères est censée être libre.

19h30 : Il y a confirmation des places réservées. L’Élysée en a demandé 45, ce que Drouot a refusé pour pouvoir laisser des places aux acheteurs (il y aura tout de même 15 places réservées par l’Élysée, qui n’a pourtant pas acheté). Les places assises sont rares et les clients imposants qui avaient pu réserver en laissant leur nom, leur RIB et un montant élevé d’achat ont une place aux premières loges et sont appelés pour pouvoir entrer puisque la salle est pleine. Je me place juste derrière eux avec des experts et des revendeurs.

19h35 : alors que la vente débute, G. Kapandji, le commissaire priseur, rappelle que « pour des raisons légales, les portes doivent rester ouvertes et chacun doit pouvoir accéder à la vente. » Pourtant, dehors, des jeunes se sont vus refuser l’accès.

19h55 : Les cognacs se vendent particulièrement bien et on entend tout à coup, entre deux adjucations « nous aussi, on veut du vin ! Nous aussi, on veut du vin ! » Les employés de Drouot au téléphone évoquent l’histoire, l’un d’eux murmure en tentant de ne pas être entendue des clients « c’est la prise de la Bastille là, ça va chauffer… » Dans la crainte d’une interruption, les ventes s’affolent en salle et sur internet.

20h07 : les « masques tombent. » Les manifestants ne sont pas là pour empêcher la vente, contrairement à ce que pensaient de nombreux médias, ils commencent à scander entre les vins d’Alsace et ceux de la Loire « on veut l’apéro, pas du mariage homo ! » Chacun garde le sourire dans la salle et surtout le commissaire priseur qui rappelle à nouveau que l’accès à la vente doit être ouvert à tous. Les manifestants extérieurs se fondent facilement dans la masse des acheteurs. En effet, ils ressemblent davantage à ces derniers qu’à des « casseurs ». Cependant, même Jean-François Legaret, candidat UMP à la primaire de Paris se voit refuser l’accès parce qu’il est avec des manifestants de LMPT.

20h14 : début de l’action de la police qui tente dans un premier temps de faire taire les manifestants et qui évoque des interpellations sous le regard choqué de la salle.

20h31 : un manifestant parvient à entrer et à traverser la salle de vente en criant « Hollande, ton vinaigre, on n’en veut pas ! » à plusieurs reprises. Il s’arrête naturellement devant G. Kapandji, les experts, se tourne vers les caméras et continue à crier. La sécurité le saisit et le fait sortir par l’entrée réservée à la presse. D’après des propos rapportés à la fin de la vente, il aurait été « tabassé » à la sortie… par les forces de l’ordre. Drouot décide donc d’oublier son éthique et, selon les dires de M^me Kapandji à peine 45 minutes plus tôt, « la légalité », pour fermer les portes par « mesure de sécurité ». La police encadre chaque entrée. Mon voisin et moi avons commandé plus de 5 000 euros de vin, mais nous ne pouvons pas sortir avant la fin. Les acheteurs qui connaissent le fonctionnement des ventes aux enchères sont choqués par cette véritable répression alors qu’il n’y a, à l’extérieur, que des jeunes bien habillés qui scandent des slogans sans aucune violence. Les « spectateurs d’un jour » eux-mêmes comprennent qu’il se passe quelque chose d’anormal.

20h40 : Les manifestants ont été interpellés ou ramenés au métro. Le secteur est bouclé et des CRS sont postés à chaque sortie ce qui empêche la sécurité d’ouvrir les portes. Plusieurs acheteurs et employés de Drouot se plaignent de la chaleur, mais il est impossible d’entrouvrir la moindre porte, alors qu’il n’y a plus aucun manifestant.

La vente se terminera vers 23h15 et même après la fin des enchères, il est impossible de sortir, ne serait-ce que pour fumer une cigarette en attendant de pouvoir régler les achats. Au-delà de la vente d’un patrimoine public, cette vente a permis au monde entier (rappelons la présence de ZDF ou encore de CNN) de voir que la France avait vendu sa dignité et la liberté de ses enfants à des lobbies. Cet après-midi, la vente reprendra à partir de 14h00, espérons que les amateurs n’ayant pas pu entrer hier en raison de leur physique pourront entrer aujourd’hui, ne serait-ce que pour éviter de montrer à nouveau le spectacle d’une France qui perd son essence, et son âme.

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