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On raconte que le supérieur des chartreux, probablement peu mondain, mais qui avait tout de même croisé Mère Térésa et Jean-Paul II, disait que le père Ceyrac était l’être le plus exceptionnel qu’il ait jamais rencontré. C’est aussi mon cas.
Mais je ne me battrai pas pour savoir qui aura sa place à la droite du Père, ni même pour comparer son action dans le Sud de l’Inde à celle de son amie, Mère Térésa, à Calcutta. D’autres le feront mieux que moi... Je n’étais pas né.
En revanche, j’aimerais vous partager les derniers mois - ou presque - du vieux père Ceyrac. J’ai eu l’immense honneur de pouvoir le visiter quasi quotidiennement, d’août à octobre dernier [2011], quelques mois avant son retour au Père, aujourd’hui [30 mai 2012]. Il habitait alors au Loyola College (Madras, Tamil Nadu, Inde), comme moi.
Il avait 97 ans mais ne s’en souvenait pas : sa mémoire ne pouvait pas remonter à deux ou trois minutes en arrière. Avec mes amis, nous devions toujours nous présenter plusieurs fois à lui, en une seule conversation ! Parfois, nous ne pouvions nous empêcher d’en rire mais il nous accompagnait, sans comprendre, et son rire purifiait les nôtres. Il avait 97 ans donc, et un corps meurtri par les ans, une jambe grosse comme mon tronc, un genoux couvert de pansements, des médicaments tout le temps, mais personne ne l’aurait entendu se plaindre. Le père Ceyrac, c’était la victoire du cœur sur l’âge. Il n’avait plus assez d’esprit pour se retenir de se plaindre, ou pour se forcer à être gentil : il n’en avait pas besoin. Jamais son cœur, la seule chose qui fonctionnait encore chez lui, ne se serait attardé sur lui - si nous ne l’avions pas forcé ; toujours son cœur était tourné vers nous. Tous ceux qui le connaissent se souviennent de ses questions, curieuses et bienveillantes, qu’il posait à tout bout de champ :
« D’où venez-vous ?
Nantes.
Combien d’habitants ?
Euh, je ne sais plus.
A combien de temps êtes-vous de Paris ?
Deux heures, en TGV.
Qu’est-ce ?
Un train très rapide.
Comment vous appelez-vous ?
Nicolas
D’où venez-vous ?
Nantes. »
...
En groupe, cela rendait plutôt cela :
« D’où venez-vous ?
Nous venons de France, nous faisons tous nos études à Angers.
Combien êtes-vous ?
6.
Vous êtes 8 ?
Non, 6, ça se voit.
Vous venez construire des maisons ?
Non, nous sommes étudiants.
Ou habitez-vous ?
Au Loyola College, comme vous.
C’est convenable ?
Euh... oui
Et la nourriture, c’est convenable ?
Un peu épicé, quand même.
Vous êtes 8 ?
Non, 6.
Vous venez construire des maisons ?
Non, nous sommes étudiants.
Ou habitez-vous ?
Au Loyola College, comme vous.
C’est convenable ?
Euh... oui »
...
Souvent, je l’interrogeais sur sa vie, que je connaissais mieux que lui. Je devais régulièrement m’y reprendre car il n’était pas capable de cesser de s’intéresser à son interlocuteur. Quand j’y arrivai enfin, ses réponses étaient toujours taquines :
Vous avez vu le pape, n’est-ce pas ?
« Lequel ? J’en ai bien vu deux ou trois.
Jean-Paul II.
Euh... Je ne sais plus...
Vous ne vous souvenez plus ?
Ha si ! Il était habillé tout en blanc !
ou encore :
Vous avez connu Mère Térésa, n’est-ce pas ?
« Oui, très bien.
Comment était-elle ?
Elle est très facétieuse. Elle joue toujours à cache-cache...
... !
... pour se cacher des photographes ! Cette femme sera sainte, un jour.
Elle est déjà béatifiée.
« Comment cela ? Elle est morte ?
Sa dernière volonté, à mon endroit, était que je prie pour lui sur la tombe de Calcutta. C’est un honneur d’avoir pu le faire, quelques jours après.
Mais c’est son dernier regard, en octobre dernier, qui fait ma fierté. Sa mémoire, une fois de plus, m’avait oublié. En revanche, alors que nous le quittions, son âme distingua le visiteur quotidien. Il me gratifia, seul, de son amitié : « Au revoir, mon ami ». C’est une amitié dont je me prévaudrai un jour devant saint Pierre.
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