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Laissez-nous prier pour Paris !

Une fois sa santé, sa quiétude et son confort si fragiles arrachés par la violence d’hommes qui veulent sa mort de manière acharnée, que peut-on espérer de l’homme ? Qu’il sorte du matérialisme bien tentant pour redevenir ce qu’il a toujours été : un être religieux. En effet, le critère scientifique utilisé par les archéologues pour parler d’être humain en face des pithécanthropes exhumés lors de leurs fouilles est non pas la forme ou la capacité du crâne, mais la présence ou non d’un rite de mise en terre. Ainsi, l’homme se définit par sa propension à penser et entrer en contact avec Dieu, et l’athéisme n’est, à l’échelle de l’histoire humaine, qu’un nain monté sur un tabouret, se prenant ainsi pour un roi de ce monde.

Ce réveil instinctif des âmes dans l’horreur des derniers jours, Libération, spécialiste des moulins à vent, le désigne comme l’ennemi : le hashtag #PrayforParis les inquiète. Tout y est, des clichés les plus éculés aux affirmations les plus contestables, et c’est une soupe de libertarisme affolé qui tente de sauver les meubles. L’auteur y explique que prier pour Paris est un prolongement de la logique qui a conduit aux attentats ; que la seule manière de « résister » (encore la désespérante rhétorique de la Saint Charlie) est de plonger plus avant dans l’hédonisme contre lequel ces islamistes pensent se battre.

Le seul modèle qu’il serait autorisé d’opposer au wahabbo-salafisme serait le modèle Libé, à savoir l’athéisme, la licence et la débauche. En dehors de cette dialectique, il n’y aurait rien. L’on renoue ainsi avec le dualisme qui voulait faire de tout anti-communiste un nazi et vice-versa. Aller voir un match de foot, boire un verre en terrasse ou écouter un concert de rock feraient donc de nous des membres de cette culture athée si chère à l’auteur. Inutile de dire combien cela est stupide.

Pour mener toutes choses à leur plénitude, comme d’habitude, on remet toutes les « religions » dans le même panier, masquant grossièrement la réalité décidément bien trop contrariante : les seuls adeptes qui aujourd’hui utilisent le terrorisme sont des adeptes de l’islam. La seule « religion » qui aujourd’hui s’attaque par le terrorisme à ce qui n’est pas elle-même, qui tire dans tous les coins sans distinction, et l’a d’ailleurs fait depuis toujours, c’est l’islam. Et citer les versets pacifiques du Coran n’y fera rien, puisque d’autres versets y légitiment explicitement l’emploi de violence à l’égard des mécréants.

Ces contorsions permettent à peu de frais d’en arriver, après maints épanchements sur la laïcité à la sauce française, au sésame de l’article : la religion « [doit] se tenir cachée dans le domaine privé ». Toutes les religions (puisque par la faute des adeptes d’une seule, toutes seraient on ne sait trop comment concernées) sont priées de se taire. Seuls les athées ont voix au chapitre. Solution bien commode et chacun voit midi à sa porte.

C’est là qu’est le hic : la croyance est nécessairement et éminemment engageante sur le plan politique, et affirmer que toute foi doit n’être vécue que là où personne ne la voit est précisément la source de tous nos ennuis actuels. A la suite d’une révolution française à laquelle je refuse de donner des majuscules, on a essayé à maintes reprises d’imposer à notre pays les rigueurs d’un athéisme d’Etat qui nierait même à la foi la possibilité de s’exprimer. En refusant que la foi éclaire la raison, nous sommes tombés dans une errance dont le pape nous a pourtant déjà montré les termes. Lors de son voyage à Paris en 2008, Benoît XVI a donné un discours au monde de la culture auquel se sont massés tous les penseurs de droite comme de gauche. Il y a décrit la formation de l’Europe comme le fruit de la vie monastique qui permit à la culture antique de subsister et d’irriguer la culture nouvelle d’un continent alors jeune, faisant du « quaerere Deum », la recherche de Dieu, la sève, le terreau et la nourriture de cette culture qui ne peut se constituer autrement.

Accepter la recherche de la vérité, refuser le relativisme qui conduit au nihilisme est la condition de l’existence de toute civilisation. Les mondes païens le savaient, le christianisme l’a expérimenté au plus haut point, mais le monde moderne en a fait un archaïsme et y a renoncé, laissant alors, comme le montrait le souverain pontife, la porte ouverte aux deux travers opposés qui nous détruisent aujourd’hui : l’arbitraire (ou le relativisme) qui ne reconnaît rien comme vrai et place l’individu et son désir comme critère fondamental de l’agir, et l’attitude bâtie en réaction à cet arbitraire, le fondamentalisme qui est la réponse violente de l’homme perdu et en quête de racines. Nous retrouvons donc ici nos deux hydres antinomiques dont l’une est fantasmée comme la voie de sortie du péril islamiste. Elle ne fera que l’aggraver.

Nous sortirons au contraire des épreuves qui sont les nôtres si nous voyons cet héritage chrétien non comme des belles « racines » à épousseter avec nostalgie, mais comme la semence de notre réflexion, la sève qui régénèrera notre civilisation. Sans cela, nous vivrons ce qu’ont vécu les multiples empires assis sur leur avoir mais qui avaient oublié d’être.

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