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Une fois encore je partirai de la séquence Lauda Sion, du dogme eucharistique mis en rimes par S. Thomas d’Aquin au 13e siècle. Pour insister sur un élément central : l’eucharistie est une nourriture, une nourriture qui nous fortifie dans le combat que nous avons à mener.
« Le voici le pain des anges, il est le pain de l’homme en route, le vrai pain des enfants de Dieu. D’avance il fut annoncé par Isaac en sacrifice, par l’agneau pascal immolé, par la manne de nos pères ». Le discours sur le pain de vie, dans l’évangile de S. Jean, rappelle en effet la manne au désert et Jésus s’y présente comme la réalité dont la manne était la figure : le corps et le sang, offerts au soir du jeudi saint, nourriture qui tire sa vertu du sacrifice offert le lendemain sur la croix. L’Eglise naissante ne s’y est pas trompée non plus qui a pris au pied de la lettre le mandat du Christ : « Frères, écrit S. Paul aux Corinthiens, je vous ai transmis ce que j’ai reçu de la tradition qui vient du Seigneur. Ainsi donc chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez à cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne ». Cette proclamation, réalisée dans un acte liturgique qui renouvelle le mémorial juif de la Pâques, est un acte de foi en la présence rédemptrice du Christ à son Église tout au long de l’histoire. Le geste de communier est une proclamation muette de ce qui est au centre du christianisme, à savoir le mystère de la mort et de la résurrection du Seigneur qui nous sauve du péché et de la mort. C’est ce qu’une dizaine d’enfants et une jeune femme de notre paroisse ont fait ou vont faire pour la première fois dans l’une et l’autre messes de ce jour.
Alors en quoi notre eucharistie peut-elle constituer un viatique, être, étymologiquement, le « pain de la route » ? Elle s’enracine dans l’antique sacrifice agraire, le pain et le vin offerts par Melchisédek, auxquels fait allusion le canon de la messe, et dans le non moins antique sacrifice pastoral, l’agneau immolé, devenu le signe du salut offert par Dieu lors de la sortie d’Egypte. Ces deux sacrifices convergent dans le sacrifice du Christ. Mais Jésus ne fait pas que s’offrir une fois pour toutes en sacrifice le vendredi saint. Il a voulu, dès le jeudi saint, nous donner en mémorial perpétuel la célébration même de ce sacrifice, autrement dit le sacrement de cette offrande rédemptrice. C’est la messe. La messe nous convoque tous, à quelque époque que nous vivions ou en quelque lieu que nous soyons, au calvaire et au sépulcre, au soir du vendredi saint et au matin de Pâques. Mais la messe est encore plus que le mémorial du sacrifice, elle est la présence même de Celui qui s’est offert, crucifié et ressuscité. La messe nous donne Jésus. Et elle nous le donne, comme le souligne S. Thomas d’Aquin, comme nourriture. Jésus, dans l’eucharistie, nous est donné pour que nous le consommions, pour que nous tirions notre vie de sa vie à lui. Comme le dit si bien l’antienne des vêpres de cette fête, au moment où nous communions, dans le présent qui est le nôtre, est ressaisi le passé de l’unique sacrifice du Christ et nous est donné le gage de la vie à venir. La communion eucharistique, au cœur même de la célébration du sacrifice de la messe, nous inscrit donc dans l’éternité et ce faisant, elle nous arrache à nous-même, elle nous constitue en un peuple qui est l’Église, elle fait de nous des citoyens des cieux. Elle nous incorpore au Christ total, elle nous permet ainsi d’atteindre, selon le mot de l’Apôtre, « la plénitude de la stature du Christ ». Elle fait de nous des adultes et c’est pourquoi elle est, avec le baptême et la confirmation, le sacrement qui achève notre initiation chrétienne.
C’est parce qu’elle nous transforme en Celui que nous recevons que l’eucharistie est vitale pour nous. Sans elle notre foi, notre espérance et notre charité mourraient d’inanition. Nous avons besoin de l’eucharistie comme notre organisme a besoin d’air pour respirer et de nourriture pour se sustenter. Le curé d’Ars le redisait à ses paroissiens encore marqués par ce jansénisme qui les éloignait de la communion par crainte de leur indignité : Oui, vous en êtes indignes, mais vous en avez besoin. La créature la plus sainte sera toujours indigne de recevoir son Créateur et son Rédempteur dans un corps tiré de l’argile du sol. Combien plus les pécheurs que nous sommes ! C’est pourquoi l’Église a voulu lier la communion au corps du Christ à la purification de l’âme par le sacrement de la réconciliation. Cercle vertueux : plus nous recevons l’eucharistie avec fruit, plus notre conscience s’affine, et plus celle-ci s’affine, plus nous recevons de fruits de notre communion, plus nous voulons suivre de près le Christ sur le chemin de la sainteté. Mercredi dernier, en entrant dans la cathédrale, vous avez peut-être vu le nouveau bénitier où est gravée cette phrase de S. Augustin : « Via quaerit viatores », la voie recherche ceux qui veulent bien l’emprunter. Soyons donc de ceux qui veulent marcher à la suite du Christ.
Une « sequela » qui est aussi « martyria », un témoignage rendu au Christ qui a défié et vaincu le « prince de ce monde », le démon, « homicide et mensonger dès l’origine », l’usurpateur qui cherche à gouverner notre âme par toutes les séductions dont il est capable. Suivre le Christ du cénacle jusqu’à la Jérusalem céleste où il nous attend au terme du pèlerinage qu’est notre vie au sein de l’Église, elle-même partie pérégrinante du royaume des cieux, c’est en effet passer par la croix et par le tombeau, par la mort et par l’ensevelissement. C’est participer au combat que le Christ ne cesse de livrer dans ses membres aux puissances ténébreuses de l’Adversaire. Combat où la ligne de front – et nous le voyons chaque jour plus clairement – passe par le terrain de l’anthropologie. En défendant les grandes vérités que nous enseigne la loi naturelle au sujet de l’être humain, nous ne faisons qu’illustrer la sainteté du projet de Dieu qui a créé l’homme pour sa gloire, pour qu’il prenne part à sa vie divine. Le don de l’eucharistie en notre condition périssable de pèlerins en est le signe. N’est-il pas digne de grandes choses celui à qui un Dieu incarné vient donner sa chair et son sang ? Défendre la conception chrétienne de l’homme, c’est défendre l’auteur de ce grand dessein créateur. Ce n’est donc pas facultatif mais obligatoire. Le combat pour la vie qui se traduit, comme nous ne cessons de le rappeler, par la lutte contre l’avortement, contre l’euthanasie, contre la dislocation de la famille, contre l’idéologie du genre, contre le consumérisme et la marchandisation du corps, contre l’abrutissement médiatique, contre la mise au pas des citoyens, est un combat que nous devons faire nôtre, quoi qu’il en coûte déjà aujourd’hui, quoi qu’il en coûtera demain. Un combat qui nous épuise car il ne consomme pas seulement nos forces physiques et morales mais aussi nos forces spirituelles. Car c’est un combat qui met au défi notre foi, notre espérance et notre charité. Un combat qui réclame intelligence et persévérance surnaturelles. Un combat qui, parce qu’il nous dépasse, exige que nous recourions encore une fois à l’arme absolue, Dieu, sous la forme du « pain des forts », l’eucharistie précisément. Des médias catholiques se sont faits l’écho dernièrement d’un père de famille qui a résolu de s’opposer à la loi dénaturant le mariage par le biais de la grève de la faim. Pas celle, tournée vers la mort, où la volonté d’un seul défie – horizontalement et donc de manière stérile – celle de l’Etat. Mais celle qui, en se nourrissant seulement de l’eucharistie, hisse le combat à son véritable plan en en dévoilant l’enjeu surnaturel. C’est à cette altitude que nous devons nous situer : en recourant à l’eucharistie dominicale, et pourquoi pas quotidienne, nous ancrons notre résistance à la fois dans le ciel et sur la terre. Car qu’est-ce que l’eucharistie sinon la matérialité de la charité ? Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. Dans les humbles espèces du pain et du vin Dieu nous a manifesté le plus grand amour, son corps et son sang offerts pour nous en sacrifice. C’est alimentés quotidiennement par cette charité, par le signe et la présence réelle de cet amour d’en haut venu sur la terre, que nous défions jour après jour les puissances qui pactisent avec la mort.
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